Theatrum Belli - 31 octobre, 2013
Article
Hajnalka Vincze
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Ces derniers jours, l’enchaînement d’accusations, de suspicions, de démentis et de révélations à répétition fait que l’on a l’impression d’être devant une affaire aussi complexe qu’impénétrable. Alors qu’au fond elle est plutôt simple. S’y superposent, en réalité, deux affaires. Celle du transfert de données vers l’Amérique par des pays européens, dans le cadre de leurs accords bilatéraux de coopération avec Washington en matière de renseignement. Et celle de la surveillance/espionnage que mènent les Etats-Unis pour leur propre compte, contre ces mêmes pays européens.
Afin d’y voir plus clair, il convient d’abord de faire la distinction entre ce qui relève du comportement normal dans les relations internationales et ce qui est, en revanche, problématique. Premièrement, quant à l’espionnage des dirigeants politiques, des grandes firmes etc., tout le monde le fait, tout le monde le fera. C’est consubstantiel aux relations, forcément compétitives, d’Etat à Etat. Comme dit Hubert Védrine, on vit aujourd'hui dans une grande « mêlée mondiale ». Quand on est pris en flagrant délit, la partie espionnée proteste un peu, la partie qui espionne regrette un peu, et on en reste là.
Le problème dans l’affaire NSA/Europe est que cette évidence est prise dans le piège d’un mythe transatlantique soigneusement construit depuis des décennies, et défendu avec une ardeur revigorée ces temps-ci. Lequel mythe pose comme postulat la cohésion et la fraternité prétendument naturelles à l’intérieur d’un soi-disant « Occident », appelé à se souder toujours davantage sous la direction bienveillante des Etats-Unis. La Realpolitik ne s’appliquerait en théorie que face au reste du monde. Quand elle réapparaît au grand jour au sein même des « Occidentaux », cela fait l’effet d’une bombe.
Deuxièmement, la coopération entre services de renseignement est normale, on dirait même vitale. N’empêche que la manière dont on le fait est tout aussi cruciale. Autrement dit, on est en droit de se poser des questions quand il s’agit, pour certains pays européens dont la France, de s’y engager sur une base très inégale. Comme en témoigne justement le traitement réservé à Paris depuis l’éclatement du scandale Snowden/NSA. Le fait que le président Hollande ait dû demander publiquement à « la partie américaine» de lui fournir les informations « que la presse sait déjà » est un aveu d’échec retentissant de sa part.
Dans ce genre de « coopération », que ce soit avec les Five Eyes (club d’élite anglo-saxon réunissant UK, USA, Nouvelle-Zélande, Australie et Canada, plus connu sous le nom Echelon) ou avec l’Amérique en bilatéral, on ne saura jamais être plus qu’un partenaire de seconde zone. Incapable de garder le contrôle des informations, incapable de faire respecter nos règles, incapable de maîtriser quoi que ce soit, en fin de compte. De surcroît, du côté américain nous sommes traités avec une indifférence, pour ne pas dire mépris, ostentatoire.
Il est pour le moins hallucinant de voir le patron de la NSA enfreindre la règle la plus élémentaire de la coopération en matière de renseignement, en révélant lui-même l’implication des services européens dans le transfert de données vers son agence. Contrairement à l’espionnage d’Etat à Etat qui est une nécessité dans la « mêlée mondiale », ceci est un véritable coup bas. Le général Alexander aurait pu au moins laisser la chance à ses « partenaires » de faire l’annonce. Mais non, Washington en a eu assez des récriminations suite à l’avalanche des révélations « Snowden/NSA ». Il a décidé de reprendre la main, à la fois pour riposter et pour brouiller les cartes.
Derrière les nombreux amalgames sur la provenance des données, tout comme sur leur objectif (lutte contre le terrorisme, soutien aux opérations de l’OTAN, ou à celles de pays de l’OTAN, ou à leur défense en général), il s’agit avant tout de nous empêcher de faire un simple constat. Conclure un accord avec l’Amérique, c’est la meilleure recette pour se faire avoir.
L’une des récentes illustrations est l’accord SWIFT sur les données bancaires entre les Etats-Unis et l’UE. Dont il s’est révélé qu’il n’était, pour la partie US, qu’une diversion derrière laquelle elle continue de puiser toutes les données qui l’intéressent. En se moquant éperdument du cadre légal qu’elle avait feint d’accepter lors des négociations avec l’Union européenne.
C’est exactement la même méthode qui est à l’œuvre dans le cas des accords entre les services européens et leur homologue US. Une partie des informations est obtenue par Washington dans le cadre d'accords négociés avec un interlocuteur, l'autre dans le dos de ce même interlocuteur, en catimini. A noter cette réponse du porte-parole du Quai d'Orsay à la question de savoir si « Les interceptions téléphoniques réalisées en France l'auraient été par les services secrets français puis partagées avec la NSA ». Sans démentir l’existence de la coopération, le porte-parole remarque que « Notre préoccupation porte sur la nature et l'ampleur des écoutes américaines sur notre territoire ».
Autrement dit: oui, il y a des données que nous leur avons transférées, mais ils en ont pris beaucoup plus, et sur des cibles bien différentes de ce qui était prévu dans notre accord. Comme « un haut responsable du renseignement français », a confirmé au Monde, il est « catégoriquement» exclu « que la DGSE puisse transférer 70,3 millions de données à la NSA ». Sans parler des informations de type espionnage économique ou surveillance des hauts fonctionnaires de l’Etat. Comme en Allemagne, dans la fameuse affaire du portable.
Du point de vue américain, c’est une combinaison géniale. La coexistence des deux processus parallèles sème la confusion, et discrédite d’avance ceux qui participent au premier (accords de coopération négociés), mais protestent contre le second (espionnage/surveillance US unilatéral). Par contre, du point de vue de la France, c'est donc le pire des cas de figures. Elle collabore sur une base inégale d’emblée et est en même temps considérée comme un adversaire à surveiller. Pour combler le tout, sa collaboration est révélée par celui qu’elle approvisionne en données et qui la prend néanmoins pour une vulgaire cible. Qu’il y ait des enseignements à tirer, c’est le moins que l’on puisse dire.
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affaire nsa/snowden, renseignement électronique, politique étrangère de la france, relations transatlantiques