Note d’actualité
Lorsque le 1er juillet 1991, les pays membres du Pacte de Varsovie - à la fois symbole et instrument concret de l'emprise soviétique sur l'Europe centrale et orientale - signent la dissolution officielle del'organisation, ils mettent le point final à un mouvement de désintégration devenu inéluctable.
Chronique d’une mort annoncée
Le processus a commencé au début des années 80 et s’est déroulé en deux phases distinctes. Sous l’effet conjugué des distorsions intrinsèques des systèmes communistes et de la puissance du modèle « occidental », la décennie des années 80 est marquée par l’agonie des « démocraties populaires ». L’approche réformatrice de Mikhail Gorbatchev, arrivé au pouvoir en 1985, conduit – bien au-delà des intentions du nouvel homme fort de Moscou – aux bouleversements des années 89-90 dont la rapidité et l’ampleur plonge la communauté internationale dans une perplexité générale. Le démantèlement du rideau de fer entre la Hongrie et l’Autriche en mai 1989, l’effondrement des régimes communistes est-européens qui tombent les uns après les autres au cours de l’automne 1989, la chute du Mur de Berlin le 9 novembre et la disparition de la RDA (République démocratique allemande) avec la réunification de l’Allemagne le 3 octobre 1990 sont autant d’événements historiques qui se poursuivent à un rythme effréné.Dans ce contexte de mutations profondes, le devenir du Pacte de Varsovie est au centre des préoccupations, compte tenu de la logique politico-militaire qu’il représente, et du rôle qu’il a joué par le passé dans la « domestication » de toute velléité centrifuge au sein du bloc soviétique.
Rétrospective
En effet, à sa création le 14 mai 1955, le Pacte de Varsovie se conçoit comme la réplique de l’Est à l’OTAN, créée en 1949 et à laquelle vient de se joindre la RFA (République fédérale allemande). Mais cette nouvelle alliance, qui regroupe sous commandement soviétique tous les pays « satellites » de l’URSS – à savoir l’Albanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la RDA, la Roumanie et la Tchécoslovaquie – en présence d’un observateur chinois[1], est avant tout un instrument formidable pour la mise en oeuvre de la doctrine militaire de l’URSS, de même que pour contrecarrer toute tentative de libération de ses Etats membres par rapport à l’idéologie soviétique. Le « Traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle », nom officiel du Pacte, a donc pour fonction première la mise au point et le maintien de la capacité militaire du bloc soviétique à sortir victorieux d’un éventuel conflit avec l’Occident. S’y ajoute la responsabilité collective pour la défense du socialisme, en d’autres termes la mainmise de Moscou sur les « régimes frères » : écrasement par la force de la révolution hongroise de 1956, mise au pas de la Tchécoslovaquie en 1968, intervention politique appuyée en Pologne au début des années 80.
Or, Gorbatchev a annoncée en décembre 1988 une décision unilatérale – due au moins autant aux difficultés économiques et financières de l’Union soviétique qu’à des considérations géopolitiques générales – qui visait à diminuer le nombre des troupes soviétiques stationnées en Europe centrale. Les premiers soldats sont partis de la Hongrie en avril 1989, et en mars 1990 un accord a été signé, prévoyant le retrait complet et définitif des « unités stationnant provisoirement sur le sol hongrois », avant le 30 juin 1991[2]. Pendant ce temps-là, et parallèlement aux bouleversements politiques qui ont secoué tout l’ancien bloc de l’Est, le Pacte de Varsovie est devenu de plus en plus ouvertement remis en question. Si Gorbatchev ne comptait point liquider, mais espérait seulement transformer l’alliance, il semble que les autres Etats membres du Pacte avaient déjà de bien différents projets en tête. En juin 1990, le Parlement hongrois a voté une résolution déclarant que le pays ne faisait plus partie de la structure militaire du PV et qu’il fallait entamer des négociations en vue d’un retrait définitif du Pacte. L’initiative hongroise a bientôt été suivie par la Tchécoslovaquie, la Pologne – préoccupée par le retour de l’éternelle « question allemande » - s’y joignant un peu plus tard. Une fois lancé, le démantèlement du Pacte devient inévitable. On assiste, le 25 février 1991 à Budapest, à la dissolution de la partie militaire du PV, et en juillet de la même année, la dissolution du Pacte de Varsovie est signé à Prague.
OTAN : reliquat tenace
Il est intéressant de voir à quel point, dans l’euphorie de la fin de l’affrontement entre les deux blocs, les acteurs de l’époque avait une idée « candide » de la direction dans laquelle la sécurité européenne pourrait évoluer. Dans la tourmente, de nombreux scénarios ont été évoqués, la plupart d’entre eux affichant une conception neutre – ni Pacte de Varsovie ni l’OTAN – et pan-européenne de la sécurité. Néanmoins, le même Vaclav Havel qui en 1990 a proposé, dans un mémorandum tchèque remis à l’Elysée, la dissolution simultanée des deux alliances militaires, a fini par conduire son pays dans l’OTAN. A bien des égards, l’adhésion de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque – tous ex-membres du Pacte de Varsovie – à l’Alliance atlantique le 12 mars 1999 marque, en même temps que le triomphe incontestable de l’Occident et la fin de la division artificielle de l’Europe, l’impossibilité d’une rupture définitive avec toutes les séquelles de la guerre froide. Il est vrai que l’émergence de l’OTAN – véritable reliquat de la confrontation bipolaire – en tant que seul et unique acteur crédible de la sécurité européenne de l’après-guerre froide s’explique par de multiples raisons, dont l’incapacité de l’Union européenne à s’affirmer comme une entité politique n’est pas la moindre.
Toutefois, on peut légitimement se poser des questions sur la longévité d’une structure qui – tout en se métamorphosant pour justifier son existence – a non seulement survécu à la disparition de son pendant communiste (à savoir le Pacte de Varsovie), mais qui, du seul fait qu’elle continue de servir de levier pour que les Etats-Unis restent une « puissance européenne », risque d’entraver toute initiative visant à surmonter les handicaps accumulés et établir des structures de défense authentiquement européennes. Comme l’a remarqué Alain Richard, ministre français de la défense : « En effet, l’OTAN a pris une place très importante dans les évolutions de notre continent depuis une décennie. (…) Mais il est incontestable que par sa seule présence et efficacité, elle a occupé un terrain que nous aurions pu configurer autrement, par des constructions institutionnelles plus spécifiquement européennes, et peut-être plus ouvertes à l’Est. Pour cette raison, il est incontestable que l’Alliance n’est pas notre horizon unique, ni nécessairement l’entité la mieux à même d’assurer à l’Europe une voix plus puissante dans les affaires du monde. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé un processus de renforcement des capacités autonomes de l’Europe. Les décennies qui s’annoncent verront donc coexister une Alliance puissante, garante de la sécurité des Etats membres et prête à prendre des responsabilités pour la stabilité de l’Europe, et un mouvement d’affirmation de l’Europe de la défense qui est la suite logique de la construction européenne de ce dernier demi-siècle, et qui a par là même une vocation naturelle à s’exprimer de plus en plus dans le cadre de l’Union européenne.[3] » A nous de voir si, dix ans après la dissolution du Pacte de Varsovie, l’Europe se décidera-t-elle enfin de prendre en charge sa propre défense.
[1] L’Albanie quitte l’organisation en 1968 alors que la Chine n’est déjà plus représentée depuis 1962.
[2] C’est finalement le 16 juin 1991 que le dernier soldat soviétique a quitté le territoire hongrois.
[3] Discours du ministre de la Défense Alain Richard à la conférence annuelle de l’Institut des Relations Internationales Stratégiques (IRIS), le 4 mai 1999.
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