Note d’actualité
L’histoire mouvementée de l’avion militaire Joint Strike Fighter (F35) est une véritable petite fable édifiante. Elle nous permet de contempler d’un côté les mécanismes de fonctionnement parfois presque pervers de la politique étrangère et de défense des Etats-Unis et, de l’autre, le processus d’abandon volontaire des positions et des atouts européens. Bref, il s’agit d’un condensé éminemment instructif de l’ensemble des relations transatlantiques.
Il faut reconnaître que l’idée américaine de « multinationaliser » leur nouvel avion militaire est, et cela sans aucune ironie, géniale. Toujours fallait-il trouver quelques dupes serviles et dociles pour la mettre en œuvre. Mais sur ce plan, l’Europe ne manque jamais de candidats. Les cinq pays OTAN qui s’y sont précipités n’étaient point gênés par le fait qu’en échange de leur contribution financière aux frais de développement du super-avion (encore fictif), ils ne recevaient que des promesses. Elles-mêmes de courte durée. Et au prix du sabotage de leurs propres opportunités (européennes). Les coups de publicité spectaculaires du Pentagon se sont très vite révélés être exactement cela : des coups de pub. La rencontre de la propagande et de la réalité fut parfois brutale pour ces gouvernements zélés, incarnations de l’atlantisme inconditionnel. Qu’il s’agisse de leur influence sur le programmeme (moins que nulle), des transferts de technologies (quasi inexistants, sinon dans l’autre sens), des retombées industrielles (insignifiantes), du calendrier prévu (corrigé et re-corrigé), du prix unitaire de l’avion (revu à la hausse) ou de la guerre bureaucratique washingtonienne (sans relâche), les « partenaires » européens doivent se contenter d’observer les événements. Ce qui est plus, n’observer que de loin (leurs représentants sont hébergés à distance du bureau de programme), sous contrôle (du directeur américain de la division internationale, lequel a tenu préciser que la contribution de tous ces pays, à l’exception des Britanniques, ne signifie que quelques « extras ») et en solitaire (Washington a veillé à ce qu’ils soient séparés les uns des autres, dans des sous-directions distinctes conformément à leur « catégorie » en tant que contributeurs »). Mais l’essentiel est ailleurs. La « coopération » sur le Joint Strike Fighter (JSF) fut conçue avec deux objectifs stratégiques en tête : détruire l’industrie d’armement européenne et formaliser la dépendance absolue des acheteurs-utilisateurs de l’avion vis-à-vis des systèmes américains. Pour ce qui est de la première cible, JSF fait d’une pierre trois coups. Il permet de réduire drastiquement le potentiel de débouchés pour ses concurrents européens (Rafale et Eurofighter) ; de ponctionner très considérablement les budgets recherche et développement des Européens ; et de réduire d’une façon draconienne leurs possibilités de coopération entre eux. En ce qui concerne le second objectif, la dépendance absolue des futurs acheteurs-utilisateurs est garantie par de multiples moyens. D’après les projets américains, les codes des logiciels de l’avionique ne sont pas communiqués (même pas aux Britanniques, pourtant contributeurs à hauteur de 2 milliards de dollars dans la phase de développement) ; l’assemblage des avions et la formation des pilotes se fera uniquement sur le sol américain ; toute l’électronique est optimalisée pour être utilisée en s’intégrant dans les systèmes américains, dans le cadre d’opérations sous la houlette de Washington ; et l’approvisionnement en pièces détachées et autres services ne sera disponible qu’à travers un dispositif centralisé, très rentable certes, mais surtout contrôlé par les Américains. Une Résolution de l’Assemblée de l’UEO (l’unique organe parlementaire compétent en matière de défense au niveau européen) a mis le doigt sur les dangers, déjà en juin 2002 : les parlementaires estimaient que « le choix du JSF pour équiper les forces aériennes d’un certain nombre d’Etats membres aura des conséquences négatives pour l’avenir de l’industrie aéronautique européenne et pour l’interopérabilité des équipements entre Etats européens dans le cadre de la mise en place d’une politique européenne de sécurité et de défense ». Ils demandaient « aux Etats membres concernés de reconsidérer leur participation au programme JSF, en tenant compte des solutions européennes disponibles aujourd’hui et des répercussions d’un éventuel choix en faveur du JSF pour l’avenir de l’industrie aéronautique européenne, ce choix étant susceptible de nuire au renforcement des capacités militaires européennes ». Même si l’avertissement n’a qu’une portée symbolique, il a le mérite d’être on ne peut plus clair.
Texte complet en hongrois.
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