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Débats houleux en perspective autour de la politique agricole commune

Journal francophone de Budapest - 25 juillet, 2002
Note d’actualité

En présentant, le 10 juillet dernier, sa révision à mi-parcours de la PAC, la Commission a provoqué des réactions extrêmes, allant des accusations de vouloir détruire les campagnes européennes aux éloges enthousiastes sur l’opportunité et la pertinence des réformes proposées. Car au lieu d’un simple toilettage technique, tel que c’était prévu dans l’Agenda 2000, il s’agirait là d’une véritable réforme en profondeur de la politique la plus emblématique et la plus coûteuse (elle consomme près de la moitié du budget total) de l’Union européenne. Vu l’enjeu à la fois identitaire et financier du débat, des scénarii catastrophes – parmi lesquels le report temporaire de l’élargissement fait pâle figure face aux hypothèses sur la rupture définitive de l’axe franco-allemand, ouvrant la voie à une crise communautaire générale dont l’euro serait la première victime – ont été évoqués pour illustrer les risques encourus au cas où les Etats membres ne parviendraient pas à un accord. 

Contraintes ou prétextes ?

Si le mandat de la Commission, défini en 1999 par le Conseil européen de Berlin, ne prévoyait qu’un ajustement à mi-parcours du volet PAC de l’Agenda 2000[1] (la réforme d’envergure se déroulerait lors du débat autour du nouveau budget, avant 2007), ce ne sont pas les arguments qui manquent au commissaire autrichien Franz Fischler, responsable du dossier, pour plaider en faveur d’une refonte anticipée de la politique agricole commune.

Ainsi, l’imminence de l’entrée de dix nouveaux pays (dont la Pologne) – avec toutes les conséquences qu’un tel changement de taille implique pour le budget agricole – est présente dans tous les esprits. De même, le nouveau cycle de négociations à l’OMC (Organisation mondiale du commerce), gardienne du bon fonctionnement des échanges internationaux,  pèse sur les choix des commissaires. Ceux-ci entendent mettre l’Europe verte à l’abri des reproches de ce forum multilatéral, hostile aux pratiques de distorsion de la concurrence. Et pour finir, l’opinion publique européenne, désespérée par la multiplication des crises sanitaires et alimentaires, souhaite rompre avec la logique productiviste et voir une agriculture sûre et fiable, plus respectueuse de l’environnement.[2]

Dans ces conditions, il n’est pas facile de questionner le bien-fondé du projet de réforme de la Commission, et encore moins la philosophie qui sous-tend ses propositions. Car celles-ci ont pour mot d’ordre « qu’à l’avenir, ce n’est plus la production excédentaire qui sera rémunérée, mais la fourniture de ce que les gens réclament : des aliments sûrs, une production de qualité, le bien-être des animaux et un environnement sain. »

Deux camps adverses

Toujours est-il que la vaste majorité des Etats membres – pour une raison ou pour une autre – s’oppose ou du moins émet des réserves par rapport au projet de Bruxelles, lequel signifierait un véritable changement de paradigme dans l’agriculture européenne, jusqu’ici dominée par les subventions massives à la production. La réunion des ministres de l’agriculture de l’UE, le 15 juillet dernier, était une première occasion d’évoquer les lignes rouges et de mesurer les rapports de force.

Ainsi, les grands bénéficiaires de la PAC – la France, l’Espagne, l’Irlande et la Grèce – ont été rejoints par la Belgique, le Portugal, le Luxembourg et l’Autriche pour récuser l’idée de toute refonte radicale des mécanismes de la politique agricole européenne avant le rendez-vous prévu de longue date en 2006. De l’autre côté, l’Allemagne,[3] le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et, encore hésitante, la Finlande ont salué les propositions que le ministre néerlandais de l’agriculture a résumé en disant que « enfin les agriculteurs produiront pour le marché au lieu de produire pour les entrepôts ».

Car la plus grande nouveauté du projet de la Commission est précisément d’avoir « découplé » les aides au revenu (dites « directes ») de la quantité produite, de les subordonner au respect des normes de l’environnement et de sécurité des aliments, tout en diminuant progressivement leur montant afin de transférer des fonds vers le développement rural.

En effet, face à la cohérence du plan et aux arguments énumérés ci-dessus, les opposants à la réforme critiquent avant tout le moment choisi et l’absence d’études d’impact approfondies. Entretemps, ils profitent de cette dernière pour dénoncer les effets (supposés) de la réforme. Sans aller jusqu’à parler d’une « nouvelle étape dans le génocide paysan » – comme l’a fait Jean-Marie Le Pen –, les organisations agricoles européennes disent redouter « un hécatombe social » parmi leurs adhérents. Le gouvernement espagnol a lui aussi exprimé son « inquiétude devant cette expérience hasardeuse qui peut mener à une désertification des campagnes ». Dans ces conditions, l’appel du ministre français de l’agriculture qui réclame de la Commission « des compléments d’analyse et de propositions sur les mesure concrètes qu’elle préconise » semble plus que justifié.

L’élargissement : tabou omniprésent

Néanmoins, derrière cette « voix de la raison », on ne peut pas ne pas voir la détermination ferme de la France à reporter le débat de fond sur la réforme agricole après la conclusion des négociations entre les Quinze et les pays candidats sur le chapitre PAC. En effet, en incluant dans l’acquis adopté par les futurs membres le principe des aides directes et en annonçant que – comme prévu – ils obtiendront ce type de subvention au moins jusqu’en 2013,[4] Paris espère assurer la pérennisation des mécanismes de la PAC au-delà du cadre financier actuel. De surcroît, la France compte sur le poids de vote considérable de potentiels alliés si les décisions ne sont prises qu’après l’entrée des nouveaux membres.

Même si la présidence danoise se réjouit que, pour l’heure, au Conseil des ministres « aucun participant n’a lié la question de l’élargissement de l’UE à celle de la révision à mi-parcours de la PAC », et affirme « qu’il n’y a aucune relation entre les deux dossiers », personne n’y croit vraiment. Le thème de l’élargissement – qu’il soit évoqué explicitement ou simplement suggéré – fournit des arguments pour les deux camps et l’approche de la conclusion des négociations d’adhésion aiguise encore plus le débat.

***

[1] Le cadre financier de l’UE pour la période 2000-2006.
[2] Eurobaromètre juin 2002, Les Européens et la politique agricole commune.
[3] Au sujet de la position allemande, il convient de remarquer qu’Edmund Stoiber, l’adversaire principal du chancelier Schröder aux élections prévues pour le 22 septembre prochain a clairement exprimé sa préférence pour un débat entre 2004-2006, avec la définition préalable d’un compromis franco-allemand.
[4] D’après les dernières propositions sur la table, il s’agirait d’étaler sur 10 ans le plein octroi de paiements directs aux nouveaux venus (avec 25% en première année qui irait en augmentant pour atteindre, en 2013, les 100%).


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