22 octobre, 2013
Note d’actualité
Hajnalka Vincze
Note d’actualité
Le discours du ministre russe des Affaires étrangères à l’Institut Royal des Relations Internationales (Egmont) à Bruxelles est un chef-d’œuvre du genre. Vision, ambition, Realpolitik, quête de la stabilité, respect des règles internationales – M. Lavrov nous rappelle tous ces éléments clés d’une vraie politique étrangère dont nous pouvions nous targuer fièrement autrefois.
Pour Moscou, le temps est venu pour « la renaissance de la diplomatie » dans les relations internationales. D’une part parce que dans le monde « polycentrique » d’aujourd’hui « aucun État ni même un groupe de pays, ne dispose plus des ressources nécessaires pour pouvoir régler des problèmes internationaux en imposant sa volonté aux autres. Une gouvernance mondiale efficace ne peut être assurée qu'à travers une entente entre les centres principaux de force et d’influence du monde contemporain, ce qui signifie, par conséquent, que le respect d’autres civilisations et des modes de vie d’autres peuples et de leur droit à l’autodétermination, se profilent aujourd’hui comme un impératif indiscutable ».
Dans le même temps, la crise économique a confirmé l’importance du rôle des Etats. Lesquels sont aussi les seuls ayant « le pouvoir d'utiliser les outils diplomatiques à leur disposition afin de créer des structures de gouvernance mondiale efficaces ». Mais s’ils veulent y réussir ensemble, il leur faut garder à l’esprit quelques « principes fondamentaux ». Premièrement, le respect des règles du jeu, en l’occurrence celles fixées dans la Charte de l’ONU. Y compris – insiste Lavrov – l’immunité des représentations diplomatiques.
Deuxièmement, le rejet du « raisonnement qui fait appel à cette espèce de concept de «responsabilité de protéger» pour justifier l'utilisation unilatérale de la force ». A chaque fois, l’action doit être mandatée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Point à la ligne. « Telle est la loi internationale, le reste vient du Malin. Une intervention unilatérale sera toujours sélective et inexorablement liée à la promotion des intérêts politiques des États qui s'y lancent ».
Pour le ministre russe, rien ne prouve non plus « que le recours à la force dans des conflits internationaux, plutôt que de réduire le nombre de victimes parmi les civils, ne conduit pas, au contraire, à l'amplification de ces drames ». Sans parler de leur connotation « coloniale ». D’après M. Lavrov, « ce qui est absolument sûr, c’est que ces interventions unilatérales entraînent une nette aggravation de l’instabilité tant au niveau régional que global ».
La stabilité, justement, est vue par Moscou comme une valeur en soi, surtout en ces temps de grandes mutations. Plutôt que d’être « rétrograde », cette attitude est la seule aujourd’hui qui soit responsable. Dans la période de grande turbulence que nous traversons, « il serait impardonnable de l’aggraver davantage par des démarches irréfléchies, visant des bénéfices à court terme », et qui sont parfois dictées par des considérations politiciennes.
En ce qui concerne la multiplication des « arcs d’instabilité », les acteurs extérieurs doivent adopter « une attitude bien réfléchie et prudente ». M. Lavrov, qui va fêter le dixième anniversaire de son entrée en fonction prochainement, avait passé les dix années précédentes (1994-2004) comme l’ambassadeur de la Russie aux Nations unies. Il a donc été aux premières loges pour apprécier l’effet déstabilisant des aventures militaires post-guerre froide de l’Amérique. D’où aussi cette leçon limpide : « Il faut renoncer à la philosophie du changement de régime commandée par une volonté venant de l’extérieur ».C’est en effet le moins que l’on puisse en conclure.
Le ministre russe constate qu’il n’y a « pas de divergences sérieuses » sur les priorités majeures entre la Russie et les membres de l’UE. Mais ensuite, il y a bien sûr la pratique. De ce point de vue, « l'élaboration, avec la bénédiction de l’OTAN, du segment européen du système global de défense anti-missile américain, lequel s'effectue au mépris des inquiétudes légitimes de la Fédération de Russie », n’est pas bon signe.
Surtout si l’on y ajoute l’atmosphère ambiante. « Les discussions au sujet des moyens de renforcement de la sécurité européenne mettent en exergue un déficit de confiance persistant, ainsi qu’une volonté de ressusciter la logique de ’guerre froide’ impliquant que vous soyez avec nous ou contre nous ». M. Lavrov rappelle les chiffres : « le budget de la défense russe est 14 fois inférieur aux dépenses militaires cumulées des pays de l’OTAN ». Calculé par rapport au kilomètre de frontière, le budget russe se range quarantième dans le monde entier.
Pour ce qui est au volet économique, le ministre russe fait un clin d’œil aux négociateurs du TTIP (accord de libre-échange transatlantique). Il remarque notamment que le volume des échanges commerciaux UE-Russie est du même ordre de grandeur que celui des échanges commerciaux de l’UE avec les Etats-Unis. Avec un potentiel de coopération « immense », compte tenu de la complémentarité naturelle entre les deux parties de cet ensemble Europe-Russie, lequel comprend « presque 650 millions de personnes qui habitent une superficie de plus de 21 millions de kilomètres carrés et disposent d’immenses ressources naturelles, des technologies avancées, des avantages comparatifs de nos économies ».
Si la Russie se dit « prête à poursuivre la construction d’une Grande Europe de l’avenir », il faut d’abord que l’UE apprenne à faire la distinction entre les petits aspirants-candidats à l’adhésion venus d’Europe de l’Est d’un côté, et Moscou de l’autre. Tandis que les premiers ne cherchent qu’à plaire, la Russie, elle, exige d’être traitée avec respect. « Nos relations devraient ainsi se baser plutôt sur l’intérêt mutuel de deux acteurs majeurs de l’espace européen à un rapprochement fructueux ».
Concernant l’éternelle « rhétorique de confrontation au sujet des valeurs », le ministre pointe du doigt cette « impression absurde que la ligne principale de partage des valeurs dans le monde contemporain passerait par le continent européen ». En réalité, ce sont les « les valeurs traditionnelles » qui se trouvent confrontées à « l’hédonisme et la permissivité » conduisant « à la perte de la dignité humaine, à l’autodestruction de la personne comme de la société ». Dans cet esprit, M. Lavrov appelle à maintenir « un équilibre raisonnable entre la liberté et la responsabilité ». Ainsi qu’à « apprendre à respecter les uns et les autres ».
Une conclusion plutôt convenue, mais toujours d’actualité, qui fait penser à un incident récent, et à ces propos du Général de Gaulle : « J’ai pour ma part porté des coups. Mais jamais à la fierté d’un peuple, ni à la dignité de ses chefs ». A comparer avec le lynchage politico-médiatique rituel de la Russie et du président Poutine en Occident. Pour l’exemple, cette petite phrase d’Obama qui croyait de bon ton de ridiculiser son homologue russe en public : « Il a l’air du garçon qui s’ennuie au fond de la salle de cours ». C’était cet été, quelques semaines avant le début de la crise syrienne. Au cours de laquelle le « garçon » les a renvoyéstous réviser leurs copies. En leur donnant, au passage, une bonne leçon de diplomatie.
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