Note d’actualité
Le constat des divisions parmi les Etats membres de l’UE au sujet de l’intervention américaine en Irak se conjugue avec la perspective d’un élargissement imminente à 10 nouveaux pays pour renforcer la prise de conscience sur l’impossibilité d’avancer ensemble dans les domaines ultrasensibles comme celui de la politique étrangère et de défense.
Derrière la désunion sur l’Irak – laquelle s’est par ailleurs confirmée au sommet de Bruxelles des 20-21 mars dernier, et qui confine l’UE, une fois de plus, à « faire la vaisselle » après le passage des troupes anglo-américaines –, les désaccords profonds sur le contenu politique à donner à l’intégration, sur son profil international et sur son positionnement par rapport aux Etats-Unis révèlent des fractures fondamentales au sein des Quinze. Or sur ces questions « identitaires », tout comme sur celle de la guerre en Irak, les deux pays qui sont à l’origine de la relance du volet militaire de la construction européenne défendent des points de vues diamétralement opposés.
Déchirements franco-britanniques
A vrai dire, la déclaration franco-britannique de Saint-Malo (en décembre 1998), considérée en général comme l’acte fondateur de la défense européenne, portait déjà en germe toutes les contradictions auxquelles nous assistons aujourd’hui. Au fait, les deux signataires – qui sont en même temps les deux seuls pays européens à disposer de capacités militaires sérieuses et à augmenter les crédits de leur défense – ne plaçaient pas l’accent sur les mêmes éléments du texte. Pour la Grande-Bretagne, l’essentiel était de développer des « moyens militaires crédibles » pour renforcer l’Alliance atlantique ou, à la limite, pour les utiliser au cas où « l’OTAN en tant que telle n’est pas engagée ».
Aux yeux de la France, par contre, l’expression selon laquelle « l’Union doit avoir une capacité autonome d’action » primait sur toute idée de subordination à l’organisation transatlantique. Depuis, tous les progrès enregistrés lors de la mise en œuvre de la défense européenne (qu’il s’agisse des structures institutionnelles, des capacités militaires, des relations avec des pays tiers etc.) s’inscrivaient dans la marge de manoeuvre définie par ces deux approches, et n’ont été possibles qu’en occultant la question centrale, à savoir celle de l’incompatibilité des visions politiques à long terme et des inévitables fractures qui en découlent et paralysent toute prise de décision à Quinze. Comme en a témoigné et témoigne toujours – malgré les tentatives d’efforts cosmétiques, notamment dans le domaine de l’aide humanitaire – la cacophonie européenne en général et la querelle franco-britannique en particulier, dans la crise irakienne.
Nouveau paradigme ?
Ce n’est pas un hasard si l’idée selon laquelle pour le développement futur de l’Union européenne – et au premier chef en ce qui concerne sa dimension « politique étrangère, de sécurité et de défense » – l’uniformité complète n’est pas envisageable, ressurgit avec force et la réflexion sort du seul cadre des réunions d’experts au fur et à mesure que de plus en plus de responsables politiques rejoignent le débat. Ainsi, Michel Barnier – commissaire européen, responsable de la réforme des institutions – a dressé un bilan du dossier irakien en observant que « La réalité de l’Europe actuelle comme de celle de demain, c’est le constat d’ambitions et de traditions très différentes selon les pays, particulièrement pour les questions de politique étrangère et de défense. Il nous faut donc trouver des méthodes qui permettent à ceux qui le peuvent et qui le veulent d’avancer ensemble sur ces questions, comme une avant-garde ».
En effet, le seul moyen de surmonter la schizophrénie européenne au sujet du rôle de l’Europe dans le monde et de son indépendance par rapport à Washington, se trouve dans des solutions dites de « flexibilité » censées permettre, à ceux qui y sont prêts, d’approfondir entre eux une forme d’intégration politique exigeante. A condition, bien entendu, que les pays participants à ce noyau – lequel se construirait impérativement autour de la France et de l’Allemagne – soient véritablement disposés à aller beaucoup plus loin en matière d’intégration des politiques et des moyens, qu’ils trouvent une possibilité de mettre en œuvre leurs ambitions au sein et non pas en dehors du cadre de l’UE, et que leur coopération ne soit pas considérée comme le simple instrument d’une quelconque « hégémonie » franco-allemande.
Signes prometteurs
De ce dernier point de vue, le fait que c’est à l’initiative du premier ministre belge qu’un mini-sommet sur la défense européenne réunira le 29 avril, à Bruxelles, les chefs d'Etat et de gouvernement de la France, de l'Allemagne, de la Belgique et du Luxembourg, envoie un message symbolique fort, selon lequel cette coopération plus restreinte sera basée non pas sur une distinction entre grands et petits, mais sur l’existence ou l’absence de la volonté politique d’y participer.[1]
Autre signe du temps: le même Romano Prodi qui – en voyant se profiler le spectre d’un éventuel directoire derrière les discussions à trois entre la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, qu’ils ont tenues en prélude à la réunion des Quinze en octobre 2001 – s’était déclaré « déçu que ce présommet concerne certains pays et pas d’autres », a maintenant salué l’initiative belge comme le premier pas pour diminuer la dépendance du continent vis-à-vis des Etats-Unis en matière de sécurité.[2]
[1] Le porte-parole du ministère belge, Didier Seeuws a précisé qu’il s’agirait d’un embryon de politique de défense commune, en dehors de l’OTAN, qui pourrait à terme apparaître dans un traité européen.
[2] Pour le président de la Commission : « Il ne saurait être dans notre intérêt de continuer à nous en remettre à d’autres lorsqu’il s’agit de la défense de nos valeurs par des moyens militaires » (déclaration du 20 mars dernier sur l’Irak).
Tags:
avant-garde, europe de la défense, irak