Note d’actualité
Ce n’est pas dans « une galaxie lointaine, très lointaine », mais néanmoins au-delà de l’atmosphère terrestre que se déroule l’une des manches les plus passionnantes du match transatlantique. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une véritable compétition. Car si pour les Etats-Unis l’enjeu est de s’arroger un contrôle absolu des activités spatiales, l’Europe, elle, ne peut aspirer qu’à essayer d’éviter la dépendance totale.
La politique spatiale américaine ambitionne officiellement ce qu’ils appellent « space control » ou « space dominance » (à savoir contrôle et domination du tout le secteur spatial par les Etats-Unis). C’est un prolongement pour ainsi dire naturel de la politique étrangère et de défense washingtonienne obsédée et guidée par le concept de « la suprématie écrasante ». Déjà en 1996, la directive du président Clinton avait précisé que « les Etats-Unis développent, opèrent et maintiennent les capacités de contrôle spatial, lesquels lui permettent de disposer d’une liberté d’action dans l’espace et de priver ses adversaires de cette même liberté d’action ». Une autre directive, venant du Département de la Défense et datée de 1999, considère que « l’espace est un milieu au même titre que la terre, les mers et l’air où des activités militaires seront conduites pour atteindre les objectifs américains de sécurité nationale ». La Commission « Espace » du Congrès comptait en début 2001 avec le scénario d’un « Pearl Harbor spatial ». Présidée par l’actuel secrétaire d’Etat à la Défense, Donald Rumsfeld, elle estimait que tôt ou tard la guerre s’étendrait inévitablement à l’espace : par conséquent, il faut faire tout ce qui est possible, et ceci dès aujourd’hui, pour que les Etats-Unis préserve là (aussi) son hégémonie. Aux yeux de l’Amérique, le fait qu’elle dépense 90% des sommes consacrées aux programmes spatiaux militaires dans le monde n’est pas suffisamment rassurant. Washington revendique toujours plus et mieux. Dans ce cas précis, cela se comprend dans une certaine mesure. En effet, depuis le début des années 1990, une série de décisions enferment les Etats-Unis dans le piège de la nécessité du contrôle de plus en plus absolu de l’espace. Au fur et à mesure que ses forces armées se mettent à dépendre de manière exponentielle des technologies spatiales, et la sécurité nationale est confiée à ce qu’ils appellent « le système des systèmes », ils ne peuvent pas ne pas prendre conscience de leur vulnérabilité croissante. D’où leur hostilité par rapport à ce qu’ils perçoivent comme la « prolifération » des technologies spatiales et leur obsession à préserver un monopole de fait dans ce domaine. La réponse du Pentagone va essentiellement dans deux directions. La protection maximale – sous forme de « frappes préventives » s’il le faut – de leur propre dispositif spatial d’une part, et la capacité d’empêcher l’accès à l’espace de tout autre acteur si Washington en décide ainsi, de l’autre. Bien entendu, dans la poursuite de cette noble ambition, les Etats-Unis ne se laissent pas gêner outre mesure par d’éventuelles contraintes internationales. Tout comme ils ne font pas grand cas du fait que les simulations d’affrontements spatiaux se terminent en règle générale par une apocalypse nucléaire. Etant donné qu’un adversaire privé « de ses yeux et de ses oreilles » est tenté d’appuyer, ne sait-on jamais, sur le bouton rouge. Sur notre continent, pendant longtemps seuls les Français avaient pris conscience et ont tiré les conclusions de l’importance de la politique spatiale du point de vue de la préservation d’une certaine marge de manœuvre. Mais les abus du comportement washingtonien des années 1990, leur refus du partage d’information pendant la crise du Kosovo, ou encore le souvenir de la prestation audio-visuelle de Colin Powell devant le Conseil de sécurité contribuent à ouvrir les yeux des amis et alliés européens, toujours frileux à l’idée d’indépendance. L’un des obstacles majeurs concerne la nature même de la coopération européenne en matière spatiale, laquelle se borne – de par la charte de l’Agence spatiale européenne créée en 1975 – aux aspects « pacifiques ». Il est vrai que cette approche eut des résultats indéniables (encore une fois grâce à la force d’entraînement de la France), qu’il s’agisse de l’accès indépendant à l’espace (lanceurs Ariane), de cosmodrome (le centre spatial de Kourou, en position quasi équatoriale, est considéré comme le mieux situé au monde), ou de la base technologique et industrielle toujours compétitive à l’échelle globale. Mais tout cela ne suffit plus. L’absence de la dimension militaire au niveau européen signifie un handicap de plus en plus insurmontable dans un secteur où la plupart des investissements et commandes « sûrs » proviennent des institutions étatiques militaires. Néanmoins, des infléchissements sont à noter même sur ce plan. Malgré les pressions et chantages américains, les pays de l’UE ont approuvé en 2002 le programme Galileo (système de navigation par satellite) qui entrerait en service dès 2008. La position officielle selon laquelle toute application militaire serait exclue n’est ni crédible, ni tenable. Aussi, le Livre blanc sur la politique spatiale, publié en 2003 par la Commission de Bruxelles, faisait mention du renforcement de la politique étrangère, de sécurité et de défense commune parmi ses arguments en faveur d’une coopération accrue dans le domaine spatial. Cette prise de conscience s’explique par plusieurs facteurs. Les efforts américains pour étouffer toute velléité d’alternative à leur monopole y figurent au même titre que la reconnaissance du rôle clé des technologies spatiales dans bon nombre de politiques européennes (de la protection de l’environnement à l’assistance humanitaire, en passant par les impératifs de la compétitivité économique). Il ne faut pas oublier non plus la mise en route de la PESD (politique européenne de sécurité et de défense) au point de départ de laquelle se trouve le besoin d’autonomie de décision et d’action. Ce qui serait difficile à concevoir sans « yeux et oreilles ». Pour ce qui est des progrès futurs, l’une des clés réside dans l’exploration systématique du chevauchement entre domaines civil et militaire. Le champ d’intersection est, en effet, considérable, comme en témoigne non seulement le système Galileo mentionné plus haut, mais aussi le fait que dans beaucoup de projets dits civils le volet « sécurité » occupe une place de plus en plus centrale. En même temps, la recherche de solutions à moindre coût pousse les Etats-membres vers des coopérations bi ou multilatérales. Bien évidemment, et comme dans d’autres domaines, la question fondamentale concerne l’existence ou l’absence de la volonté politique. Dans la majorité des Etats-membres, on tarde à reconnaître que ce n’est pas une sorte d’anti-américanisme mythique qui guide les revendications visant à éviter la dépendance et l’impuissance totales. Que la prise en compte de cette nécessité devrait être, au contraire, un préalable stratégique pour toute politique digne de ce nom. Au lieu de quoi les dirigeants européens se contentent trop souvent de débats de comptables autour d’un enjeu pourtant crucial.
Texte complet en hongrois.
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