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Petites perles de la semaine écoulée - compilation des entrées Google+ (4 mai 2014)

04 mai, 2014
Brève
Hajnalka Vincze
Industries d’armement
1. « L’Europe de la défense est dans un état épouvantable », observe le président d’Airbus Group, Tom Enders, devant le Conseil Atlantique. Merci à qui ? A M. Enders et compagnie (tant parmi les financiers-industriels que parmi les politiques). Ce sont eux qui nous avaient engagés dans la voie de l’érosion/transatlantisation en refusant obstinément  d’instaurer la préférence européenne, et en faisant valoir, en Europe même, la consigne « Buy American ». Ou en « normalisant » les groupes d’armement (le terme désigne, dans le novlangue européen, l’éviction de l’Etat de l’entreprise et, avec lui, la négation, par principe, de toute considération politico-stratégique). Ou en cherchant à se déresponsabiliser toujours davantage sous couvert de « spécialisations » et de fusions en tout genre. Ou encore en jugeant que l’adjectif « européen » est un gros mot dont il convient de débarrasser EADS au plus vite, afin de ne pas compromettre ses mirobolantes chances en Amérique.
 
Et M. Enders ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il affirme, haut et fort, que ce n’est plus l’Etat qui devrait définir ses besoins en armements, mais c’est aux industriels de dire ce qu’ils jugent opportun de fabriquer. Ensuite, l’Etat n’a plus qu’à acquiescer. On croirait rêver.
 
D’après Enders, l’Europe « ne permet pas à l’industrie de jouer pleinement son rôle ». « Les grandes entreprises devraient pouvoir influencer et piloter la définition des besoins militaires. Les gouvernements ne disent pas clairement à l'industrie de quoi ils ont besoin;  c’est donc l'industrie qui devrait mener le jeu et faire savoir aux militaires ce dont ils auront besoin pour relever les défis d'aujourd'hui et de demain ». Un raisonnement qui laisse sans voix. Mais qui est exprimé avec tout le sérieux du monde et, ce qui est bien pire, écouté avec de plus en plus d’attention par les politiques.
(Thomas Enders Delivers Remarks on the State of European Defense, Atlantic Council, 30 avril 2014)

Voir aussi :
Le tropisme transatlantique du président d’EADS : http://www.hajnalka-vincze.com/Publications/195
 
2. Les sanctions US en matière d'armement pénalisent surtout les concurrents... Au risque de les réveiller finalement. Si les récentes sanctions américaines ont peu de chance d’avoir de l’effet en Russie même, elles ont le mérite de mettre en évidence un vrai problème. Notamment l’extrême distorsion du marché des lanceurs/satellites au niveau mondial, en raison du dispositif de contrôle des exportations américaines.
 
Comme le billet d’Ares l’explique, la suspension des autorisations d’exportation « pourrait avoir un impact immédiat sur les fabricants d’équipements spatiaux américains et européens, ainsi que sur les opérateurs de flottes de satellites qui lancent des engins sur les fusées russes ».
 
En effet, pour pouvoir lancer sur des fusées étrangères des satellites commerciaux contenant ne serait-ce qu’un seul composant d’origine US, il faut obtenir une autorisation ITAR (International Traffic in Arms) de la part du Département d’Etat américain. Or toute autorisation de la sorte est maintenant exclue pour les fusées russes, en vertu des sanctions. Pour rappel : en Guyane, au centre spatial franco-européen de Kourou, les lanceurs Soyouz complètent la famille Ariane 5 depuis 2011.
 
Le risque d’une interférence US dans le fonctionnement normal du marché des lanceurs, par le biais du dispositif ITAR, n’est pas nouveau. Et il n’a rien à voir avec l’Ukraine ni avec les sanctions contre Moscou. Au départ, la première motivation est commerciale et la première cible, c’est l’Europe.
 
Comme un rapport du Service de Recherches du Congrès l’avait fait remarquer dès 2006 : « La plupart des satellites sont fabriqués aux Etats-Unis ou contiennent des composants américains ; ils ont donc besoin d’autorisations américaines, ce qui donne aux Etats-Unis un levier considérable pour décider comment les autres pays peuvent participer au marché des lanceurs ».
 
La démonstration étant faite, on a hâte de voir si l’Europe est prête à en tirer les leçons qui s'imposent...?
(Amy Svitak, U.S. Cracks Down on Defense Exports to Russia, Ares blog de Aviation Week & Technology, 28 avril 2014)
 
3. Observations sur la politique d’exportation des armes US. « The CAT is out of the bag », pourrait-on dire, sachant que CAT (ou Conventional Arms Transfer) désigne l’exportation des armes US et que l’expression avec le chat s’emploie lorsqu’un secret se dévoile. Sauf que les motifs américains en matière de « coopération de sécurité » (i.e. exportations d’armement) n’ont rien d'un véritable secret. En effet, le responsable du Département d’Etat nous expose une politique qui ne surprend que par son hypocrisie presque infantile. A part cela, elle n’est que pure Realpolitik.
 
Tout comme cette politique (réaffirmée en janvier dernier, lorsque le président Obama avait signé la nouvelle directive CAT), le discours de M. Kausner cherche à trouver un équilibre qu’il définit lui-même comme précaire. « D’une part, le soutien à des transferts [sic] qui répondent aux besoins sécuritaires légitimes de nos alliés et partenaires afin de promouvoir nos intérêts de sécurité nationale et de politique étrangère. De l’autre, l’encouragement d’une attitude de retenue en matière de transferts de systèmes d’armes qui pourraient être déstabilisants ou dangereux pour la paix et la sécurité internationales ».
 
Heureusement que l’Amérique est, depuis Roosevelt, « l’arsenal des démocraties », et qu’en exportant ses armes elle « exporte aussi ses valeurs ». On se sent tout de suite soulagé, en pensant à Abou Ghraib, Bagram ou Guantanamo. Ceci étant dit, et les prétendues considérations humanitaires mises à part, « l’objectif est clair : lorsque les Etats-Unis fournit des équipements de défense et une formation militaire à leurs alliés et partenaires, ils le font pour une et seule raison principale : pour promouvoir les intérêts de sécurité nationale US ».
 
Or, à cet égard, quelques observations du responsable américain sont à bien garder en tête. Surtout quand on se sent tenté d’acheter américain au lieu d’acheter européen/français. Premièrement, la vente d’armes est, d’abord et avant tout, un formidable levier d’influence. Comme le dit Kausner, « Lorsque nous transférons ou vendons un système de défense à un pays partenaire, la livraison de ce système est le début – et non pas la fin - d'une relation durable. Une relation qui comprend l'entretien, la surveillance de l'utilisation finale et, surtout, la formation. Cette formation se passe à tous les niveaux - du niveau tactique au stratégique. Il s'agit de créer des liens personnels qui transcendent souvent les climats politiques fluctuants »
 
Deuxièmement, les exportations d’armement pourraient compenser quelque peu les baisses de budget, et permettre de « préserver notre avance technologique en temps d’austérité ». D’après le responsable du Département d’Etat, « En contribuant à faire des économies d’échelle, les ventes à l’étranger peuvent nous aider à maintenir les investissements US dans le secteur de la défense ». Notamment au niveau de la recherche et développement. Or, « si nous n’approuvons pas des transferts uniquement pour promouvoir la santé de la base industrielle américaine, nous serions fous de ne pas prendre en considération son impact dans ce domaine ».
 
Finalement, « Nous devons également voir si un pays peut acquérir les armes à partir d’une autre source. L’industrie d’armement est un marché compétitif. Toutefois, juste parce qu’un autre exportateur est prêt à vendre à un client potentiel, cela ne veut pas dire que nous devrions le faire. Mais il ne faudrait pas sous-estimer l’influence que donne une vente d’armes, et nous devons être prudents à ne pas laisser un autre bénéficier d’une telle influence ».
 
Justement. Revenons à notre vieux continent. Pourquoi offrir un cadeau industriel, un avantage compétitif et une influence politique à un quelconque Tiers, au lieu d’acheter européen ? Mystère.
(Gregory M. Kausner, Deputy Assistant Secretary, Bureau of Political-Military Affairs US State Department, Conventional Arms Transfer Policy: Advancing American National Security Through Security Cooperation, remarks to International Institute for Strategic Studies, 23 avril 2014)
 
Défense européenne
Le point (et quelques nouveaux détails) sur la mission de formation de l’UE au Mali, par le Parlement britannique. Lancé en février 2013 EUTM Mali est une mission militaire de l’Union européenne, destiné à entraîner/former les forces armées maliennes. Pour mieux le cerner, les échanges entre les députés britanniques et leur ministre sont éclairants à plus d'un titre.
 
Les parlementaires de sa Majesté s’offusquent d’abord et avant tout de l’explosion des coûts de l’opération. Au lieu des 12,3 millions d’euros prévus pour les premiers 15 mois, le budget réel s’élève à 31 millions. En grande partie du fait du déplacement tardif du camp d’entraînement à Koulikoro, à 50 kilomètres de la capitale Bamako. Pour ce qui est de la prolongation de deux ans du mandat de la mission (jusqu’au printemps 2016), le budget prévu est de 27,7 millions, et ne devrait pas subir d’importantes modifications.
 
Sauf que les autorités maliennes pourraient exiger, de nouveau, des relocalisations. Il est notamment question aujourd’hui d’une possible cession de deux bâtiments occupés par la mission. Ce qui impliquerait mécaniquement une augmentation des coûts de l'opération. D’où la conclusion selon laquelle « les autorités au Mali ne semblent pas avoir vraiment facilité les choses » pour l’Europe.
 
Outre le défi budgétaire engendré par la relocalisation, le ministre des Affaires européennes déplore les insuffisances de la génération des forces. En particulier en ce qui concerne les capacités EVASAN (ou MEDEVAC : évacuation sanitaire) de la mission. Venant de lui, l’observation vaut de l’or. Pour rappel: les Britanniques sont par principe, pour ne pas dire dogme, les champions des « externalisations ». Autrement dit, la privatisation des tâches normalement assignées à l’armée, dans l’espoir, pour ne pas dire illusion, que cela produira un meilleur rapport coût/efficacité (le fameux « best value for money »).
 
Il est d’autant plus savoureux d’entendre un ministre britannique fort mécontent d’avoir dû recourir aux services d'une entreprise privée pour assurer les fonctions EVASAN de la mission de l’UE. Pour la simple et bonne raison que « ça a coûté cher ». En effet. La conclusion des députés va jusqu’à même remarquer qu’une « organisation commerciale a pu prendre la mission en otage dans le domaine crucial de l’EVASAN, semble-t-il. ».
 
Par ailleurs, les Britanniques notent qu’il n’y a pas assez d’équipement pour les soldats entraînés, et pas assez de soldats à entraîner non plus. Sans parler des doutes sur la qualité et la fiabilité de ceux qui sortent finalement de la formation/entraînement. Ce qui, toujours selon le ministre, « pourrait mettre en péril la capacité des Maliens à prendre leurs responsabilités en main à la fin du prochain mandat ».  La mission risquerait donc soit de s'enliser, soit de se terminer sans avoir atteint son but, dans ce cas.
(House of Commons, 45th Report of Session 2013-14 - European Scrutiny Committee, 2 avril 2014)
 
Crise ukrainienne/OTAN
L’article de Bruxelles2 traite en détail le détachement des 4 Rafale en Pologne dans le cadre des opérations de surveillance aérienne de l’OTAN. « Plus qu’un symbole », affirme le titre, et c’est vrai, d’une certaine manière. En effet, pour ce qui est de l’OTAN, l’enjeu est de justifier son existence, de toute urgence. Quant à la France, ses « mesures de réassurance » s’inscrivent en partie dans une stratégie otano-européenne, en partie dans le cadre du donnant-donnant.
 
En ce qui concerne la stratégie, il s’agit de convaincre que la défense collective ne se réduit pas au parapluie américain. A Malbork, le ministre Le Drian précise que l’engagement français vise, entre autres, à « réassurer pour montrer à la Pologne que nous sommes des alliés ». A un séminaire OTAN, il y a quelques semaines, le même ministre faisait remarquer que « l’article 5 n’est pas seulement un engagement des alliés américains envers leurs alliés européens, mais bien un engagement des 28 Alliés envers les 28 Alliés ». Il s’applique donc tout aussi bien entre Européens.
 
Dommage que ce soit sous bannière OTAN uniquement. Car, comme le rappelle l’article : les Rafale « seront placés sous commandement OTAN ». Et si leur seule mission est supposée être la surveillance de l’espace aérien des pays baltes, « ils pourront aussi assurer toute autre mission que pourraient lui conférer l’OTAN ». On mesure bien la portée de la décision, à Lisbonne, de préciser, dans le traité même de l’UE, que l’Alliance atlantique « reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en œuvre ». En voici un exemple, grandeur nature.
 
Pour ce qui est de la dimension donnant-donnant, le ministre Le Drian ne s’en cache pas non plus outre mesure : « Vous avez été là face aux menaces du flanc sud qui menacent l’Europe, au Mali et en République centrafricaine. Nous avons été réactifs quand le flanc Est est dans l’inquiétude ».
 
Autre aspect, et non des moindres, dans le même esprit : l’article fait remarquer que « la présence des Rafale sur le territoire polonais est aussi un moyen de promouvoir concrètement cet appareil ». Sans parler des autres opportunités industrielles. Notamment dans le cadre du plan de modernisation des forces armées polonaises, qui prévoit de dépenser quelque 25 milliards d’euros pour les neuf prochaines années.
(Nicolas Gros-Verheyde, 4 Rafale français présents à Malbork. Plus qu’un symbole …, www.bruxelles2.eu, 30 avril 2014)
 
Avant-garde européenne
Deux tiers des Français souhaitent que l'UE se recentre sur certains pays. Et ils ont mille fois raison. Reste à savoir quels pays, avec quel objectif et dans quelles conditions. Pour rappel : « la différenciation » à l’intérieur de l’UE a été pendant longtemps l’une des premières priorités de la France. Au point de vouloir en faire, avec le résultat que l’on connaît, hélas, un préalable à l’élargissement. 

Depuis lors, c’est devenu communément admis que rien ne peut être construit à 28. Encore faut-il se retrouver entre les solutions proposées (géométrie variable, Europe à plusieurs vitesses, « grappes », Europe à la carte). Au fait, c’est plutôt simple, en matière de défense européenne. Un « recentrage » (ou avant-garde) n’a de sens, que s’il revendique à la fois le volet « européen » et la dimension « défense ». 

En se fixant d’abord comme objectif la préservation d’une réelle autonomie stratégique. Ce qui passe forcément par la mise en place d’une politique de préférence (i.e. protectionnisme intelligent) dans les secteurs d’importance cruciale, tel l’armement. En se souscrivant, ensuite, à des engagements de défense mutuelle entre participants. C’est le fondement même des liens de loyauté et de confiance (comme en témoigne aujourd’hui l’acharnement de l’US/OTAN à convaincre de la robustesse de son article 5).

Sans ces deux critères (préférence industrielle et défense mutuelle) posés comme préalables, toute initiative de recentrage ne serait que du bricolage.
(Deux tiers des Français souhaitent que l'UE se recentre sur certains pays, AFP, 4 mai 2014)?

Voir aussi : 
Une synthèse sur le concept de noyau dur/avant-garde : 
http://www.hajnalka-vincze.com/Publications/122
Une analyse détaillée sur le même sujet :
http://www.hajnalka-vincze.com/Publications/153
Application du concept dans l’état actuel de l’Europe de la défense : 
http://blog.hajnalka-vincze.com/2013/12/leurope-et-la-defense-comment-faire-en.html

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Tags:
défense européenne, géométrie variable, pologne, crise ukrainienne, armement


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