20 octobre, 2013
Brève
Hajnalka Vincze
Brève
Autonomie stratégique
Comme le rappelle Christian Harbulot, « l’appareil de défense français est sous la double tutelle de l’Otan et des Etats-Unis dans la mesure où ce pays exerce une influence discrète mais déterminante sur le cadre de réflexion de l’Union Européenne ». En effet. S’engager dans des rapports d’interdépendance avec des partenaires européens dépendants revient au même que d’accepter soi-même une situation de dépendance. C’est aussi simple. Et c’est aussi pour cela que, sans consensus préalable sur l’impératif d’autonomie européenne, accepter l’ouverture et le partage avec d’autres membres de l’UE est, pour la France, synonyme d’abdication volontaire. (Christian Harbulot, La Défense française à la remorque des Etats-Unis, www.lesinfluences.fr, 19 octobre 2013)
Défense européenne
L’appareil de défense français est sous la double tutelle de l’Otan et des Etats-Unis. Le compte-rendu commenté de Christian Harbulot (sur le colloque abordant l’épineuse question de l’avenir de l’industrie de défense française) est une vraie petite perle. Il serait difficile de ne pas y ajouter une remarque quand même. « La France n’a plus les moyens de son autonomie stratégique », selon le général Vincent Desportes. En réalité, c’est plus grave encore. Elle semble surtout ne plus en avoir l’ambition.
Du moins c’est l’impression que donnent des responsables français quand ils semblent apprécier l’autonomie stratégique non pas pour elle-même, mais parce qu’elle permet de se regrouper/s’aligner dans des conditions plus avantageuses avec des partenaires (comme le ministre Le Drian avait l’air de suggérer dans son discours du 10 septembre).
Ou quand ils envisagent de l’abandonner sous la bannière étoilée… européenne, nous dit-on. Pour le Ministre : « face aux contraintes budgétaires, de plus en plus fortes pour tous, face au coût croissant des équipements et des opérations militaires, l’autonomie stratégique de chacun des Etats européens doit être repensée, dans une certaine mesure, au sein d’une communauté de destin, où l’on partage une histoire et un avenir communs, des intérêts et des valeurs ». N’a-t-il vraiment pas trouvé mieux ?
Défense européenne
La dernière Lettre de la Représentation militaire française à l’UE confirme la tendance. C’est une collection de platitudeset d’informations type manuel scolaire, sans même l’ombre d’un quelconque engagement. Comme si les enjeux de la défense européenne n’intéressaient plus grand monde dans l’équipe du général Gilles Rouby. C’est vrai qu’il a aussi une autre casquette, OTAN cette fois-ci, sous laquelle la vie est infiniment plus agréable et tellement plus facile. Vu qu’il y suffit de se fondre dans l’atlantisme ambiant et suivre la règle traditionnelle « qui ne dit mot consent ». Alors que, dans un cadre proprement européen, il y a encore, malgré tout, certaines attentes envers la France.
Sur ce plan-là, la Lettre, c’est encore une fois la douche froide. Sur les huit pages, pas un seul mot que l’on n’aurait pu lire dans n’importe quel texte rédigé à Londres, à Washington ou à Berlin. A comparer avec un ancien numéro de la même Lettre, il y a 3 ans, qui a tout de même pris soin de glisser un semblant d’ambition et de vision entre les phrases. Tel cet accent mis sur le mot « indépendance » en parlant du système de navigation satellitaire européen, en y ajoutant même un hyperlien vers un article intitulé « Quand l’Amérique partit en guerre contre Galileo ». Quelle audace.
Manifestement, ce genre d’impertinence ne risque pas d’arriver à la Représentation militaire française à Bruxelles ces temps-ci. Qu’importe si l’échéance de décembre approche (avec le sommet « Défense », le premier consacré à ce sujet depuis 5 ans), et qu’importe s’il convient d’y arrêter au moins la réatlantisation/civilianisation en marche ? L’ambassadeur chinois, qu’a-t-il dit déjà, sur l’esprit de mouton des Européens qui attendent sagement que Washington décide à leur place ? Ah oui, le mot me revient : « pitoyable ». (La lettre de la RMF UE, septembre 2013)
Discours du ministre lituanien de la défense au Parlement européen. La Lituanie veut voir la Stratégie de sécurité de l'UEmise à jour pour y inclure la cybersécurité et la sécurité énergétique. Deux thèmes qui en seraient spectaculairement absents, selon le ministre de la défense de la Lituanie. Sauf qu'ils y sont déjà, en fait. Les deux ont leurs petits sous-chapitres dans le complément de 2008 « Assurer la sécurité dans un monde en mutation ». Ce document brandi comme un des (rares) résultats de la présidence française de l'UE en matière de défense sous Nicolas Sarkozy.
Mais M. Olekas ne s'est pas gêné pour si peu dans son discours devant la sous-commission « Sécurité et défense » du Parlement européen. Il a même fait mieux. Entendre le ministre lituanien fustiger les baisses des budgets de défense, c’est comme si on entendait la CIA se plaindre des méthodes d’interrogation « poussées ». Pour rappel : la Lituanie détient le record absolu en ayant réduit, en 2010, son budget militaire de 36%, d'un seul trait. Et pendant que l'on y est : l'allusion à la CIA n’était pas tout à fait gratuite non plus...
A part cela, le ministre de la défense du pays qui exerce la présidence de l'UE en ce moment a donné quelques indications sur ce qu'il souhaite voir sur l'agenda du sommet en décembre:
1. Assurer le financement de la défense (quoique juste et logique dans une certaine mesure, son exemple de chauffage plus économique des casernes pour pouvoir se permettre l'achat de nouveaux équipements, fait tout de même très miséreux);
2. réexamen de la stratégie européenne de la sécurité (voir supra)
3. mise en valeur des partenariats (sa proposition de regarder d'abord si un pays partenaire est prêt à contribuer une certaine capacité avant de recourir à des prestataires de services privés n'est pas dénué de bon sens - par contre celle qui voudrait d'abord laisser contribuer un pays partenaire plutôt qu'un Etat membre est beaucoup trop absurde et connotée politiquement ;
4. orientations ambitieuses en matière de nouveaux défis (cyber, énergie): ces menaces étant « non militaires » la priorité doit être accordée au cadre UE (en étroite coordination avec les initiatives otaniennes quand même).
En mode « d'alerte avancée », le ministre Olekas appelle à modérer nos attentes par rapport au sommet de décembre. Vu notamment « l'écart toujours grandissant entre les ressources nécessaires à la défense et celles qui lui sont octroyées ». Sage prudence. (Discours du ministre lituanien de la défense devant la sous-commission « Sécurité et défense » du Parlement européen, 16 octobre 2013).
Drones
Drones
Drone : les Etats-Unis n'ont pas donné leur accord à la "francisation" des Reaper achetés par Paris. A quand le prochain renoncement ? Rappelons que « sur un drone, la charge utile compte plus que le vecteur », comme l’avait expliqué aux députés le chef d’état-major des armées, l’amiral Guillaud. En précisant que « l’effort principal doit être consenti au profit des charges utiles, du C2 et de la station de contrôle déployable ». La charge utile, ce sont les outils d’observation et de liaison satellitaire US. Or pour y toucher, il faut avoir accès aux codes source de l’appareil. Un privilège que Washington a refusé aux Allemands et aux Anglais. Après avoir raté le premier rendez-vous « drone », l’Europe achète donc des appareils US sur étagère, sans même avoir l’assurance de pouvoir les franciser/européaniser après.
Comme le détaille fort bien l’article de La Tribune : « la France n'est pas sure encore de pouvoir "franciser" les drones Reaper, comme elle le souhaite. C'est ce que dit le DGA dans son audition : "nous souhaitons qu'une étude soit conduite sur la francisation ou l'européanisation de capteurs, de moyens de transmission et d'outils de sécurisation des communications ; cette proposition n'a pas encore été acceptée". Pourtant, on avait expliqué à "La Tribune" à très haut niveau au sein de l'armée que cet achat était conditionné à l'opération de "francisation" des douze drones que la France souhaite acheter. Pour des questions d'autonomie stratégique et ne pas dépendre des Etats-Unis, la France souhaite avoir accès aux "codes sources", les codes informatiques des drones soumis à de strictes règles d'exportation, afin de les modifier. »(Michel Cabirol, Drone : les Etats-Unis n'ont pas donné leur accord à la "francisation" des Reaper achetés par Paris, La Tribune, 15 octobre 2013)
Forces navales
Européens, dormez sur vos deux oreilles, les Américains sont là ! Une opération (sauvetage en Méditerranée exécuté non pas par l'une des marines européennes mais par... l'US Navy), qui tombe à pic pour illustrer les risques de la réduction en peau de chagrin des forces navales de notre vieux continent. Deux petites remarques à ce sujet.
Primo, rien de tel pour confirmer les craintes d'une récente étude de l'American Enterprise Institute selon laquelle, faute de navires européens disponibles, l'US Navy pourrait se voir contrainte d’ajouter la Méditerranée comme troisième zone opérationnelle permanente (à côté du golfe Persique et de l'océan Indien d'une part, du Pacifique occidental de l'autre).
Secundo, rien de tel aussi pour mettre en évidence la vacuité du rapport Ashton sur la PSDC (politique de sécurité et de défense commune de l'UE). Un des très rares domaines où ledit rapport se veut montrer ambitieux, c'est le domaine maritime justement. Des propos séduisants, mais qui sonnent quand même très creux, au vu de la réduction drastique du nombre des bâtiments partout sur notre vieux continent.
Pour plus de détails sur l'opération: http://www.stripes.com/news/uss-san-antonio-rescues-128-in-mediterranean-1.247607
Pour plus de détails sur "les pièges de la dépendance": http://theatrum-belli.org/la-dependance-des-europeens-par-rapport-aux-etats-unis-en-matiere-de-forces-navales-ne-cesse-de-grandir/
Général de Gaulle – Fin du « shutdown » américain
Shutdown : les Etats-Unis provisoirement tirés d'affaire. Ce n’est pas un accord à l’arraché, survenu « à la vingt-cinquième heure » pour citer Obama, qui changera quoi que ce soit à un problème dont les origines remontent loin… comme le général De Gaulle l’avait fait remarquer il y a cinquante ans.
« Le fait que de nombreux Etats acceptent, par principe, des dollars au même titre que l'or pour compenser, le cas échéant, les déficits que présente, à leur profit, la balance américaine des paiements amène les Etats-Unis à s'endetter gratuitement vis-à-vis de l'étranger. En effet, ce qu'ils lui doivent, ils le lui paient, tout au moins en partie, avec des dollars qu'il ne tient qu'à eux d'émettre, au lieu de les leur payer totalement avec de l'or, dont la valeur est réelle, qu'on ne possède que pour l'avoir gagné et qu'on ne peut transférer à d'autres sans risque et sans sacrifice. Cette facilité unilatérale qui est attribuée à l'Amérique contribue à faire s'estomper l'idée que le dollar est un signe impartial et international des échanges, alors qu'il est un moyen de crédit approprié à un Etat. »
Et un avertissement qui vient comme un clin d'oeil du Général au TTIP (accord de libre-échange transatlantique) en négociation un demi-siècle plus tard : « la balance des paiements et le problème du dollar des Etats-Unis deviennent des soucis essentiels. On comprend donc parfaitement bien que leurs intentions ne soient plus celles qu'ils avaient naguère au sujet de l'organisation d'une Europe européenne et du rôle que peut y jouer la France. Mais on comprend aussi que la France, qui est industrielle et agricole, ne puisse pas et ne veuille pas voir se dissoudre ni l'économie naissante de l'Europe, ni la sienne dans un système du genre "Communauté atlantique" qui ne serait qu'une forme nouvelle de la fameuse intégration ».
Celle contre laquelle le Général a mis en garde en opposant son veto à l’entrée de la Grande-Bretagne. Pour rappel (on ne s'en lassera jamais) : « il apparaîtrait une communauté atlantique colossale sous dépendance et direction américaines, et qui aurait tôt fait d'absorber la Communauté européenne. C'est une hypothèse qui peut parfaitement se justifier aux yeux de certains, mais ce n'est pas du tout ce qu'a voulu faire et ce que fait la France, et qui est une construction proprement européenne.»
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défense européenne, forces navales, politique américaine, budgets de défense, politique étrangère de la france, drones