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Saut dans l’inconnu – guide de la présidence Trump, par deux initiés

16 janvier, 2017
Brève
Hajnalka Vincze

Au lancement du numéro de janvier-février de la revue Foreign Affairs, deux pointures des débats stratégiques US se sont aventurées à faire des pronostics sur la façon dont va se définir la politique de sécurité nationale sous la nouvelle administration des Etats-Unis.[1]

Les discussions partent du constat selon lequel dans un ordre mondial déjà fragilisé apparaît soudain un président américain qui « semble plutôt content dans un monde anarchique ». Joseph S. Nye, créateur des concepts « soft power » et « smart power » (puissance douce et puissance intelligente) très en vogue au cours des dernières décennies,[2] ne cache pas son inquiétude. Pour lui, membre de la Defense Policy Board du Département de la Défense et de la Foreign Policy Board du Département d’Etat, les « contraintes institutionnelles » sont le seul espoir. En parlant de ces deux départements et de la communauté du renseignement, Joseph Nye remarque qu’il « ne voit pas ces institutions prêtes à prendre d’un seul coup une direction sauvage ». Elles seront donc là pour empêcher le président Trump de « détricoter » l’ordre international. Toutefois, à la question de savoir ce qui se passera si le président dit que l’OTAN est obsolète et que les dirigeants du cabinet et de l’état-major disent tous que l’OTAN est fantastique, M. Nye admet que « nous ne le savons pas ».


Crédits photo: Foreign Affairs

Pour enfoncer le couteau dans la plaie, en particulier pour les alliés baltes et polonais qui sont déjà aux aguets, Joseph Nye clôt son argumentaire en disant que, personnellement, il ne pense pas que D. Trump sera capable de détruire l’OTAN pour de bon, mais « who knows » (qui sait ?). Une incertitude qui devrait enfin bousculer les Européens.[3]

Justement, l’excellente Kori Schake réitère son argument selon lequel l’Amérique aurait dû « convaincre les Européens qu’ils sont suffisamment forts et capables pour faire face aux menaces par eux-mêmes ». En effet, cette universitaire républicaine fin connaisseur de l’OTAN, une ancienne du Conseil de sécurité nationale, du Pentagone et du Département d’Etat, a toujours été d’avis que : « Sans disposer de forces militaires véritablement autonomes, les besoins de l’Europe sont subordonnés aux priorités de l’Amérique. L’UE reste l’otage des préoccupations et du veto potentiel des Etats-Unis ».[4] Les gouvernements européens feraient mieux de regarder enfin cette réalité en face et d’agir dans cet esprit…

Dans tous les cas, Mme Schake reste très sceptique quant à l’efficacité de la machinerie Trump en matière de sécurité nationale. D’après elle, le scénario le plus probable, c’est le blocage général. Entre la bureaucratie qui ne sait pas ce que l’on attend d’elle, les Départements essayant de deviner la même chose, et la Maison-Blanche comme permanent ultime recours, « il pourra s’avérer très problématique d’arriver à faire quoi que ce soit dans l’administration Trump ». Et c’est là sans doute, dit-elle malicieusement, notre filet de protection.

Les deux experts-praticiens s’accordent pour dire que la première chose à observer va être l’évolution du Conseil de sécurité nationale (la NSC). Cette enceinte, qui n’a cessé de « se métastaser » sous les administrations Bush et Obama, est devenue « une petite copie des différents départements » auprès du président. Au point que, comme le fait remarquer M. Nye, « des jeunots de 27 ans peuvent passer un coup de fil au Secrétaire à la Défense et essayer de lui dire comment procéder aux déploiements dans la Corne de l’Afrique par exemple ». Pour que les institutions puissent jouer leur rôle de contrepoids, la NSC doit donc d’abord se rétrécir et retrouver sa taille normale. Autre variable : la relation entre le Secrétaire à la Défense, le général Mattis, et le Conseiller à la sécurité nationale. Car le lieutenant général Michael Flynn, moins gradé que James Mattis, « va pourtant souffler en dernier » à l’oreille d’un président dont on sait qu’il ne va pas lire les mémos (puisque, en règle générale, il ne lit pas)… Bref, comme le résume le rédacteur en chef de Foreign Affairs « l’incertitude est totale ».



[1] Foreign Affairs January Issue Launch: Out of Order? The Future of the International System, Council on Foreign relations, 17 janvier 2017.
[2] Joseph S. Nye, Bound to Lead: The Changing Nature of American Power (1990); Soft Power: The Means to Success in World Politics (2004); The Future of Power (2011).
[3] D. Trump, le meilleur allié de la politique européenne de la France, Brève, hajnalkavincze-com, 17 janvier 2017. 
[4] Kori Schake, “The United States, ESDP and Constructive Duplication”, in J. Howorth and J.T.S. Keeler (eds.), Defending Europe: The EU, NATO and the Quest for European Autonomy, Palgrave MacMillan, 2003,   pp.107-132.

 


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Tags:
etats-unis, relations transatlantiques


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