Note d’actualité
A quelques mois de la décision historique sur l’adhésion des nouveaux membres, l’actualité internationale, dominée par l’éventualité d’une attaque américaine contre l’Irak, pousse à s’interroger – dans la perspective d’une UE à 25 – sur le dilemme « Europe-espace contre Europe-puissance ».
Ces termes qui au début furent étroitement liés au débat élargissement-approfondissement désignent deux conceptions diamétralement opposées de la construction européenne, et mettent en évidence le risque de dilution en une vaste zone de libre-échange, à défaut de volontarisme politique suffisant. Or, le difficile positionnement des Quinze au sujet de l’Irak permet de mesurer à quel point l’Union européenne est loin de constituer ce multiplicateur d’influence et ce pôle de puissance que les partisans d’une Europe politique espérait voir émerger, de préférence avant le grand élargissement lequel rendra toute ambition commune incontestablement plus difficile.
Le plus petit dénominateur commun
La réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l’UE (le 31 août dernier à Elseneur au Danemark) se plaça d’emblée sous le signe de la contradiction, notamment au sujet du débat autour des menaces d’intervention américaine contre le régime de Saddam Hussein. Les Quinze ont manifestement voulu envoyer un message de fermeté au chef d’Etat irakien tout en se limitant au seul point consensuel de leurs positions nationales respectives.
Ainsi, alors que les observateurs ont noté « un durcissement du ton », celui-ci ne concernait que l’exigence d’un retour sans condition des inspecteurs de l’ONU en Irak, et les chefs de la diplomatie des Quinze ont soigneusement évité la question pourtant cruciale des modalités d’exécution. Comme l’a reconnu, très diplomatiquement, le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw : « Les inspecteurs doivent retourner en Irak, mais il y a un débat sur la manière dont cela devrait être fait ».
Etant donné que ces « modalités » couvrent une vaste gamme de possibilités, allant de la pression diplomatique concertée à l’opération militaire unilatérale des Etats-Unis, l’incertitude quant à l’attitude européenne reste entière. Dans ces conditions et compte tenu des propos ouvertement belliqueux des responsables américains, la tentative de la présidence danoise qui s’efforçait de minimiser les enjeux, en affirmant que « il n’y a pas de raison que nous nous prononcions sur une guerre qui est hypothétique », n’a pas convaincu grand monde.
Divergences d’approche
L’unité de façade est d’autant moins crédible que les grandes capitales européennes n’ont pas manqué à préciser leurs positions respectives et celles-ci avaient bien peu de choses en commun.Si pour les uns « l’offensive militaire demeure une option » (comme l’a déclaré le ministre britannique), d’autres (notamment son homologue allemand) ont présenté leurs « préoccupations sur la manière de calculer les risques d’une intervention militaire » et leur « rejet de la guerre et de l’occupation pour changer le régime ».
Il est clair que des considérations de politique intérieure pèsent très lourd dans ces prises de position. En Grande-Bretagne, le Premier ministre – à qui plus de la moitié des électeurs reprochent un suivisme trop automatique par rapport à Washington – doit, au sujet de l’Irak, faire face à la division non seulement de son parti mais aussi de son cabinet ministériel. Dans l’Allemagne pré-électorale, tandis que le chancelier sortant a exclu toute participation allemande dans ce qu’il qualifia de « passe-temps guerrier », son adversaire conservateur dénonce cette position jugée « totalement irresponsable » et susceptible – selon lui – d’alléger la pression internationale sur « un criminel de guerre qui a agressé son voisin et prépare des armes de destruction massive ».
Certes, la France fait figure d’exception dans la mesure où la question irakienne ne divise pas la classe politique et, de surcroît, la position défendue par les dirigeants français est très proche des opinions que l’on entend à Bruxelles et au Parlement européen. Le discours légaliste de Dominique de Villepin, ministre français des Affaires étrangères, selon lequel « il appartient au Conseil de sécurité de l’ONU d’examiner toutes les options, y compris militaires, qui pourraient être envisagées », trouve son écho chez Chris Patten, commissaire européen chargé des Relations extérieures, lequel a insisté que « toute action devra se réaliser dans le respect des décisions des Nations unies ».
Toutefois, il est peu probable que la position de la France – dont le président a annoncé que « l’on voit poindre la tentation de légitimer l’usage unilatéral et préventif de la force » et que « cette évolution est inquiétante et contraire à la vision de la sécurité collective de la France » - puisse servir de base à une position commune des Quinze, tant est grand dans la plupart des capitales européennes, le souci de garder les bonnes grâces de Washington.
Enjeux majeurs
Les politiques à court terme, les considérations électorales et les calculs égoistes sont d’autant plus dangereux que les questions qui sont en jeu vont bien au-delà du sort du régime irakien. Les risques d’explosion en chaîne dans une région qui n’est pas des plus stables de la planète, l’aggravation des tensions entre l’Occident et le monde arabo-musulman ou l’affaiblissement de l’autorité du Conseil de sécurité de l’ONU mis à part, les Etats membres de l’Union européenne se trouvent face à des choix lourds de conséquences.
Faute d’unité, l’UE n’est pas en mesure d’infléchir la politique américaine dans un sens plus conforme aux priorités européennes, et encore moins de présenter – le cas échéant – une alternative crédible à la communauté internationale. Tout au contraire, les divisions parmi les Quinze encouragent à Washington (et dans certaines capitales européennes peu acquises à l’idée d’un renforcement de la dimension politique de l’UE) ceux qui souhaiteraient pérenniser la pratique actuelle de concertations bilatérales entre les Etats-Unis et ses partenaires, en réduisant la PESC (la politique étrangère et de sécurité commune) à une politique déclaratoire des grands principes.
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