02 octobre, 2014
Note d’actualité
Hajnalka Vincze
Note d’actualité
Observer de près la bien-nommée relation spéciale entre la Grande-Bretagne et l’Amérique est divertissant à plusieurs titres. Outre le spectacle hallucinant de la dépendance extraordinaire dans laquelle les vaillants Britanniques se sont enfermés au fil du temps, le sujet apparaît à la fois comme une échappatoire bienvenue et comme une mise en garde édifiante.
Echappatoire, parce qu’il permet de traiter autre chose que la dégringolade en cours de ce qui devrait normalement être la politique étrangère indépendante de la France (humiliation sur le dossier syrien, achat de drones américains, tergiversations sur le contrat Mistral, intervention en Irak sous direction US). Mise en garde aussi, puisqu’à force de continuer dans la voie empruntée depuis déjà plusieurs années, on se dirige justement vers une situation tristement similaire à celle de nos amis d’outre-Manche.)
Pour illustration, en voici quelques détails croustillants :
1. Sur les mobiles de l’engagement en Irak, en 2003, l’ancien aide-de-camp du chef de l’Etat-major britannique ne laisse guère de doute. « Nous sommes allés en Irak en raison de notre relation stratégique avec les Américains ». Ça a le mérite d’être clair. Pas de charabia sur les armes de destruction massive, sur les atrocités d’un dictateur sanguinaire ni sur la libération du peuple irakien. Rien que du suivisme pur et simple.
Comme l’avait noté Chris Patten (figure emblématique du conservatisme britannique, ancien gouverneur de Hong-Kong et ex-Commissaire européen aux Relations extérieures): « La Grande-Bretagne a fait la guerre parce que l’Amérique a choisi de faire la guerre ». Le reste n’est que ce qu’un responsable US nomma « l’incessante rationalisation, laquelle est l’un des aspects les moins attrayants de la politique étrangère britannique ». Peu attrayant, certes. Néanmoins nécessaire.
Car sans un tel effort de rationalisation « l’atlanticisme » britannique (à savoir la fait que, pour citer de nouveau Patten, « l’Amérique a invariablement et à juste titre suivi ses intérêts, et la Grande-Bretagne a invariablement, et pas toujours à juste titre, présumé que son intérêt national à elle était de s’aligner sagement derrière l’Amérique ») apparaîtrait pour ce qu’il est : une erreur de calcul monumentale. Avec des conséquences catastrophiques et sans aucun, strictement aucun, avantage.
2. Le conseiller spécial du ministre britannique de la Défense est un officier du renseignement… américain. Non pas qu’il n’y ait pas d’officiers britanniques tout aussi qualifiés, mais soi-disant « pour ouvrir des portes au Pentagone », selon un haut gradé de Sa Majesté. Auquel argument certains n’ont hésité à rétorquer que, pour ce faire, les plus de 400 soldats britanniques tombés en Afghanistan devraient amplement suffire. La réponse dudit militaire : « Vous ne connaissez pas le Pentagone ».
Visiblement, le ministère britannique de la Défense non plus. Ou c’est qu’ils sont tellement contents de pouvoir s’y introduire de temps à autre, que peu leur importe si l’influence qu’ils peuvent espérer y exercer est toujours égale à nul. Comme l’avait résumé un ancien directeur du Chatham House britannique : « Etant donné la complexité byzantine de la politique washingtonienne, il a toujours été peu réaliste de croire que des puissances extérieures – aussi loyales qu’elles soient – puissent avoir de l’influence sur le processus américain de prise de décision ».
Au pire, les Britanniques sont humiliés. Comme sur le dossier irakien, lorsque l’activisme de Tony Blair (en vue de persuader Washington de la nécessité d’une estampille de l’ONU) a été doublement tourné en dérision. Par le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld d’abord, lorsqu’il suggéra que l’Amérique était prête à partir en guerre sans Londres. Ou encore par le chef de cabinet du vice-président US, qui avoua à un haut gradé britannique ne pas bien comprendre pourquoi Blair s’agitait tellement au sujet de l’ONU, « puisqu’il [Blair] viendra avec nous de toute façon ».
Au mieux, personne ne les prend au sérieux. Comme Chris Patten l’a remarqué, « quelles que soient les erreurs désastreuses commises par la puissance d’occupation [en Irak] il n’est jamais venu à l’idée de personne de pointer un doigt accusateur vers les Britanniques. Personne ne tient la Grande-Bretagne pour responsable, parce que personne ne pense, même pas pour une nanoseconde, que la Grande-Bretagne soit impliquée dans les décisions ». En effet, elle ne l’est pas. Ce qui ne l’empêche pas d’envoyer ses soldats sur le champ de bataille.
3. La Cour des comptes britannique (NAO ou National Audit Office) lève le voile sur ce que signifie, pour la défense britannique, la décision de priver leurs futurs porte-avions de catapultes/brins d'arrêt au profit de l’option STOVL (décollage court et appontage vertical). Outre le fait que celle-ci impose, de fait, l’achat de Joint Strike Fighters américains et qu’elle est incompatible avec les Rafales, c’est surtout un renoncement formidable. « L’acceptation d’une carence en matière de DPOC (deep and persistent offensive capability) est, d’après le rapport, un facteur clé »dans les calculs entourant le choix.
Manifestement, cela ne s’est pas fait sans mal : le rapport du NAO de noter que le ministère aurait changé d’avis trois fois en deux ans sur l’importance (ou pas) de maintenir une capacité d’attaque en profondeur. (N.B. : le rayon d’action et la charge utile des avions STOVL sont tous les deux considérablement réduits par rapport à la version embarquée conventionnelle). Mais Whitehall a finalement abouti à la conclusion que ce n’est sans doute pas aussi crucial que cela, puisque son grand allié s’en chargera.
Ce qui est logique, en quelque sorte, sachant que de l’aveu même des ministres britanniques, le Royaume-Uni n’envisage plus de s’engager dans une opération militaire d’envergure autrement qu’aux côtés des Etats-Unis. Or pour ce qui est d’assurer simplement la protection d'une flotte multinationale dirigée par l'Amérique, les futurs/éventuels Joint Strike Fighter (version STOVL) de Sa Majesté sauront certainement se montrer fort utiles. C’est déjà ça.
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porte-avions, royaume-uni, relation spéciale uk-usa, irak