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« Approche globale » : le danger mortel

23 juillet, 2013
Note d’actualité
Hajnalka Vincze
Ce n’est point un hasard si le directeur sortant de la DAS (Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la Défense) s’est laissé aller à une comparaison aussi osée que  percutante entre « le monoxyde de carbone » et « l’approche globale » de l’Union européenne: « Vous ne le voyez pas. Vous ne le sentez pas. Mais à la fin on en crève ! ».
 
Sachant qu'il s'agit tout de même de ce qui est unanimement reconnu et  salué comme le meilleur, sinon le seul atout de la défense européenne, ce moment de franchise (survenu à un séminaire franco-lituanien, le 12 juillet dernier) mérite que l'on s'y arrête. En clarifiant d’abord les deux usages du même terme.
 
Car pour ce qui est de « l’approche globale », soit c’est une évidence (dire que le militaire ne saurait être l’alpha et l’oméga de la résolution des conflits est loin d’être une grande trouvaille, du moins pas de ce côté-ci de l’Atlantique), soit c’est un projet (en vue d’orienter la PSDC, la politique de sécurité et de défense commune de l’UE, dans une direction conforme aux souhaits allemands et anglo-américains). Il va sans dire que c’est cette seconde dimension qui nous intéresse. 
 
Dans ce sens, « l’approche globale » est une idée de génie : elle permet de se lancer dans des tirades pro-Européennes sur l’avantage comparatif que procure à la PSDC la large palette d’instruments de l’UE, notamment par rapport à l’OTAN, et d’achever, du même trait, ce qui reste encore des projets d’une défense européenne indépendante. Et ce au plus grand bonheur de deux camps. D’un côté les pacifistes, trop contents de minimiser la place de la composante militaire ; de l’autre, les atlantistes, soucieux de cantonner l’Union européenne dans une position de sous-traitance vis-à-vis du « Grand frère ». 
 
En effet, ce qui se passe sous prétexte de « l’approche globale », c’est le détricotage, à deux niveaux, du projet même de la défense européenne. Premièrement, en limitant, au plus petit périmètre possible, la part du volet PSDC dans l’action extérieure de l’Union. Deuxièmement, au sein même de la PSDC, en réduisant au strict minimum la part du militaire dans les structures et institutions.

La première tare est mise en lumière crue par le vice-amiral d’escadre Xavier Païtard, ancien représentant militaire de la France à Bruxelles. Dans un discours à l’IHEDN , il rappelle qu’au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) les 200 militaires (sur un effectif total de 7000) sont « marginalisés et perçus comme étrangers à sa culture et à son projet. A ce stade, nous les militaires, n’avons pas su convaincre les hautes instances du SEAE de la nécessité d’un instrument militaire pour l’Union, ne serait-ce que pour compléter la gamme des instruments de l’approche globale ».

Or il s’agit là d’un enjeu majeur d’actualité, décrit comme tel par le représentant de la France au COPS. Lors de son audition à l’Assemblée nationale, Jean-Louis Falconi a mis en avant l’importance de la « définition de l’approche globale », en particulier lors de la révision en cours du SEAE et des préparatifs du sommet « Défense » en décembre prochain. Ce qui devrait impliquer, d’après lui, un choix entre « deux visions qui cohabitent » à l’UE. Alors que « notre vision institue la PSDC comme élément majeur de l’approche globale »,« le risque, c’est que les pays relativement faibles autour de la table privilégient plutôt l’aide humanitaire, l’aide au développement ou des appuis financiers divers, quitte à laisser le volet PSDC à d’autres – une autre organisation internationale, les Américains (…) ».

Hélas, ce n’est pas qu’une question de faiblesse. Si, comme le dit le vice-amiral Païtard, « la moindre évocation d’une idée d’opération militaire avec emploi des armes suscite des crispations » à Bruxelles, c’est soit pour des raisons d'idéologie pacifiste (qui est souvent, en effet, un manque de moyens déguisé en angélisme de principe), soit par loyauté atlantiste (laquelle prescrit la primauté de l’Alliance atlantique pour tout ce qui relève du militaire). D’après Païtard :« Le comble c’est que les militaires de la structure sont eux-mêmes inhibés par les mises au défi de l’OTAN, prisonniers d’un principe de spécialisation au titre de la sacro-sainte ‘non-duplication’, mal comprise, et rappelée tous les jours par nos amis UK : le militaire à l’OTAN, le civil à l’UE ».
 
Justement, ce facteur américano-otanien joue à plein quand on arrive au deuxième volet du détricotage habillé en « approche globale », à savoir les questions institutionnelles. Au premier rang desquelles la non-instauration d’un quartier général militaire. Depuis le lancement de la PSDC, c’est le grand interdit de la défense européenne : son Etat-major n’est pas habilité à planifier et à conduire des opérations, au nom de cette fameuse non-duplication. A ce propos, le général Jean-Paul Perruche, ancien chef dudit Etat-major s’avoue sceptique : pour lui, il s’agit clairement de « restrictions imposées aux compétences et aux capacités de l’UE sous l’argument très discutable de non-duplication avec l’OTAN », alors qu’en réalité « la seule duplication nécessaire est celle des chaînes de commandement et des moyens de communication qui leur sont rattachés, ce qui représente un faible investissement ». Surtout en échange de « l’avantage politique et stratégique indéniable » qu’offre « la possibilité d’agir de façon autonome dans l’UE ».

Sans parler de la réalité opérationnelle qui a clairement fait ressortir le besoin criant d’une chaîne de commandement européenne permanente. Et c’est ici que « l’approche globale » tombe à pic. Notamment pour détourner, au prétexte des synergies civilo-militaires, toute initiative en ce sens. En lieu et place d’un QG proprement dit, qui serait par ailleurs le pendant militaire de la CPCC(Civilian Planning and Conduct Capability : la Capacité civile de Planification et de Conduite) à l’œuvre depuis bientôt cinq ans, c’est au nom de « l’approche globale » que l’on s’achemine plutôt vers une structure mixte. Au risque d’arriver à un fourre-tout civilo-militaire aussi vague qu’inopérant.
 
Et une fois de plus, « l’approche globale » n’est qu’un paravent. Comme l’avait confirméle général Henri Bentégeat, ancien président du comité militaire de l’UE, il s’agit avant tout de considérations politico-psychologiques, afin d’éviter de créer « des tensions avec l’OTAN, une inquiétude au SHAPE, un sentiment de malaise aux Etats-Unis ». Reste à savoir comment un tel centre de commandement civilo-militaire intégré parviendrait à ne pas porter atteinte ni à l’intégrité de l’interlocuteur militaire, ni aux spécificités inhérentes à la planification, à la chaîne de commandement et aux règles d’engagement.
 
De toute façon, il semblerait que ce n’est toujours pas suffisant. Après avoir soigneusement restreint la composante militaire, il faudrait maintenant que l’on la saucissonne ou, mieux encore, que l’on l’éradique. D’après l’ambassadeur Falconi : « Pour certains, l’Union européenne ne faisant plus que des opérations militaires de faible ampleur, il est inutile de conserver un état-major et mieux vaut se concentrer sur le civil. Pour d’autres, les structures de gestion de crise ne sont pas suffisamment en interaction avec les directions politiques géographiques, et il faudrait les éclater. La France se bat contre cette idée, qui rendrait désormais impossible toute opération de type Tchad ou RDC. En outre, perdre la compétence que représentent ces structures, au motif qu’on met un peu de sécurité partout pour faire plaisir, c’est l’assurance de se priver à jamais d’instruments ». Et si c’était justement le but ? Soi-disant globalement 
?

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Tags:
défense européenne, approche globale


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