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Les politiques d’armement en Europe à travers l’exemple de l’affaire BAE Systems-EADS

Défense & Stratégie n°33, automne 2012 - 15 novembre, 2012
Etude et analyse
Hajnalka Vincze

La tentative de fusion entre British Aerospace System (BAESystems)[1] et European Aeronautic Defence and Space Company (EADS)[2] a échoué malgré les louanges de la presse et en dépit du soutien que lui apportaient, sous le double slogan de « l’Europe » et de « l’efficacité/rentabilité », à la fois les politiques et le monde des affaires. Cet échec fut-il inéluctable ou le fruit d’un heureux concours de circonstances ? Une chose est certaine : qu’il s’agisse de ses acteurs, de son ambition ou de sa méthode, derrière la prétendue logique d’une telle fusion, transparaissent de toutes autres considérations.

Ce qui voulait être un rapprochement plein de bon sens entre l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, a fait éclater au plein jour des divergences fondamentales entre ces trois pays. Certes, les « trois grands » se distinguent du reste des pays européens puisqu’ils dépensent à eux seuls les deux tiers des sommes consacrées à la défense et 90% des investissements en Recherche & technologie (R&T). Ils sont dans le peloton de tête en matière de participation dans les coopérations d’armement.[3] Ils se reconnaissent aussi dans le domaine des déclarations d’intention : les trois sont à l’origine du fameux appel de décembre 1997 en faveur de restructurations dans l’industrie aérospatiale et d’électronique de défense afin que « l’Europe joue pleinement son rôle dans sa propre défense ». Il n’en reste pas moins que les différences d’approches industrielles et politiques constituent entre ces trois pays de véritables clivages. Il s’agit, pour l’essentiel, de deux lignes de partage : l’une concerne le rôle de l’Etat dans le secteur (autrement dit le rapport entre la dynamique du marché et la volonté politique), l’autre la relation de dépendance ou d’indépendance à établir vis-à-vis des Etats-Unis.

Rien ne décrit mieux la trajectoire faite de renoncements et d’abdications de l’Europe de la défense au cours des quinze dernières années, qu’une comparaison entre les intentions de 1997 et la situation actuelle. A l’époque, en réaction à la poussée des géants américains soudainement plus tournés vers l’exportation et en accompagnement de l’éventualité d’une future politique de défense de l’Union européenne (qui ne pouvait être qu’hypothétique à cette époque, comme tenait à le préciser le traité d’Amsterdam), les dirigeants français, allemands et britanniques se disaient prêts à relever le défi. Le regroupement de leurs forces en matière d’armement était clairement envisagé – à en croire le ministre français des Affaires européennes d’alors – comme une « riposte » européenne, afin d’éviter de « mourir face à cette hégémonie américaine », sur les bases du concept d’une Europe-puissance.[4]Or aujourd’hui, alors que les concurrents américains deviennent encore plus agressifs du fait de la contraction inéluctable du budget américain, et que la défense a depuis longtemps droit de cité au sein des institutions européennes, le même Pierre Moscovici, en sa qualité de ministre de l’Economie, s’est retrouvé engagé dans de sérieuses discussions qui, si elles avaient abouti, auraient codifié l’exact opposé de son ambition affichée en 1997. A la place d’une « Europe-puissance » on se trouve face à une dilution considérable de l’influence étatique, liée à la poursuite d’une stratégie d’entreprise qui va dans le sens d’une américanisation progressive.[5] Un double objectif fixé bien avant le plan de fusion BAE-EADS, et qui n’a rien perdu de sa vigueur après l’échec de celui-ci.

TROIS ETATS PROTAGONISTES

Le projet de fusion BAE-EADS s’inscrivait dans le processus de transformation des industries de défense européennes qui est à l’oeuvre depuis les années 1980, et se caractérise par ce que Jean- Paul Hébert appela une triple mutation : la privatisation totale ou partielle des firmes d’armement, la transnationalisation de leurs structures, et la diversification de leurs activités. La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni abordent les questions soulevées par cette évolution avec des agendas sensiblement différents. Le mot d’ordre pour la France, c’est l’autonomie stratégique (dans la continuation de l’approche gaullienne traditionnelle), pour l’Allemagne, c’est la puissance industrielle, conçue comme intégrée au système otanien à l’instar de tout son appareil militaire. Enfin, pour le Royaume-Uni, c’est la soi-disant souveraineté opérationnelle qui est une manière commode pour masquer le fait que derrière la double fable du « lien spécial » avec l’Amérique et du « best value for money », l’exigence d’autonomie se réduit au court terme et aux seuls aspects tactiques.

La France

Parmi les trois Etats les plus impliqués dans les négociations de fusion BAE-EADS, la France reste, sans aucun doute, l’acteur principal en matière d’armement. Comme l’avait noté une étude américaine approfondie, préparée pour la National Defense University : « Depuis des décennies, la France a poursuivi une doctrine de défense et une stratégie d’acquisition intégrale, lesquelles lui garantissent des capacités militaires indépendantes et autonomes. Par conséquent, la France est le seul pays, à part les Etats-Unis, qui investisse sur toute la gamme des technologies de défense ».[6] Et le résultat est là, n’en déplaise aux déclinistes français ou aux Britanniques s’autoproclamant régulièrement première puissance militaire d’Europe. D’après la synthèse d’un grandiose projet de recherche transatlantique, mené conjointement par la National Defense University et le Atlantic Council en 2011-2012 : « Seuls huit membres (de l’OTAN) disposent de forces substantielles, et seulement l’un d’eux, la France, a la taille et le potentiel financier pour déployer des forces sur une base durable ».[7]

Cette première place en Europe, la France le doit à une exigence d’autonomie stratégique, conjuguée à un souci d’indépendance industrielle et technologique, lui-même soutenu par un effort important de recherche et développement qui ont guidé ses décisions depuis la fin des années 1950. Les principes en sont clairs. Comme l’avait formulé le Général de Gaulle : « Il faut que la défense soit française. C’est une nécessité qui n’a pas toujours été très familière au cours de ces dernières années. Il est indispensable qu’elle le redevienne. Un pays comme la France, s’il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre. S’il en était autrement, notre pays serait en contradiction avec tout ce qu’il est depuis ses origines, avec son rôle, avec l’estime qu’il a de lui-même ».[8] Si cet impératif est évidemment à l’origine de la « force de frappe », il se traduit également par la même exigence d’indépendance en matière d’armement. Laquelle exigence fait que jusqu’en 1980, le Ministère de la Défense fut tenu de présenter un rapport annuel sur les passations de marchés dans lesquels les achats de matériel et de composants étrangers ne devaient pas dépasser 5% de la dépense totale.[9]

Quoique sous une forme différente, l’autonomie stratégique n’en demeure pas moins l’axe principal du Livre Blanc de 2008. Ainsi stipule-t-il que « les compétences scientifiques, technologiques et industrielles de la France (…) doivent permettre à la France de conserver son autonomie stratégique et contribuent à promouvoir l’Europe comme un pôle d’excellence industriel et technologique ».[10] En effet, la politique française s’inscrit désormais dans un cadre européen et pour tout nouveau programme, le premier réflexe de la DGA (Délégation générale pour l’armement) est de voir s’il existe une possibilité de coopération en Europe. Le Livre blanc conceptualise cette approche dans son schéma dit « des trois cercles ». Ainsi, mis à part « les équipements nécessaires aux domaines de souveraineté » où « la maîtrise nationale » reste de mise (premier cercle), « pour la majorité des acquisitions de défense et de sécurité, sa stratégie ira dans le sens d’une interdépendance européenne. » (deuxième cercle). Le recours au marché mondial est envisagé « pour les cas où la sécurité d’approvisionnement n’est pas directement en jeu, soit parce qu’elle peut être assurée grâce à la pluralité des ressources, soit parce qu’il est possible de constituer des stocks stratégiques pour faire face à une rupture d’approvisionnement » (troisième cercle). Séduisant sur le papier, ce bel ordonnancement n’empêche pas les questionnements.

Le problème, c’est que le peu d’affinité des partenaires européens pour les questions d’autonomie risque de priver de son sens la distinction entre le deuxième cercle (européen) et le troisième (global). Si l’on s’engage dans des rapports d’interdépendance avec des partenaires dépendants, cela revient au même que d’accepter soi-même des situations de dépendance. Le défi, pour la France, consiste donc à transposer au niveau européen sa propre politique d’indépendance. D’où la nécessité d’un véritable effort de pédagogie pour sensibiliser les Européens à l’impératif d’autonomie stratégique, ce qu’a tenté de faire le ministre des Affaires étrangères l’été dernier à Varsovie, devant les ambassadeurs polonais. N’oubliant pas de mentionner « l’évolution des priorités de nos amis américains » et « le déplacement de leurs intérêts – ce sont eux-mêmes qui le disent – vers la zone de l’Asie-Pacifique », il a prononcé le mot « autonome » à pas moins de six reprises.[11] De surcroît, Laurent Fabius a fait clairement le lien entre la préservation de nos industries de défense, particulièrement difficile face au risque de voir l’Alliance atlantique aspirer l’essentiel des dépenses des Européens « au bénéfice des seules chaînes de production américaines », et l’autonomie stratégique du vieux continent. En conclusion, il a souligné que « le renforcement des capacités européennes doit se faire d’abord dans un cadre proprement européen ».

Compte tenu de ce qui vient d’être dit, la résignation du gouvernement français à participer aux négociations sur une éventuelle fusion entre EADS et un BAE Systems, déjà complètement sous contrôle américain, est pour le moins consternant. Certes, Paris se faisait plutôt discret, tout en assurant « le service minimum » : attachement à sa participation dans le capital d’EADS, qui lui aurait valu 9% dans le nouvel ensemble, demande de garanties sur l’emploi, maintien des sites et des bureaux d’études et de recherche, dispositif de protection des activités nucléaires. Mais le manque d’enthousiasme évident, voire les « réserves » et les « interrogations » exprimées de temps à autre par le ministre de la Défense J.Y Le Drian, n’avaient rien à voir ni avec le grand débat que le projet avait provoqué outre-Rhin, ni avec les enjeux inhérents. A aucun moment, les responsables français n’ont pensé à contester le discours dominant sur cette « opportunité à ne pas manquer pour l’Europe de la Défense ». Si l’on exclut l’hypothèse de l’incompétence totale d’une nouvelle équipe fraîchement arrivée au pouvoir et celle d’une renonciation délibérée aux postulats de l’indépendance, l’explication la plus plausible est celle d’une tactique de négociation consistant à s’abriter derrière quelqu’un d’autre (en l’occurrence Berlin) qui serait prêt à faire blocage, au lieu de le faire soi-même avec grand fracas.[12] C’est ce que semblerait indiquer l’amertume du ministre allemand de l’Economie qui, sous le coup des attaques venant de toutes parts, tentait en vain de convaincre l’opinion que « La fusion n’a pas échoué à cause de l’Allemagne. Il y avait moins de différences de points de vue entre l’Allemagne et la France qu’entre la France et la Grande-Bretagne. »[13]

L’Allemagne

Le dernier document de référence allemand en matière de défense, le Defence Policy Guidelines de 2011,[14] sacrifie à toutes les formules convenues : il y est question d’approfondissement des coopérations européennes en matière de BITD (base industrielle et technologique de défense) ainsi que du rôle moteur de l’axe francoallemand. Dans la pratique, l’Allemagne a toujours été plus proche des thèses britanniques qu’il s’agisse de la non-participation étatique ou de l’alignement sur l’Amérique. En effet, le tropisme atlantiste de Berlin demeure à peu près inchangé depuis que le traité de l’Elysée, fraîchement signé, fut immédiatement dénaturé par le préambule que le Bundestag tenait fermement à y ajouter.[15] Ces affinités atlantistes sont par ailleurs en parfaite harmonie avec la préoccupation première de Berlin en matière d’armement, qui est de renforcer la puissance industrielle allemande.

Des considérations politiques, telles que la dépendance vis-à-vis de l’Amérique ou l’impératif d’autonomie européenne, lui importent peu, surtout que les Etats-Unis restent son premier client pour ses exportations d’armement et que ses sociétés militaro-industrielles les plus importantes sont des acteurs de premier plan dans le secteur civil, avec des intérêts substantiels outre-Atlantique. Berlin est d’autant moins tenté par des velléités d’autonomie, que les questions d’armement s’inscrivent dans un atlantisme plus général.

Comme le rappelle un ancien commandant de l’Eurocorps : « Le principal partenaire militaire de l’Allemagne, et le garant ultime de sa sécurité, est Washington, avec l’Alliance atlantique comme outil d’organisation et d’intégration. »[16] L’ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine est encore plus clair à ce propos : « Il n’y a pas d’armée allemande, il n’y a qu’une sorte de département allemand de l’armée occidentale, et c’est pourquoi le système militaire allemand n’a jamais été favorable aux idées françaises sur la défense européenne. L’Allemagne est à 99 % intégrée dans le système OTAN et ne dispose d’aucune marge. C’est pourquoi elle s’en tient à une vision otanienne, plus rigide encore que celle de Washington ».[17]

C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier la coopération bilatérale avec la France, qui a abouti à des programmes concrets comme l’Alpha Jet, le Transall, le Tigre, les missiles Milan et Hot, mais aussi Eurocopter, Airbus et Ariane. Mais malgré cette liste impressionnante, il convient de garder à l’esprit les difficultés inhérentes. L’une vient de l’approche « apolitique » déjà mentionnée, à savoir le fait qu’en s’engageant dans des coopérations européennes, Berlin met toujours plus d’accent sur les compétences qu’elle espère acquérir que sur sa contribution à l’initiative. L’autre tient aux besoins opérationnels différents entre la France et l’Allemagne. Aux divergences traditionnelles entre des forces françaises souvent engagées sur des théâtres extérieurs et leurs homologues allemands exclusivement tournées vers la défense du territoire jusqu’en 1994, ou encore entre une stratégie navale française centrée sur la projection océanique autour de porte-avions et une marine allemande spécialisée dans la protection des convois en Atlantique Nord s’ajoute aujourd’hui une « civilianisation » poussée à l’extrême du côté de Berlin. Pour Védrine, « Les Allemands sont inhibés par tout ce qui est militaire (…) Ils n’acceptent donc, que de faire du civilo-militaire, avec le moins de militaire possible et beaucoup de civil ».[18]

Aussi, depuis le début, la coopération franco-allemande doit surmonter les pressions, venant aussi bien du côté allemand que de celui de Washington, en faveur d’une option américaine proposée en alternative. En règle générale, chaque fois que l’idée d’un programme conjoint apparaît à l’horizon, une offre américaine concurrente – et alléchante du strict point de vue financier – émerge subitement, adaptée pour l’occasion. Ce fut le cas aux débuts d’Airbus et d’Ariane, mais on peut remonter jusqu’à l’opposition entre le Transall et le Hercules pour le transport aérien militaire ou encore entre le Hot versus Tow pour les missiles antichar. La plupart du temps, le même scénario se répète : ce n’est qu’après des déceptions et des camouflets essuyés de la part de l’Amérique que les Allemands se retournent vers Paris.

Ces derniers temps, deux nouvelles tendances se concrétisent dans l’industrie de défense allemande. L’une est une sensibilité un peu plus grande pour la prise en considération des implications politiques notamment, l’autre est la définition de ce que l’on appelle désormais la « doctrine Merkel » en matière d’exportations d’armement. Cette dernière se présente sous la forme d’un activisme sans précédent, accompagné d’une interprétation moins rigoureuse des critères d’autorisation. Par conséquent, en 2011 quelque 42% des armes exportées sont à destination d’Etats étiquetés « tierce partie », c’est-à-dire hors l’Europe et l’OTAN, alors que ce chiffre n’était que de 29% un an auparavant.[19] En écoutant la Chancelière théoriser ce développement, on ne peut qu’admirer la façon dont elle réconcilie la poussée significative des exportations d’armement avec la mentalité pacifiste allemande. La formule est toute trouvée : les soldats allemands n’interviendront à l’extérieur qu’en situation d’urgence, on enverra plutôt des armes dans les zones à risque, afin que les pays partenaires puissent maintenir la paix et la stabilité par leurs propres moyens « made in Germany ».[20]

Dans le même temps, se manifeste un début de prise de conscience des enjeux extra-industriels du secteur et des risques inhérents aux choix de dépendance et d’ouverture. Quelques épisodes récents dans la longue série des camouflets américains n’y sont pas pour rien. C’est le cas par exemple de l’abandon unilatéral par le Pentagone du programme MEADS (destiné à remplacer les systèmes de défense aérienne Patriot et Hawk), obligeant la partie allemande à chercher subitement d’autres solutions. D’un autre côté, le non-interventionnisme traditionnel des autorités allemandes dans les secteurs stratégiques fut sérieusement remis en question lors de l’acquisition par le fonds américain OEP (One Equity Partner) du chantier naval HDW (Howaldtswerke Deutsche Werft) en 2002, suivi un an après par le rachat du fabricant de moteurs d’avions MTU Aero Engines, l’un des fleurons de l’aéronautique allemande, par un autre fonds américain KKR (Kohlberg Kravis Roberts & Co). Si ces épisodes sont à l’origine de la mise en place d’un dispositif législatif de contrôle des investissements étrangers dans les entreprises de défense, l’attitude allemande par rapport au rôle de l’Etat reste toujours marquée de contradictions. Ainsi, alors même que les industriels allemands demandent un plus grand activisme du gouvernemental fédéral en leur faveur, et que celui-ci s’y est mis sans états d’âme à l’extérieur, Berlin continue d’appeler les Etats à se désengager du secteur.[21]

En ce qui concerne les discussions sur une éventuelle fusion BAE-EADS, pour l’Allemagne, elles sont mal parties d’emblée. Le fait que le président exécutif d’EADS, Thomas Enders, ait consulté Paris avant Berlin et Londres, n’a fait qu’ajouter à de vieilles craintes de marginalisation. Celles-ci avaient de toute façon été revivifiées depuis peu, suite à la décision d’installer un siège unique en France, à Toulouse. Ce n’est donc pas un hasard si sur une première liste de demandes adressée à Enders par le gouvernement allemand, avant même le début des négociations, figurait, en première place la « restauration de l’équilibre franco-allemand ». Fin septembre, une deuxième liste venait compléter la première, avec des demandes spécifiques en termes de sanctuarisation des capacités stratégiques allemandes, d’équilibre entre Berlin, Paris et Londres au conseil d’administration, de maintien des emplois, de contrôle sur les activités Recherche et Développement (R&D), de droits de vote spéciaux pour les décisions les plus stratégiques et de relocalisation du centre du nouvel ensemble de Toulouse près de Munich.[22]

Malgré les récriminations et reproches incessants dont le gouvernement fédéral faisait l’objet, force est de constater que la plupart de ses demandes n’étaient pas déraisonnables. Le problème, c’est que sur certains points transparaît sa première préoccupation, pour ne pas dire obsession : il ne faut surtout pas mettre en péril l’extraordinaire aubaine que constituait, pour l’Allemagne, le deal à l’origine d’EADS, dans lequel la France avait accepté, pour des raisons politiques, un calcul à 50-50% entre Dasa et Aérospatiale Matra. Du coup, l’attitude et les argumentaires allemands furent principalement guidés par le souci du maintien de cette parité inespérée. Ainsi, même quand Berlin décide de participer enfin au capital d’EADS, il ne le fait qu’à contrecoeur et préfèrerait plutôt que la France en sorte.[23] Et même quand il fait valoir des considérations politiques, elles sont symboliques ou ont pour objet de s’assurer des positions vis-à-vis de Paris.

Le Royaume-Uni

Il ne fait aucun doute que, comparé à l’Allemagne, le Royaume-Uni est beaucoup plus proche de la France que ce soit sur le terrain opérationnel et sur sa politique d’interventions militaires extérieures. Néanmoins, en termes de désengagement de l’Etat ou d’alignement atlantiste, Londres se distingue par une approche dogmatique. A tel point que même leurs propres parlementaires commencent à se poser des questions quant aux conséquences de l’absence délibérée d’une politique industrielle de défense nationale. En effet, le message central du dernier document de référence élaboré par Londres est précisément la libération de la politique d’acquisition de toute autre considération que la recherche de la rentabilité immédiate maximum.[24]

Pratiqué comme une quasi-religion, le principe de la « best value for money » produit des effets catastrophiques, non seulement sur les plans industriel et politique, mais, comble de l’ironie, du point de vue strictement comptable aussi. La définition du Livre blanc britannique précise d’emblée que le ministère de la Défense ne prend pas en compte des facteurs d’emploi, d’industries ou plus largement économiques dans son appréciation de ce qui constitue la « best value for money ». Du coup, comme le remarque le dernier rapport parlementaire sur les acquisitions de défense, cette absence d’approche interministérielle signifie qu’une décision pourrait très bien être à la fois « un bon retour sur investissement pour le MoD (ministère de la Défense) peut-être, mais une perte de valeur pour la nation dans son ensemble ».[25] Parmi les conséquences néfastes, les parlementaires semblent être préoccupés avant tout par la perte des capacités industrielles, l’impact négatif sur les exportations, et la vulnérabilité de la sécurité d’approvisionnement. On peut ajouter trois autres effets, tout aussi manifestes à travers les témoignages des différents acteurs du secteur, qui sont le manque de loyauté des industriels et la position singulièrement affaiblie de l’Etat par rapport à eux, la dépendance-alignement sur la politique américaine et, pour couronner le tout, le bilan comptable désastreux du choix d’armement « sur étagère ».

Premièrement, si les parlementaires britanniques en sont arrivés à reconnaître que la politique de compétition ouverte pose « une menace sérieuse » pour la base technologique de défense, les responsables, eux, restent sourds à ces arguments. Ainsi, le ministre chargé des acquisitions, qui assume ses réticences envers l’idée d’une base industrielle de défense, a certes admis par exemple que « la liberté d’action pour préserver notre flotte est étroitement liée à notre capacité à l’entretenir sur le territoire du Royaume-Uni en temps de crise internationale, et la certitude de pouvoir le faire, apporte des avantages réels, c’est donc quelque chose que je considère de la plus haute importance ». Mais il a poursuivi, comme si de rien n’était : « toutefois, nous n’avons pas encore décidé où nous allons assurer la maintenance des porte-avions de la classe Queen Elisabeth ». Il ne paraît pas non plus embarrassé outre mesure quand il explique que la compétition internationale était la seule voie possible pour l’achat des navires ravitailleurs MARS « parce que c’est une capacité - la construction de navires ravitailleurs - dont le Royaume-Uni, à nos grands regrets, ne dispose plus ».[26] Eu égard au refus de concevoir et mettre en oeuvre une politique en faveur de la base industrielle de défense, c’est le contraire qui aurait surpris.

Sur le plan des ventes d’armes à l’extérieur, on assiste également au spectacle du serpent qui se mord la queue. Alors que le Livre blanc souligne l’importance des exportations d’armement pour conforter des relations stratégiques et renforcer l’économie britannique notamment, et que le gouvernement Cameron est en pleine offensive sur le dossier, le simple bon sens conduit à se poser la question que l’un des députés a justement formulé : « Si notre position de départ est presque de dire que ‘si quelqu’un d’autre le fabrique, nous allons simplement le lui acheter’, comment cela va-t-il nous aider en termes d’exportabilité ? ». La réponse du ministre mérite d’être citée en entier : « Au cours du processus d’acquisition, nous devrions pouvoir inclure le critère d’exportabilité dès les premières étapes du processus ». Bonne idée. Sauf que, comme il a dû lui-même l’admettre « jusqu’ici nous n’avons pas vraiment réussi là-dessus ». Au vu de la concurrence accrue sur les marchés d’exportation et de l’affaiblissement de la position des Britanniques vis-à-vis de l’Amérique, on a du mal à voir comment ce manque de succès pourrait ne pas s’aggraver davantage à l’avenir.

L’exigence de la sécurité d’approvisionnement est à ce point absente de la conceptualisation de la politique britannique, que les parlementaires sont réduits à citer un militaire français, le Général Patrick Auroy (ancien directeur adjoint de la DGA), qui attire l’attention sur l’impératif de garantir l’accès aux capacités industrielles et technologiques pour pouvoir satisfaire à long terme les besoins des forces armées. D’où trois objectifs importants : la sécurité d’approvisionnement à long terme, l’utilisation sans restriction aucune des équipements acquis, et la possibilité de l’exporter à des amis et alliés.[27] Des exemples révélateurs des expériences et des inquiétudes britanniques ont été cités, lors de l’enquête de la Commission, tel le risque d’une interruption de l’approvisionnement au cas où le pays d’origine de l’entreprise fournissant le matériel pourrait lui-même en avoir besoin en urgence, ou bien déciderait d’en interdire le transfert pour des raisons politiques. On ne peut aussi exclure l’hypothèse que les besoins opérationnels peuvent nécessiter des adaptations-modifications ou l’accélération de l’entrée en service, les deux n’étant possible que dans la mesure où l’on dispose soi-même du « corps du savoir-faire ». Ce qui fut heureusement le cas pour le missile européen Storm Shadow lors de l’intervention en Irak.

Concernant la loyauté/fiabilité des entreprises stratégiques, il est à noter que le critère de nationalité du capital a complètement disparu de la définition de « l’industrie de défense britannique ». Il a été remplacé par celui de la localisation sur le territoire national. Outre les risques d’approvisionnement évoqués plus haut, qui se posent avec acuité par rapport aux filiales d’entreprises étrangères au Royaume-Uni, c’est l’orientation et l’allégeance des entreprises d’origine britannique qui est également en cause. Au regard du mouvement parallèle de désengagement de l’Etat et de l’internationalisation de l’actionnariat, il n’est pas surprenant de voir un ministre britannique de la Défense constater, comme l’a fait Geoffrey Hoon, que « BAE Systems n’est plus britannique ». En effet, compte tenu de l’approche purement mercantile de l’entreprise, résumée par son directeur général en ces termes « nous allons où se trouve l’argent, les marchés et les dépenses publiques de demain », l’américanisation de BAE Systems fut inévitable.

Ce qui a conduit à un formidable retournement de la situation, car le gouvernement de Londres, loin de pouvoir compter sur cette entreprise stratégique, est lui-même mis sous pression. Ce fut notamment le cas au moment des discussions européennes sur une éventuelle levée de l’embargo contre la Chine à laquelle le Royaume-Uni était favorable à l’origine. Les dirigeants de BAE Systems ont aussitôt précisé que pour appliquer une telle décision, ils auraient besoin de l’autorisation de Washington, au même titre que de celle de Londres. En y ajoutant, comme si ce n’était pas assez, que « En tant que société, nous sommes bien entendu préoccupés par l’impact de ces mesures sur les Etats-Unis. Nous espérons fortement que le gouvernement britannique fera tout ce qui est dans son pouvoir pour s’assurer que l’administration américaine ait le sentiment que nous soutenons son point de vue ».

Certes, Londres n’a pas besoin de BAE Systems pour lui rappeler sa dépendance par rapport à l’Amérique. Le Livre blanc de 2003 stipulait déjà que le Royaume-Uni n’envisageait de s’engager dans une opération militaire d’envergure qu’aux côtés des Etats-Unis. Il est vrai que c’est également devenu une nécessité au fil des réductions successives des capacités proprement britanniques. Comme l’avait observé Rodric Braithwaite, ancien président du Comité de Renseignement de Sa Majesté : « Les forces britanniques seront sans doute en mesure de continuer à fonctionner de manière indépendante dans des opérations mineures anti-insurrectionnelles ou de maintien de la paix. Mais dans tout ce qui ressemblerait à une vraie guerre, ils ne pourront opérer qu’en faisant partie intégrante de forces américaines, sous commandement américain et au service d’intérêts américains ».[28]

Ce constat cruel n’est que la traduction, sur le plan opérationnel, de l’extraordinaire dépendance industrielle et technologique dans laquelle le Royaume-Uni s’est enfermé par rapport aux Etats-Unis. Et ce en dépit d’une longue série d’expériences négatives, depuis l’annulation unilatérale du missile Skybolt par Washington en 1962, jusqu’aux actuelles inquiétudes et déceptions avec le programme Joint Strike Fighter, dont la configuration fait que la maintenance, la modernisation et l’entraînement resteront sous stricte tutelle américaine, sans parler des paramètres techniques eux-mêmes qui font dire à l’américain Bill Sweetman (rédacteur en chef de Defense Technology au groupe Aviation Week et l’auteur, entre autres, de deux livres spécifiquement consacrés au F-35) que « ce n’est pas seulement un avion optimalisé pour opérer en coalition, c’est difficile de voir comment il pourrait opérer du tout sans un soutien américain direct et constant ».[29]

Le choix du matériel américain est par ailleurs générateur de surcoûts aussi substantiels qu’imprévisibles sur lesquels le gouvernement britannique n’a strictement aucune prise. Ce fut le cas, entre autres, pour le revirement forcé de Londres en matière de porte-avions, avec l’annonce, en mai 2012 de l’abandon du projet d’un porte-avions à catapultes.[30] Il s’est avéré par la suite que Washington avait tenu à ce que le système de catapulte électromagnétique (EMALS), conçu aux Etats-Unis, soit acheté via le Foreign Military Sales, avec une surcharge de 7%, en même temps que de vouloir garder le contrôle de son intégration sur le bâtiment, le HMS Prince of Wales en l’occurrence.[31] Encore plus récemment, l’annonce par le Pentagone de la décision de modernisation des hélicoptères Apache signifie que le soutien technique pour la flotte britannique d’Apache, touchera à sa fin en 2017. Ce qui contraint Londres soit d’accepter sans mot dire les coûts de modernisation dans les plus brefs délais, soit de retirer ses Apache avant l’heure alors qu’ils ont été prévus pour rester en service jusqu’en 2040 et s’engager dans l’acquisition d’autres appareils.[32]

Ce qui nous conduit à une dernière réserve de taille par rapport au bien-fondé de l’approche britannique. A savoir qu’en plus de détruire les capacités industrielles, mettre en péril les exportations, affaiblir la position des pouvoirs publics et accroître la vulnérabilité du pays, la recherche de la « best value for money » a plus à voir avec l’idéologie qu’avec de réelles économies. On a vu, au sujet des Apache, comment l’acquisition « sur étagère » finit par devenir beaucoup moins rentable qu’il n’y paraît de prime abord. A ce propos, un échange particulièrement instructif eut lieu au Parlement britannique, comparant les coûts à attendre respectivement d’un éventuel développement en coopération européenne d’un drone similaire au Predator américain et l’achat « sur étagère » du système américain. A l’argument de la facilité d’un investissement initial moindre, s’est opposé le constat, basé sur l’exemple du JSF, que « les estimations originales sont très différentes des réalités auxquelles les clients doivent maintenant faire face ».[33]

En suivant encore plus concrètement le cheminement de l’argent public, les parlementaires britanniques ont été interloqués par les conclusions minutieusement chiffrées d’une étude du RUSI (Royal United Services Institute). Il y est démontré notamment qu’un contrat du MoD rempli par l’industrie britannique fait retourner 36% de la valeur du contrat au gouvernement sous forme de taxes et de paiements d’assurances.[34] Par conséquent, si le véritable souci du gouvernement de Londres est de faire des économies, loin de vouloir systématiquement faire appel à la « compétition ouverte », il devrait plutôt inclure ce chiffre dans l’appréciation de tout appel d’offres où une entreprise étrangère est en concurrence avec une société britannique.

Cerise sur le gâteau, en plus d’être coûteuse et contreproductive, l’approche du Royaume-Uni rend la coopération entre Européens de plus en plus difficile, voire impossible. Certes, l’idée d’une collaboration plus poussée avec la France ressurgit de temps en temps, en particulier quand la dépendance unilatérale par rapport à l’Amérique devient trop pesante. Mais ce n’est pas un hasard si la dernière initiative en ce sens, à savoir le traité franco-britannique de Lancaster House de novembre 2010, quoique considéré comme prometteur sur le nucléaire et les forces expéditionnaires conjointes, peine toutefois à démarrer sur le volet « armement ». Outre les divergences doctrinales, toujours difficiles à harmoniser, d’autres obstacles, et non des moindres, tiennent uniquement à des choix politiques.[35] C’est ainsi que, à l’instar d’un BAE Systems de plus en plus verrouillé dans son carcan américain, le traité de défense bilatéral entre Londres et Washington (UK-US Defence Trade Treaty) contribue à réduire considérablement les options britanniques.

Quant à la position du gouvernement britannique lors des négociations BAE-EADS, Londres, fidèle à ses dogmes, fut tellement en phase avec les instigateurs industriels du projet que l’on aurait pu les confondre. Il ne fut intéressé que par la restriction maximale de l’influence étatique dans le nouvel ensemble, espérant ainsi le rendre tout aussi attrayant que BAE Systems pour les autorités américaines. Sa seule préoccupation consistait donc à s’assurer que les considérations politiques soient éradiquées autant que possible de la nouvelle entreprise. Une obsession parfaitement résumée par l’ancien ministre des finances Alistair Darling : « Il existe un danger que les décisions concernant les activités commerciales et de défense soient prises sur des bases politiques, plutôt que sur ce qui est le mieux ». Le problème, c’est que s’agissant du secteur stratégique de l’armement, même les parlementaires britanniques semblent de moins en moins convaincus par la définition apolitique du « mieux » par leur propre gouvernement.

DEUX QUESTIONS CLIVANTES

Comme on a pu le constater, le rôle de l’Etat dans la production de l’armement et l’acceptation ou le refus de la dépendance par rapport à l’Amérique sont au coeur des divergences entre les trois pays. Ce sont les deux faces de la même médaille : moins il y a d’interférence étatique (européenne) dans une entreprise, plus il lui sera facile d’accepter celle, extrêmement étendue, rigoureuse et exclusive, des pouvoirs washingtoniens ; c’est le prix à payer d’avance pour être présent sur le marché de défense américain.

« Etat versus marché »

La question du rôle des Etats européens dans l’industrie d’armement fut omniprésente dans l’affaire EADS-BAE pour deux raisons. Premièrement, l’ambition assumée de l’opération fut d’évincer les Etats français et allemand sous prétexte d’en arriver à « une entreprise ordinaire » fonctionnant sur un mode de « gouvernance normale ». Deuxièmement, de l’aveu même de Thomas Enders, même si la manoeuvre EADS-BAE a échoué, il a obtenu ce même résultat au sein d’EADS deux mois plus tard, au moment de la renégociation du pacte de partenariat.[36]

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que partout en Europe « le modèle de régulation administrée a prévalu jusqu’à la charnière des années 1980-1990, avec des traits communs significatifs. La place prééminente de l’Etat était la règle, jusque dans la propriété du capital des firmes : à l’exception historiquement compréhensible de l’Allemagne, l’importance du secteur public était générale aussi bien en Grande-Bretagne qu’en France, en Italie, en Espagne ou en Suède. »[37] Ce n’est qu’à partir des années 1980 que, sous l’effet de la « triple mutation » un nouveau modèle s’est imposé, s’affranchissant de plus en plus du contrôle étatique, et mettant prioritairement l’accent sur l’offre privée. Or la tension qui est manifeste entre la logique dominante de la valeur immédiate pour l’actionnaire, accompagnée d’un mouvement de globalisation d’une part, et la nature même du secteur de l’autre, fait aujourd’hui apparaître les limites inhérentes des privatisations à outrance et la nécessité d’un retour de la puissance publique. Aux considérations politico-stratégiques traditionnelles telles que la sécurité d’approvisionnement et la limitation des dépendances s’ajoutent l’augmentation exponentielle des dépenses R&T et une extension considérable de la séquence conception - développement - durée de vie, nécessitant elles aussi une approche à long terme qui dépasse, de loin, la logique purement financière.

Finalement, avec la contraction des budgets militaires en Europe et l’internationalisation-diversification des activités des sociétés, le risque devient réel de ne plus pouvoir compter sur la loyauté des entreprises qui sont guidées désormais par le seul volume des commandes.[38] Or il s’agit d’entreprises pourtant créés par les Etats, et qui sont jusqu’à nos jours souvent tenues à bout de bras par ceux-ci, donc, in fine, grâce à l’argent du contribuable. Etant donné que toutes les puissances, et les Etats-Unis en premier, s’arment de régulations et de dispositions draconiennes pour s’assurer de la fiabilité de leurs productions et de l’approvisionnement d’armement à long terme, ce qui se passe en Europe, en l’occurrence chez EADS, va à contresens. Sans vouloir entrer dans les détails du nouvel accord de participation arrêté en décembre dernier, ni dans le bras de fer auquel donnent lieu les nominations en cours au conseil d’administration, la tendance est claire. Et il est difficile d’y voir autre chose que des abdications nouvelles.

« L’Europe versus l’Amérique »

La seconde ligne de clivage oppose, sans surprise, d’une part la France, traditionnellement la plus sourcilleuse sur les questions d’indépendance et, de l’autre, ses partenaires britannique et allemand dont le tropisme atlantiste est manifeste, qu’il s’agisse d’achats d’équipements, de productions sous licence ou des tentatives de coopération avec Washington à la manière MEADS ou Joint Strike Fighter, sans parler de l’encouragement des acquisitions-fusions avec des entités américaines. Dans le monde des entreprises, BAE Systems constitue, sans conteste, l’exemple le plus abouti de cette approche « transatlantiste ». Quelques années seulement après le lancement de sa stratégie de « conquête » du marché américain, avec la création d’une filiale américaine BAE Systems Inc., c’est BAE Systems qui se retrouve conquise. A force de se conformer aux réglementations imposées par les autorités de Washington, c’est l’ensemble de la société qui a fini par devenir « de facto américaine ».[39]

En effet, un Special Security Agreement (qui gouverne toutes les activités de BAE Systems aux Etats-Unis) favorise, en nombre et en privilèges d’accès, les administrateurs de citoyenneté américaine nommés par Washington et impose un cloisonnement total entre la maison mère et sa filiale. D’après Mike Turner, ancien patron de BAE : « les membres britanniques de la direction de l’entreprise, moi y compris, peuvent regarder les résultats financiers, mais beaucoup de domaines concernant la technologie, le produit, le programme nous restent invisibles ».[40] Autant pour le dégagement de synergies. Et le tout ne vient qu’en complément aux autres restrictions s’appliquant à des programmes individuels, telle ITAR (International Traffic in Arms Regulations) ou TTA (Technology Transfer Agreement, pour le Joint Strike Fighter notamment).

La mutation américaine de BAE Systems se traduit également par un déplacement progressif du centre de gravité de l’entreprise du Royaume-Uni vers les Etats-Unis. Comme le note le chercheur Hélène Masson, « aujourd'hui, BAE Systems Inc. ne consolide pas uniquement les activités de BAE Systems sur le territoire américain. Ses deux principales branches d'activités, armement terrestre et électronique/avionique/C4ISR[41], sont toutes deux dirigées depuis les Etats-Unis ».[42] Signe anecdotique, certes, mais qui n’en est pas moins éclairant : les membres britanniques du personnel de BAE Systems racontent souvent volontiers qu’ils sont traités comme des espions quand ils vont rencontrer leurs confrères américains aux Etats-Unis.[43] Plus généralement, l’américanisation de BAE Systems pose des problèmes de plus en plus sérieux pour d’éventuelles coopérations européennes. L’entreprise n’a plus grand-chose à y apporter dès lors que la majeure partie de ses atouts et de ses activités se trouve structurellement verrouillée outre-Atlantique.

C’est donc ce modèle, pour le moins contestable, mariant un désengagement des Etats européens et une pénétration-dissolution dans le système américain, qu’EADS s’était fixé comme exemple à suivre. Soit par la voie royale, grâce à la fusion envisagée en automne dernier, soit par un chemin plus long, qui poursuit simultanément la restructuration du capital et l’expansion américaine, cette dernière ayant pris un nouvel élan avec l’annonce de l’ouverture d’une chaîne d’assemblage en Alabama. En effet, après les grands mouvements de consolidation du secteur d’armement américain au milieu des années 1990, Norman Augustin[44] identifia la nouvelle cible par sa fameuse phrase : « L’Europe est la prochaine étape ». Il s’avère qu’il n’en ait nullement besoin. Les Européens se portent volontaires pour aller au-devant de leur propre incorporation, et ce malgré le contexte de concurrence politico-industrielle transatlantique dans lequel nous nous trouvons.[45] Or, si la compétition est déséquilibrée dès le départ, ce n’est pas pour des questions d’avance technologique, d’écarts budgétaires ou de taille critique, mais pour des raisons purement politiques. L’un des partenaires a un sens aigu de ses intérêts et met en oeuvre tous les dispositifs et mesures réglementaires destinés à les promouvoir. L’autre acquiesce, sans même oser penser une politique semblable.

Parmi tous les Européens, les Britanniques sont sans doute les mieux placés pour en apprécier tous les effets. Pour un ancien ministre d’Etat pour le Commerce et l’Investissement : « Les Américains prétendent qu'ils sont libres et en faveur de la levée des obstacles au commerce, mais la réalité est qu’ils sont de grands hypocrites. Les Américains disent qu'ils sont nos amis, mais ils nous traitent comme des étrangers. Nous nous sommes battus au coude à coude avec eux en Irak, mais nous sommes traités comme le reste des Européens, comme une sorte d'étrangers ».[46] De son côté, l’Association britannique des industriels de défense et de sécurité met en avant le manque de réciprocité. Pour eux « Les Etats-Unis ont une politique "Buy American" qui est un protectionnisme avec un petit "p". Ils ont fait beaucoup pour s’assurer que nous ne puissions pas leur vendre nos 500 avions ravitailleurs, même si nous avons remporté le contrat deux fois ; ils ont continué à nous faire revenir, jusqu'à ce qu’ils aient fini par gagner. Par contre, ils trouvent normal de vendre des Chinook C-17 au Royaume-Uni pour du cash ».[47] Quant à la question des transferts de technologies, Nick Witney, ancien haut fonctionnaire aux ministères des Affaires étrangères et de Défense britanniques n’a pas caché son mécontentement quand il s’est exprimé en sa qualité de chef de l’Agence européenne de défense : « Je trouve pour le moins troublant que les technologies européennes de défense circulent librement vers les Etats-Unis, tandis que la technologie américaine ne circule pas dans l'autre sens ».[48]

C’est encore lui, accompagné de son co-auteur l’américain Jeremy Shapiro, aujourd’hui conseiller spécial auprès du Secrétaire d’Etat adjoint aux affaires européennes, qui a tiré les leçons de ce déséquilibre : « Sous une forme ou une autre, la "préférence européenne" pourrait et devrait être pris en compte pour la passation des marchés de défense - tout comme les Européens devrait se montrer plus actifs pour la production d’armement qui serait exempte, autant que possible, de composantes américaines et du droit de veto américain qu’elles impliqueraient sur les exportations européennes. L’Europe devrait également chercher à protéger ses propres compétences dans les technologies clés. »[49] Vaste programme. Le problème, c’est que jusqu’ici les initiatives prises au sein de l’Union européenne et a fortiori dans le cadre de l’OTAN vont dans la plupart des cas à contre-courant.

UN SEUL ET MEME ENJEU

En schématisant, on peut considérer qu’il existe deux visions sur la nature de ce qu’il est convenu d’appeler « l’Europe de la défense ». La première la considère comme un aboutissement, en termes politico-stratégiques (et non pas bureaucratico-institutionnels), de la construction européenne ; la seconde y voit le couronnement de la transatlantisation,[50] dans la mesure où la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) aurait vocation à servir d’auxiliaire et/ou à devenir un département civil de l’OTAN. Or la poursuite de l’une ou l’autre option conditionne en grande partie l’avenir de nos industries d’armement. Quoi que l’on puisse faire pour ligoter la PSDC, doper l’OTAN et promouvoir la soi-disant coopération entre les deux, la donne fondamentale reste inchangée. Du moment où il existe une composante « défense » dans les cadres de l’UE, et que cette composante « défense » comporte une dimension militaire proprement dite, les deux organisations sont comme les émanations des deux visions et se retrouvent donc fondamentalement en compétition.

L’OTAN, cheval de Troie

Par sa seule existence, l’OTAN sert de prétexte à ceux qui désirent bloquer les démarches spécifiquement européennes en stigmatisant les soi-disant « doubles emplois ». Or, comme le note l’ancien chef de l’Etat-major de l’UE : si « le souci de la complémentarité s’est exprimé en termes de non-duplication, c’est-à-dire de restrictions imposées aux capacités de l’UE (…) en réalité, l’UE et l’OTAN ne sont que des cadres d’engagement internationaux dont les forces proviennent des Etats membres. La seule duplication nécessaire est donc celle des chaînes de commandement et des moyens de communication qui leur sont rattachés, ce qui représente un faible investissement ».[51] N’empêche qu’elle est présentée comme du pur gaspillage. Or ce n’est pas trahir un secret que de remarquer, comme l’a fait un autre général français, lui aussi avec son lot d’expérience à l’UE, que « les intérêts européens ne se confondent pas toujours avec ceux de l'OTAN et donc des Etats-Unis, comme nous pouvons le constater au Mali ».[52]

Ces simples constats ne font que souligner à quel point il faut rester vigilant face à tout ce qui peut venir comme initiative de la part de l’Alliance. C’est d’ailleurs la conclusion récurrente dans le rapport qu’Hubert Védrine adressa à la mi-novembre dernier au Président François Hollande.[53] Qu’il s’agisse de programmes (comme la défense antimissile balistique), d’initiatives capacitaires (comme la « Défense intelligente »), de propositions de financement commun ou de risque de « phagocytage conceptuel et théorique », l’ancien ministre des Affaires étrangères ne cesse d’y réitérer les mises en garde.

Arrêtons-nous un instant sur ce dernier point. Et jetons un coup d’oeil sur l’ACT (Commandement allié pour la transformation) qui est comme la tour de contrôle conceptuel-capacitaire de l’Alliance. Installé à Norfolk, en Virginie, l’ACT conduit ses travaux dans l’orbite du Département de la Défense, plus particulièrement dans celui des équipes qui y sont chargés de la « transformation », autrement dit de la mise en oeuvre de la RMA (révolution dans les affaires militaires).[54] Or le concept même de la « transformation » est tout sauf innocent. C’est l’un des principaux promoteurs de la RMA, l’amiral Owens, qui nous confirme la portée politique, pour les alliés, de l’adoption de ses postulats : « Nous pouvons établir une nouvelle relation [avec nos alliés] qui soit fondée sur l’avantage comparatif dont disposent les Etats-Unis dans les domaines du C3I, de la surveillance et de l’acquisition de cibles et dans les armes à guidage précis. Ces outils offrent une marge de supériorité et sont attractifs pour toutes les nations, mais ils sont très coûteux à développer; [pour les Européens, désireux] d’en bénéficier sans avoir à en supporter le coût, la coopération avec les Etats-Unis devient attractive. Cela offrira à ces derniers un droit de regard sur la politique de défense de nos alliés».[55]

Outre cette implication politico-stratégique majeure, les initiatives de l’OTAN ont également un double effet de siphonage des budgets européens déjà en forte baisse, au service, autant que possible, de la revigoration des industriels américains. La « Défense intelligente » est l’illustration parfaite de ces risques. Lancée en réaction au projet « Partage et mutualisation » de l’Union européenne, elle est vue par beaucoup comme « une machine de guerre de l’industrie américaine ». D’après le sénateur Jean-Louis Carrere, il s’agit d’un « mouvement qui sous couvert de rationalité nous conduirait peu à peu à la disparition de nos industries. Les exemples du JSF aujourd'hui et de la DAMB demain nous montrent les dangers d’une méthode qui pourrait consister à assécher les budgets nationaux par la participation à ces projets ».[56]

L’ambassadeur de la France auprès de l’OTAN dit connaître les craintes que suscite la « Défense intelligente ». Il admet volontiers : « Je ne suis pas naïf sur les intentions des industriels américains, d'autant plus enclins à trouver des débouchés supplémentaires parmi les Alliés européens que le budget du Pentagone baisse ». Mais il croit « nuancer cette vision », en précisant que la plupart des projets de la « Défense intelligente » portent moins sur l’achat de matériel que sur le développement de doctrines et de standards.[57] Comme si ce n’était pas justement le point de départ d’une politique téléguidée depuis les rives du Potomac. En répondant aux critiques selon lesquelles « la politique de standardisation de l'OTAN est définie par les Etats-Unis et qu'elle profite à l'industrie de défense américaine », le commandant de l’ACT concède prudemment que « c’est peut-être vrai en partie aujourd'hui ». Mais, il y ajoute tout de suite cette sempiternelle réserve selon laquelle « il appartient aux Européens de s'organiser et de s'impliquer davantage ».[58] Au vu des résultats des soixante dernières années, on ne peut que leur souhaiter bon courage. Surtout quand ils viennent d’acquiescer à un projet gigantesque comme la DAMB, qui est, aux dires de Robert Hunter (directeur du Centre d’études de sécurité transatlantiques à la NDU et ancien ambassadeur américain à l’OTAN), simplement « un non-sens ».[59]

S’agissant de l’assèchement des budgets nationaux au profit de solutions et de programmes définis et fournis par d’autres, l’autre danger clairement identifié réside dans les tentatives d’extension du financement commun de l’Alliance à l'acquisition de nouvelles capacités « possédées et opérées par l'OTAN ». Sur ce point, la France est « en désaccord fondamental », car elle estime que « ce n'est pas, du point de vue de la France, le rôle de l'OTAN de se substituer aux responsabilités des Nations dans l'acquisition et le maintien de leurs capacités ».[60] En effet, cela signifierait une perte nette de souveraineté par rapport au système actuel basé sur la contribution « en nature » des alliés. Tout compte fait, le sénateur Carrere n’a certainement pas tort quand, en évoquant les programmes et initiatives de l’Alliance, de même que les liens financiers de plus en plus étroits entre industriels européens et américains, il évoque le spectre d’un cheval de Troie.

L’Union européenne, solution à double tranchant

Si la PSDC est supposée servir de cadre à l’autre option, spécifiquement européenne, elle est aujourd’hui, pour reprendre les mots d’Hubert Védrine « surtout du papier et des procédures. (…) ce sont des petites initiatives humanitaires, sympathiques du reste, où l’Europe - gentille fille - rend service ».[61] En effet, la défense européenne se condamne à ne faire que de la figuration et/ou de la sous-traitance tant qu’elle restera autolimitée par les préférences atlantistes et pacifistes des Etats membres de l’UE. Et ce à la fois au niveau de la planification et du commandement (refus d’un quartier général opérationnel au motif qu’il ferait double emploi avec l’OTAN), des achats d’équipement (l’essentiel des ressources continue d’être aspiré par des projets et du matériel made in US), ou encore sur le plan des doctrines d’emploi des forces (vision quasi uniquement civile de la PSDC en complément d’une Alliance basée sur une vision complètement américanisée). Or en théorie, les institutions et les opérations de la PSDC auraient dû, ce fut l’idée originelle, faciliter tant la prise de conscience des déficits capacitaires que la convergence des doctrines d’emploi, contribuant ainsi à l’harmonisation des besoins opérationnels en aval. Le tout culminant dans des programmes en coopération et le renforcement d’une BITD conforme à nos intérêts et à nos conceptions. Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous sommes loin du compte.

A ce propos, il convient de faire deux remarques par rapport au « pivot » américain, souvent interprété comme un éventuel « adjuvent » à la défense européenne. Logique, ce scénario optimiste mérite néanmoins d’être mis en perspective. Premièrement, les incantations encourageantes des Etats-Unis pour que leurs alliés prennent soi-disant plus d’autonomie montrent vite leurs limites. Comme le note Witney avec son co-auteur Olivier de France : « Les États-Unis n'attendent certes pas des Européens qu'ils agissent en toute indépendance vis-à-vis de Washington. Ils voudront que l’action transatlantique demeure pleinement coordonnée et que subsiste une interopérabilité aussi étendue que possible entre les forces et les capacités de façon, en particulier, à permettre l'utilisation d'équipements américains. »[62]

Deuxièmement, l’annonce de la réorientation stratégique américaine vers l’Asie qui, de toute évidence, confirmait les thèses « euro-gaullistes » aurait donc normalement dû conduire à une remise en cause de l’option ultraatlantiste des partenaires de Paris. Force est de constater que ce n’est pas le cas jusqu’ici. Au contraire, plus l’Amérique semble s’éloigner, plus les Européens s’empressent de lui donner des gages, en espérant ainsi rester dans ses bonnes grâces. Au lieu d’une reprise en main de notre autonomie, on assiste donc plutôt à une crispation atlantiste.

Dans ce contexte, on se contentera d’évoquer, exemples à l’appui, les deux niveaux d’action concrète à l’échelle européenne. Le premier, celui de la méthode communautaire, s’est distingué dernièrement par l’initiative connue sous le nom de « paquet défense ». Or celui-ci, et en particulier son volet Marchés publics de défense et de sécurité (MPDS), est une parfaite démonstration de l’inaptitude de l’approche communautaire, (dont les décisions contraignantes se prennent sur proposition de la Commission et avec l’aval des Etats membres) à identifier les sujets les plus stratégiquement sensibles, puis à les aborder en conséquence.[63]

D’une part, la directive MPDS semble ignorer que, dans ce secteur, l’écrasante majorité des investissements R&D sont financés par les gouvernements, qui en attendent, outre le produit final, des retombées dans divers domaines dont celui des emplois. L’ouverture à la compétition risque donc d’avoir un effet décourageant en matière d’engagement financier des Etats. D’autre part, comme à l’accoutumée, l’ouverture intra-européenne ne s’accompagne pas de mesures de protection appropriées, à l’encontre d’Etats tiers. Certes, le régime dérogatoire de l’article 346 TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) est maintenu afin de préserver les intérêts essentiels pour la sécurité nationale, même s’il est sujet à une interprétation de plus en plus restrictive de la part de la Cour européenne de justice. Mais la directive elle-même n’instaure aucun dispositif de protection, laissant à chaque Etat membre le droit de décider si oui ou non il souhaite ouvrir ce nouveau « marché commun » à des tiers.

Ce n’est donc pas un hasard si, lors de la transposition de la directive, la première inquiétude des parlementaires français concernait la capacité de leur pays de se préserver de la concurrence non-européenne et de ne pas tomber dans le piège des entreprises « faux nez ». Il s’agit de « ces entreprises domiciliées dans un Etat membre de l’Union européenne et qui dissimulent, en réalité, des entreprises immatriculées dans des Etats extérieurs à l’Union, ce qui contrarie la double exigence de sécurité de l’information et de l’approvisionnement propre aux marchés de sécurité et de défense ».[64]

L’autre niveau d’action est celui des initiatives intergouvernementales, parmi lesquelles le Commandement du transport aérien européen (CTAE/EATC) est l’exemple le plus abouti en matière de mutualisation et de partage. Inauguré en septembre 2010, le CTAE a permis à la France, dès le mois de décembre de la même année, d’envoyer trois compagnies de combat en Côte d’Ivoire en utilisant des avions néerlandais, belges et allemands. Le CTAE a également joué un rôle majeur lors de l’opération Harmattan en Libye, et est fréquemment sollicité aujourd’hui pour l’opération Serval au Mali.[65] Le succès du CTAE s’explique en particulier par le respect de la souveraineté, notamment grâce au principe de réversibilité. Conformément à la procédure dite de Reverse Transfer of Authority, « en l’absence d’engagement national, ces moyens peuvent être mis à la disposition de partenaires selon des modalités prévoyant une reprise sous commandement national en cas de besoin ».[66]

En simplifiant, on pourrait considérer que ces deux exemples – le « paquet défense » et le CTAE - représentent, à leur manière, deux réponses fondamentalement différentes aux questions de capacités et d’armement. Celles-ci peuvent être traitées soit sous l’angle de la fusion, soit sous celui de la coopération. Or en l’absence d’une « préférence européenne », les opérations de type fusion, qu’il s’agisse de restructurations industrielles, de réglementations communautaires, ou de financements en commun, conduisent mécaniquement à une ouverture accompagnée d’un abandon de contrôle et de protection. A l’inverse, les coopérations, que ce soit des collaborations industrielles ad hoc, des initiatives intergouvernementales de partage sur base de réversibilité ou de contributions « en nature » à des opérations conjointes, permettent à chacun de préserver ses propres moyens de contrôle et de protection. Le choix des coopérations apparait donc comme une assurance-vie en quelque sorte, face aux fusions qui « présentent l’inconvénient de figer définitivement les situations », comme l’a fort justement remarqué le directeur général de Dassault Aviation.[67]

Quid de l’autonomie stratégique ?

Le contexte actuel constitue sans nul doute un défi formidable pour toute volonté stratégique, dans la mesure où il favorise ce double fléau de l’Europe que sont les dogmes atlantistes et pacifistes. Au regard des crispations atlantistes des gouvernements européens suite au « pivot » de l’Amérique (1), des tentatives d’émancipation poussée des industriels face aux Etats en contraction budgétaire (2), de l’intensification des pressions américaines en matière d’achat d’équipements militaires (3) et des exhortations des ministères des Finances en faveur des solutions à court terme (4), il importe de replacer, plus clairement que jamais, l’autonomie stratégique au coeur des réflexions sur la BITD. De ce point de vue, la fusion BAE-EADS aurait été un abandon de premier ordre. En même temps, comme on vient de le constater, son échec ne signifie point la fin des manoeuvres ni celle des propensions à l’abandon.

Dans ces conditions, il convient de faire preuve d’une extrême vigilance sur plusieurs points cardinaux. D’une part, en ce qui concerne l’activité des firmes européennes aux Etats-Unis, l’exemple de BAE Systems est un rappel précieux. Dès lors qu’une de nos entreprises stratégiques se retrouve dans le champ d’attraction du Pentagone, la restructuration à la fois de son organisation interne et de sa liste des priorités finira par restreindre considérablement nos options. Les dispositions du type « Buy American Act », avec leur corollaire d’obstacles devant l’accès au marché de défense américain sont donc une aubaine inespérée pour l’Europe. Plutôt que d’encourager leur démantèlement, il faudrait en remercier le Congrès et le Pentagone. Car si nos entreprises pouvaient accéder au marché américain plus facilement, toutes s’y précipiteraient immédiatement, et deviendraient « de facto américaines » en peu de temps. D’autre part, un réengagement de puissances publiques au sein des entreprises stratégiques s’impose, à la fois pour contrebalancer le poids décroissant de leurs activités strictement militaires et le poids croissant des clients non-européens, de même que pour assurer la pérennité des investissements « R&T ». Inutile de préciser que la ligne actuelle poursuivie par la direction d’EADS, tant en matière d’expansion sur le marché américain que sur la place des pouvoirs publics, va dans le sens opposé.

Pour ce qui est de la défense européenne, sa relance préconisée par la France n’a de sens que si elle se fait avec un recentrage sur les questions d’armement, y compris tout ce qui les sous-tend comme les doctrines d’emploi des forces. Elle doit notamment se frayer un chemin entre la civilianisation rampante de la PSDC (que l’on constate à la fois au niveau des opérations, des institutions et des ambitions) et l’américanisation de l’OTAN (laquelle privilégie un mode d’action découlant de la doctrine Powell « Shock and awe », qui consiste en des frappes à distance, sans intervention des troupes au sol, allant de pair avec la sur-technologisation et l’idéologie du « zéro mort »).[68] Une approche européenne de « la manière de faire la guerre » pourrait faciliter l’harmonisation des besoins opérationnels, point de départ de toute coopération ou d’achat d’équipements en commun. L’acquisition systématique de matériel états-unien, soit pour des raisons d’économies (à court terme), soit du fait de la transatlantisation industrielle, nous enfermerait dans des choix opérationnels et politiques propres à l’« American way of war ».

Finalement, à défaut de partenaires européens qui partageraient de façon unanime l’impératif d’autonomie stratégique, la prudence la plus élémentaire voudrait que la coopération (non pas la fusion) et la réversibilité soient les principes directeurs de toute initiative commune. De la même manière, les mesures d’ouverture intra-européenne de type communautaire sont aujourd’hui mécaniquement synonymes d’abandon, à moins de les entourer d’emblée de dispositifs de protection. De ce point de vue, on pourrait profiter de l’apparition de nouveaux acteurs (comme la Chine à la recherche d’investissements) ou de nouveaux secteurs (comme l’énergie) dans les réflexions sur la sécurité européenne, afin de sensibiliser les partenaires de la France à l’importance de la protection des atouts stratégiques. En même temps, on devrait pouvoir invoquer le « pivot » américain, pour insister sur l’importance d’une démarche et d’une option spécifiquement européennes. En somme, pour toute entreprise et projet en commun, l’exigence de l’autonomie stratégique doit être non seulement considérée, mais aussi explicitée désormais sans relâche, comme la condition préalable.

***

[1] BAE Systems résulte de la fusion de BAE et de Marconi Electronic Systems le 30 novembre 1999. La société compte 107.000 personnes et présente un chiffre d’affaires de 22,4 milliards de Livres sterling en 2009.
[2] La société de droit néerlandais EADS a été créée le 10 juillet 2000. Elle est le résultat de la fusion de la société constituée en 1999 entre l’Aérospatiale (société d’Etat) et Matra (Lagardère) avec Daimler Chrysler Aerospace AG (DASA) et Construcciones Aeronautica SA (CASA). En 2008 la société compte 120.000 personnes avec un chiffre d’affaires de 49 milliards d’euros en 2011.
[3] Jean-Paul Hébert, « D’une production commune à une production unique ? La coopération européenne en matière de production d’armement comme moyen de renforcement de l’autonomie stratégique européenne » (tableau sur la « Répartition par pays et par forme de coopération »), In Jean-Paul Hébert – Jean Hamiot (dir.), Histoire de la coopération européenne dans l’armement, CNRS Editions, 2004., p.203.
[4] Propos de Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des Affaires européennes, dans un entretien avec l’Association française de la presse diplomatique (9 décembre 1997), et lors d’un déjeuner-débat organisé par la Chambre de commerce et d’industrie d’Indre-et-Loire (18 décembre 1997).
[5] Pour une analyse détaillée des raisons pour lesquelles une fusion BAE-EADS aurait mécaniquement conduit à un ensemble complètement sous contrôle américain (à la fois techniquement, structurellement et du point de vue de l’allégeance politique), voir Hajnalka Vincze, « L’échec de la fusion BAE-EADS : que reste-t-il après une trahison ? L’intention… », Theatrum Belli, 19 octobre 2012, http://www.hajnalka-vincze.com/Publications/186
[6] Adams – Ben-Ari – Logsdon – Williamson, Bridging the Gap, European C4ISR Capabilities and Transatlantic Interoperability, The George Washington University - National Defense University, octobre 2004, p22.
[7] Charles Barry - Hans Binnendijk, “Widening Gaps in U.S. and European Defense Capabilities and Cooperation”, Transatlantic Current, National Defense University, juillet 2012, p.12. Le papier fut initialement présenté à un séminaire du Département d’Etat américain en mars 2012.
[8] Général de Gaulle, discours prononcé lors de sa visite au Centre des Hautes Etudes Militaires et aux trois Ecoles de Guerre, le 3 novembre 1959.
[9] Jaques Perget, « L’européanisation de la politique industrielle du système français de production d’armement », in Pierre Pascallon – Jean-Paul Hébert (dir.), La politique industrielle d’armement et de défense de la Ve République : Evolution, bilan et perspectives, L’Harmattan, 2010 p. 89.
[10] Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, 2008, p.261. L’industrie de défense en France représente 17,5 milliards d’euros de chiffre d’affaire, dont 35% exportés, 165 000 emplois directs et indirects et quelque 50 000 emplois induits. Pour ce qui est des tendances, depuis 1990, le budget de la recherche a baissé de 60% et celui du développement de 70%. La France reste néanmoins le pays d’Europe qui investit le plus dans les technologies de défense. Les dépenses « Recherche et technologie » représentent environ 2% du budget de défense français, à comparer avec les 1,5% des Britanniques et à peine plus de 1% des Allemands. En même temps, les effectifs de la DGA, véritable tour de contrôle des questions d’armement, sont passés de près de 100 000 à l’origine à 10 400 aujourd’hui.
[11] Relance de la PSDC - Intervention de M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, devant les Ambassadeurs polonais, Varsovie, 26 juillet 2012.
[12] Paris s’est toutefois privé d’une bonne occasion de faire de la pédagogie sur un dossier pourtant crucial. Du côté français, Jean-Luc Mélenchon semblait être le seul à se prononcer sur les véritables enjeux : « Pour ce qui est de l’industrie de défense, cette fusion enterrerait donc toute velléité d’indépendance européenne face aux USA. » http://www.jean-lucmelenchon.fr  , billets du 22 septembre et du 21 octobre 2012.
[13] « Les tensions s'accumulent entre Berlin et EADS », Les Echos n° 21294 du 18 Octobre 2012.
[14] Defence Policy Guidelines (Safeguarding National Interests – Assuming International Responsibility - Shaping Security Together), Ministère fédéral de la Défense, Berlin, 18 mai 2011.
[15] Alors que le traité devait poser les fondations d’une Europe européenne, progressivement libérée de l’emprise américaine, le préambule réaffirmait le primat du lien transatlantique et l’ancrage de l’Allemagne dans l’OTAN.
[16] Colonel Jérôme Pellistrandi (Commandant de la Brigade Multinationale d’Appui au Commandement de l’Eurocorps), « La coopération européenne en matière d’armement : des échecs, peu de succès, » in Pierre Pascallon – Jean Paul Hébert (dir.), La politique industrielle d’armement et de défense de la Ve République : Evolution, bilan et perspectives, L’Harmattan, 2010, p192.
[17] Audition d’Hubert Védrine devant la Commission des affaires étrangères et la Commission des forces armées de l’Assemblée nationale, 3 octobre 2012.
[18] Idem.
[19] “German weapons for the world: how the Merkel doctrine is changing Berlin Policy”, par l’équipe du Spiegel, Der Spiegel Online International, 3 décembre 2012.
[20] Voir Hawranek – Dettmer – Beste, “Exports booming for German weapons manufacturers”, Der Spiegel Online International, 11 juillet 2011, et Demmer – Neukirch – Stark, “Arming the world for peace: Merkel’s risky weapons exports”, Spiegel Online International, 30 juillet 2012.
[21] “For the Leadership of Europe”, Spiegel Online International, 16 janvier 2006.
[22] Noah Barkin – Tim Hepher, “Special report: After merger collapse, fractured Europe faces new battle over Airbus”, Reuters, 8 novembre 2012.
[23] Tout au long des restructurations des années 1990, et en particulier lors de la création d’EADS, l’Allemagne pointe du doigt la tradition de l’Etat actionnaire en France, la désignant comme le principal obstacle à l’« européanisation », et insiste sur la nécessité des privatisations. Sa position fut réitérée entre autres dans un rapport gouvernemental (Rapport Lammert du 14 mai 1997), selon lequel : « L’Allemagne voit là dans des structures européennes relevant de l’économie privée une base déterminante pour une compétitivité à l’échelle mondiale ». Voir Yvon Collin, La restructuration de l’industrie aéronautique européenne, Rapport d’information au Sénat, 9 juin 1999. Outre cette opposition de principe, liée aussi au souci de se positionner au mieux sur un marché américain peu tolérant envers toute trace d’interférence étatique étrangère, aussi alliée qu’elle soit), la perspective de déverser des milliards d’euros pour entrer au capital d’EADS paraît peu séduisante en ces temps de crise. La Chancelière a par ailleurs ouvertement justifié sa décision « malgré tout » par la volonté de maintenir la parité franco-allemande. Voir « EADS doit encore convaincre qu'elle est une entreprise "normale" », Le Monde, 6 décembre 2012.
[24] National Security Through Technology: Technology, Equipment, and Support for UK Defence and Security, Ministère de la défense britannique, 1er février 2012.
[25] Defence Acquisition, House of Commons Defence Committee, Seventh Report of Session 2012-2013, volume I, le 5 février 2013.
[26] Audition de M. Peter Luff, ministre pour les Equipements, le soutien et la technologie de défense, devant La commission de Défense de la Chambre des communes britannique, le 15 mai 2012.
[27] Patrick Auroy, « The French Approach to a European Defense Industrial Base », European Affairs, Vol. 8, No. 2-3, été-automne 2007, cité dans Defence Acquisition Report, Ibid. p19.
[28] Rodric Braithwaite, « End of the Affair », in Prospect Magazine, le 20 mai 2003.
[29] Voir Hajnalka Vincze, « Brèves transatlantiques de janvier-février 2009 », http://www.hajnalka-vincze.com/Publications/180
[30] Au profit notamment d’un porte-avions à tremplin approprié uniquement pour la version F35-B du Joint Strike Fighter, à décollage court et atterrissage vertical.
[31] Francis Tusa, “U.K. muddies waters with its carrier decision”, Aviation Week & Space Technology, 2 juillet 2012.
[32] Giovanni de Briganti, « Buying US Weapons : Caveat Emptor Indeed », www.defense-aerospace.com  ,le 5 décembre 2012.
[33] House of Lords, EU Foreign Affairs, Defence ans Development Policy Sub-Committee, « Enquête sur les capacités militaires disponibles pour l’UE », audition de M. Bill Giles, directeur général pour l’Europe de BAE Systems, 1 décembre 2011.
[34] Trevor Taylor - John Louth, “The Destinations of the Defence Pound”, Royal United Services Institute, Briefing Paper, janvier 2012.
[35] Parmi les divergences d’ordre doctrinal, on peut citer le domaine du soutien logistique : ainsi pour les Britanniques, « un certain véhicule français » prend trop de temps pour changer de moteur, en raison d’un soutien logistique basé sur le retrait du véhicule du champ de bataille et l’entrée d’un autre, à la différence de la conception britannique qui veut un changement aussi rapide que possible, parce qu’elle compte maintenir l’équipement en position et y faire plutôt entrer les pièces de rechange.
[36] ‘Shards bring luck’: EADS searches for strategy after failed merger, entretien avec Thomas Enders, Spiegel Online International, 22 janvier 2013.
[37] Jean-Paul Hébert, « D’une production commune à une production unique ? » Op cit.. p.210.
[38] Ainsi, pour Cassidian, filiale de défense d’EADS, si les ventes hors d’Europe constituent aujourd’hui seulement un quart du total, son patron Stefan Zoller s’attend à ce que ce chiffre grimpe à 40% dans les prochaines années.
[39] Expression du directeur de Chatham House, Robin Niblett, cité par Marc Roche, BAE Systems assure qu’il ne cherchera pas d’autre partenaire, in Le Monde, le 10 octobre 2012.
[40] Rupert Neate, “Proposed BAE/EADS merger is biggest shake-up since cold war”, The Guardian, le 27 septembre 2012.
[41] Sigle en anglais pour « commandement, contrôle, communications, informatique, renseignement, surveillance et reconnaissance».
[42] Hélène Masson, « EADS - BAE Systems : défis, contraintes et opportunités d'un rapprochement, » Note n°9/12 de la Fondation pour la Recherche Stratégique, 8 octobre 2012.
[43] « The impact on UK Defence of the proposed merger of BAE Systems and EADS, Written Evidence », Commission de Défense de la Chambre des Communes, 23 octobre 2012.
[44] Norman R. Augustin est l’un des plus fins connaisseurs « interne » du système américain, pour avoir occupé tour à tour de hautes fonctions au Pentagone et le poste, entre autres, de président de Lockheed Martin Corporation.
[45] « La course aux armements entre les Etats-Unis et l’URSS se faisait sur fond d’éventuel affrontement militaire, principalement par les armes nucléaires, par la constitution d’arsenaux (course quantitative), et avec des technologies cachées (furtivité, espionnage électronique). Il est évident que la « course » actuelle entre Etats-Unis et Europe a des caractéristiques différentes : elle n’a pas de dimension d’antagonisme militaire ni même fondamentalement d’antagonisme idéologique. Elle ne porte pas principalement sur les armes nucléaires, mais plutôt sur la capacité industrielle dans l’ensemble aéronautique-espace-électronique. Elle est qualitative plus que quantitative. Elle utilise des technologies ostensibles, cherchant des effets de démonstration, au besoin même avec des technologies encore à l’état d’annonces ». Jean-Paul Hébert, « L’Europe de l’armement émerge lentement », in Alternatives Economiques, n° 198, décembre 2001.
[46] “CBI boss in US hypocrites blast”, 22 janvier 2006, http://www.thisismoney.co.uk/money/news/article-1596106/CBI-boss-in-US-hypocrites-blast.html
[47] Defence Acquisition, House of Commons, Defence Committee, Seventh Report of Session 2012-2013, volume I, le 5 février 2013, p27.
[48] EDA criticises the US, 6 juin 2005, http://www.euractiv.com/security/edacriticises-us-news-214001 
[49] Nick Witney - Jeremy Shapiro, “Towards a post-American Europe: A Power Audit of EU-US Relations,” European Council on Foreign Relations, novembre 2009, p64.
[50] Par transatlantisation, on entend ici le mouvement qui, en banalisant les différences entre l’Europe et l’Amérique, pousse dans le sens de leur rapprochement jusqu’à devenir un pôle quasi unique, sous la domination du meneur du jeu, c’est-à-dire les Etats-Unis. Le terme fut employé sur le plan de l’armement dans Yves Bélanger - Jean-Paul Hébert, « Vers la transatlantisation des industries de défense ? », in Christian Deblock et Sylvain F. Turcotte (dir.), Suivre les Etats-Unis ou prendre une autre voie ? Diplomatie commerciale et dynamiques régionales au temps de la mondialisation, Editions Bruylant, Bruxelles, 2003. La philosophie qui sous-tend cette transatlantisation est l’occidentalisme, longuement traité par Hubert Védrine dans son rapport adressé au Président Sarkozy en 2007. Selon cette ligne de pensée, « au fond nous serions avant tout des démocraties assaillies par les terroristes et menacées par la Chine, le nouveau ‘monde libre’ ». Pour la France, par exemple, ceci implique que « Le point de principe – la question de la cohérence occidentale – ne peut s'évaluer en avantages/inconvénients puisque c'est un point de principe, presque de doctrine. Il se justifie si la France se pense avant tout comme un pays occidental, avant d'être européen ou original ». Hubert Védrine, La France et la mondialisation : rapport au Président de la République, septembre 2007, pp 35-38.
[51] Général Jean-Paul Perruche, Pour une complémentarité UE-OTAN, in Boutherin – Goffi (dir.), L’Europe et sa défense, Choiseul, 2011, pp 241-251.
[52] Audition du Général Henri Bentégeat, ancien chef d’Etat-major des Armées (et président du comité militaire de l’UE entre 2006-2009), devant la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le 11 février 2013.
[53] Hubert Védrine, Rapport pour le Président de la République française sur les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la défense, 14 novembre 2012. 25 p.
[54] Petite erreur révélatrice, sur le site web de l’ACT (www.act.nato.int) ce n’est pas parmi les liens extérieurs mais sous la rubrique de l’Organisation interne que se trouve cité le US Joint Forces Command. Ce laboratoire américain de la « transformation » (d’où le nom même de l’ACT et le titre de son bulletin « The Transformer »), autrement dit de la mise en exécution de la RMA, fut récemment désintégrée et ses compétences transférée en août 2011 au directorat J7 de l’Etat-major (chargé des Operational Plans and Joint Force Development).
[55] Amiral Owens, « High Seas. The Naval Passage to an Unchartered World », Naval Institute Press, 1995, cité par Yves Boyer, « L’OTAN va-t-elle finir par “tuer” la politique européenne de défense ? », in Annuaire français des relations internationales 2010, (volume XI), Bruxelles, Editions Bruylant, 2010, p 711.
[56] Allocution de clôture par Jean-Louis Carrère, Sénateur des Landes, Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, à l’Université d’été de la Défense, Brest, 11 septembre 2012.
[57] Audition du M. Philippe Errera, ambassadeur, représentant permanent de la France à l’OTAN, devant la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le 22 janvier 2013.
[58] Audition du Général Jean-Paul Paloméros, commandant suprême allié chargé de la transformation (ACT) à l’OTAN, devant la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le 6 février 2013.
[59] Pour Hunter : « Arrêtons d’essayer d’imposer la défense antimissile aux Européens réticents, en détournant l’attention de sujets importants, en faveur de ce que nous savons être une exigence de politique intérieure américaine », voir Hajnalka Vincze, Brèves transatlantiques de l’été 2012, http://www.hajnalka-vincze.com/Publications/187
[60] Audition de l’ambassadeur Errera, Ibid.
[61] Relancer le moteur franco-allemand pour faire avancer l’Europe, interview avec Hubert Védrine in L’OURS hors série, juillet-décembre 2010.
[62] Olivier De France - Nick Witney, « Etude comparative des Livres blancs des 27 Etats membres de l’UE: pour la définition d’un cadre européen », Etudes de l’IRSEM N°18 – 2012, p.42.
[63] Directive 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil, 13 juillet 2009.
[64] Guillaume Fanouni-Farde, « Transposition de la directive défense » : Abitis, dulces caricae ? », in Revue de l’Union européenne, n°557, avril 2012.
[65] Voir sur le site d’EATC: « German Transalls safely arrived in Dakar », 20 janvier 2013, « EATC contribution to Operation Serval », 21 janvier 2013, « KDC-10 assisting Operation Serval », 11 février 2013, www.eatc-mil.com , et Nicolas Gros-Verheyde, « Les alliés au Mali : encombrants, inutiles, utiles ? Le vrai, le faux…, », site internet Bruxelles2 : http://www.bruxelles2.eu/zones/sahel/les-allies-au-mali-encombrantsinutiles-utiles-le-vrai-le-faux.html
[66] Capitaine de Frégate Philippe Valin, « Partage et mutualisation capacitaire face aux réalités », in Impetus (bulletin de l’Etat-major militaire de l’UE) n°14 automne/hiver 2012, pp 20-21.
[67] Charles Edelstenne, « Taille critique ou compétences critiques : la tentation du meccano », in Le Figaro, 4 janvier 2013. Pour illustrer les avantages de la voie de la coopération, Edelstenne évoque, sans surprise, l’exemple du drone de combat nEUROn.
[68] Pour le général Bentégeat, si cette forme d’action – illustrée entre autres par l’intervention en Libye - présente certains avantages militaires (éviter l’enlisement comme en Afghanistan, limiter les pertes amies), elle n’en comporte pas moins des inconvénients politiques (manque de contrôle sur les belligérants et donc sur le résultat final, caractère indispensable du soutien des Etats-Unis pour ce type d’opération, éventuels reproches de « néocolonialisme »). Audition du Général Henri Bentégeat devant la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le 11 février 2013.

 


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