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La présidence danoise de l’UE et l’élargissement : l’heure de la vérité

Journal francophone de Budapest - 03 juillet, 2002
Note d’actualité

Calendrier oblige, l’élargissement sera la priorité absolue de la présidence danoise de l’Union européenne de cette deuxième moitié de 2002. Malgré le nombre important des autres dossiers à traiter (dans les domaines de la sécurité et justice, du développement durable, de la sécurité alimentaire et des relations extérieures) l’attention de la présidence se focalisera sur l’objectif primordial de clôturer les négociations avec les pays candidats qui seront jugés prêts d’ici la fin de l’année. Le parcours jusqu’en décembre est semé d’embûches, mais la détermination du Danemark d’arriver au bout de sa tâche ne fait pas de doute. D’autant que l’élargissement est véritablement la seule ambition européenne de ce petit royaume nordique (de 5,3 millions d’habitants), connu pour sa réticence face à toute nouvelle initiative politique de l’UE. 

Un membre « pas à 100% »

Parmi les Etats membres, le Danemark (devenu membre de la CE en 1973) est considéré comme un champion de l’euroscepticisme, les Danois ayant voté non à Maastricht en juin 1992 et non à l’euro en septembre 2000. S’ils ont finalement adopté le traité de Maastricht par un deuxième référendum en 1993, c’est uniquement à condition de bénéficier d’importantes dérogations. En vertu des clauses de « l’exemption d’Edimbourg », le Danemark ne participe ni à l’euro, ni à l’Europe de la Défense et à une bonne partie de la politique de justice, d’asile et d’immigration.[1] Il n’empêche que la population danoise compte parmi les plus satisfaits de leur appartenance à l’Union européenne (60% pour une moyenne européenne de 53%), dont ils pensent largement avoir profité (68% contre 51% parmi les Quinze)[2]. Cette attitude positive contraste fortement avec la réticence pourtant unanime des Danois envers toute évolution vers « une union toujours plus étroite ». Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que le seul projet européen d’ampleur auquel les Danois puissent massivement s’identifier est précisément l’élargissement de l’Union (qui recueille au Danemark le soutien le plus élevé : 68% contre une moyenne européenne de 50%).

La priorité des priorités

C’est donc ce Danemark, aux convictions européennes souvent contradictoires mais d’un enthousiasme inconditionnel en faveur de l’élargissement, qui présidera l’Union pendant le semestre crucial censé aboutir, au sommet de Copenhague en décembre, à la clôture des négociations d’adhésion. Les déclarations des responsables danois – de même que le programme de la présidence intitulé « Une seule Europe » - ne laissent planer aucun doute sur les ambitions de Copenhague. Par analogie au slogan de la présidence suédoise de la première moitié de 2001 (emploi, environnement, élargissement), le Premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen a résumé les priorités des six mois qui viennent en disant que  « Nos « trois E » sont l’élargissement, l’élargissement, l’élargissement », et en y ajoutant que « nous serons actifs sur tous les fronts, mais nous ne laisserons pas les autres questions perturber l’élargissement ».

Bombes à retardement

Sur ce dernier point, le défi à relever est particulièrement impressionnant. Si le paquet financier mis entre parenthèses au sommet de Séville (du moins d’ici les « premiers jours de novembre »)[3] représente en soi un risque incontestable pour le maintien du calendrier d’élargissement, d’autres dossiers explosifs ne manqueront pas à compliquer, à leur tour, la tâche de la présidence danoise.

Ainsi, dans le cas où les électeurs irlandais choisiraient de refuser, pour une deuxième fois, le traité de Nice – sur lequel ils seront appelés à ce prononcer à l’automne prochain – leur « non » signifierait, comme l’a précisé le ministre danois des Affaires étrangères, Per Stig Moller, « que ce traité n’existe plus – et avec sa disparition, il n’y a plus de base pour mettre en oeuvre l’élargissement ».

A l’autre bout du continent, le casse-tête chypriote risque de mettre en péril tout le processus d’élargissement. L’île divisée est dans le peloton des pays candidats aux négociations d’adhésion, mais l’absence d’accord entre les deux communautés a condamné à l’échec toute tentative de réunification. Or, Athènes exige, en brandissant son veto, que l’Union fasse entrer Nicosie, ce qui provoquerait une crise grave avec la Turquie, laquelle s’est dite prête à annexer – par la force s’il le faut – la partie nord de Chypre.

Malgré la confiance officielle des responsables de l’UE, les dossiers énumérés (en y ajoutant, bien évidemment, le problème persistant de l’enclave de Kaliningrad) constituent autant d’écueils sur lesquels le calendrier d’élargissement peut sinon se briser du moins être remis en question.

Pressions tous azimuts

Dans ces circonstances, la présidence danoise a recours à la dramatisation des enjeux : elle entend mettre une pression sans précédent sur les Etats membres actuels (pour trouver une position commune), de même que sur les pays candidats à l’adhésion (pour accepter celle-ci sans imposer d’obstacles inutiles). Le chef de la diplomatie danoise a prévenu à plusieurs reprises que : « Nous risquons de retarder l’élargissement de plusieurs années si nous ne respectons pas l’échéance de la fin de l’année », le Premier ministre Rasmussen parlant « d’une fenêtre d’opportunité unique » qui se refermera. Il a estimé que le jugement de la postérité sera « sévère » pour le responsable politique qui bloquerait le processus.

A l’intention des pays candidats qui, comme la Pologne, s’inquiètent du peu de temps qui leur restera en novembre pour discuter des conditions financières de l’adhésion, le chef du gouvernement danois a lancé un avertissement : après avoir « émis l’espoir que tous les dix pays candidats seront prêts pour entrer dans l’UE », il n’a pas oublié d’ajouter que « celui ou ceux qui rempliront les critères d’adhésion ne devront pas attendre les autres ».

Derrière la détermination des responsables danois à réussir cette présidence, il faut voir non seulement le souci de démontrer que – malgré sa mauvaise réputation d’Européen réservé – le Danemark est un membre constructif de l’UE, et de redorer son image internationale, ternie par le virage à droite de sa politique intérieure qui a conduit à une nouvelle loi anti-immigration extraordinairement sévère. Il faut également compter avec un motif particulier, à savoir l’obsession danoise de boucler la boucle « de Copenhague à Copenhague », puisque c’est au sommet de juin 1993 de la précédente présidence danoise qu’a été prise la décision de principe concernant la perspective de l’élargissement et que les critères d’éligibilité à l’adhésion ont été fixées. En tenant l’objectif de décembre, le Danemark espère – comme l’a dit le ministre danois des Affaires étrangères – « écrire un nouveau chapitre de l’histoire européenne ».

***

[1] En conséquence du compromis négocié au sommet européen d’Edimbourg en décembre 1992, durant la présidence danoise la Grèce remplacera le Danemark aux réunions de l’Eurogroupe, et aux discussions ayant trait à la défense ou à certaines questions de justice et d’affaires intérieures.
[2] Résultats de l’Eurobaromètre N°57 (mars-mai 2002).
[3] Voir l’article sur le sommet de Séville dans le dernier numéro du JFB (1er juillet).


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