Note d’actualité
En attendant la remise du rapport des inspecteurs de l’ONU en Irak (prévue pour le 27 janvier prochain), un bref aperçu sur l’approche européenne au sujet de la guerre annoncée pourrait mettre en évidence ce qui fait la spécificité de l’UE sur ce dossier d’actualité.
Pour l’heure, le travail des inspecteurs se poursuit, les troupes américaines et britanniques se déploient et tous les gouvernements occidentaux envoient des « signaux » pour le moins contradictoires sur leurs intentions. Dans ce contexte, si toute tentative d’anticipation concernant l’attitude qu’adopteront les protagonistes au moment de vérité serait un exercice vain, les considérations qui distinguent la position européenne de celle des Etats-Unis sont d’autant plus intéressantes à regarder de plus près qu’elles risqueront de s’effacer dans l’alignement général qui suivrait une éventuelle décision unilatérale américaine.
Convergence délicate mais réelle
Les divisions profondes qui caractérisent les Quinze – et plus significativement les trois « grands », à savoir la Grande-Bretagne belliqueuse, l’Allemagne ultra-réticente et la France qui n’a d’yeux que pour le strict respect de la légalité internationale – sur le dossier irakien, ne sont pas forcément aussi insurmontables qu’elles peuvent paraître.[1] Non pas à cause des revirements récents, réels ou supposés, des uns et des autres (Tony Blair, sous le feu des critiques de l’opinion publique britannique et de son propre parti, a prononcé quelques discours plus nuancés ; les diplomates allemands ont fait savoir que Berlin ne s’opposeraient pas nécessairement à une décision d’intervention prise par l’ONU ; et le président français a appelé les militaires à « se tenir prêts à toutes éventualités »), mais plutôt en raison du fait que la plupart des Européens et leurs dirigeants sont d’accord sur certains points essentiels. Telle la conviction que la guerre ne doit être que le dernier recours, une fois toutes les autres options épuisées – et encore faudrait-il qu’elle soit autorisée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Et surtout, les Européens partagent en commun quelques réserves sérieuses par rapport aux scénarios envisagés par l’administration américaine.
Préoccupations européennes
Si personne ne met en doute le caractère condamnable de la dictature de Bagdad, la perception du défi qu’elle constituerait pour l’Occident n’est pas la même de part et d’autre de l’Atlantique. Etant donné qu’une menace suppose d’une part des capacités crédibles (or, jusqu’ici les preuves de la dangerosité de l’arsenal irakien d’armes de destruction massive sont discutables) et de l’autre une intention agressive (à laquelle aucun indice ne permet de conclure, malgré les efforts acharnés des services de renseignement américains), les Européens – tout comme nombre de personnalités politiques et militaires aux Etats-Unis – ont tendance à considérer l’Irak comme un « risque contenu ». Ce qui ne serait d’ailleurs plus le cas si Saddam Hussein se retrouvait le dos au mur à la suite d’une intervention armée lancée dans le but de renverser son régime. Outre les pertes humaines considérables auxquelles il faudrait s’attendre à la fois pour les forces d’invasion et dans la population civile irakienne, les risques de déstabilisation régionale et la montée inévitable de l’anti-occidentalisme dans l’opinion arabe et musulmane est une autre source d’inquiétude. Et cela d’autant plus, que de telles évolutions ne seraient pas sans répercussions au sein même de l’Union européenne, en aggravant les tensions inter-communautaires et en apportant ainsi de l’eau dans le moulin des populistes extrémistes de tout bord.
Sauver ce qui peut l’être
D’après les analyses européennes, une guerre en Irak pourrait donc bien finir par provoquer plus de désordre que d’ordre, vu surtout le fait qu’une action unilatérale américaine aurait des conséquences désastreuses au regard du droit international dont elle remettrait en cause les fondements mêmes. Sans avoir pu présenter une solution alternative crédible, ou du moins faire front commun pour infléchir la position américaine, les Européens pourraient encore limiter les dégâts. Dans la période cruciale qui suivra la remise du rapport des inspecteurs, ils devraient éviter de légitimer un éventuel fait accompli américain, en refusant de l’aider à se faire passer pour un multilatéralisme dont il serait le dangereux contraire. Et surtout, les quatre pays membres de l’UE qui se trouvent à présent au Conseil de sécurité[2] devraient tout faire pour « parler d’une seule voix ». Dans l’esprit du traité de l’Union, lequel prévoit que : « Les Etats membres coordonneront leur action au sein des organisations internationales. Ceux qui sont aussi membres du Conseil de sécurité des Nations Unies se concerteront, et ceux qui y sont membres permanents veilleront, dans l’exercice de leurs fonctions, à défendre les positions et les intérêts de l’Union. »[3] Même si la formule est suffisamment vague pour se prêter à des interprétations nationales auto-justificatrices, dans les circonstances actuelles son implication apparaît tout à fait claire. Celui des quatre qui préfèrerait faire cavalier seul sur ce dossier, portera la responsabilité de la décrédibilisation de toute politique extérieure européenne digne de ce nom.
[1] Pour un inventaire des divergences initiales, voir l’article « La question irakienne, révélatrice des faiblesses de l’Europe politique » dans le JFB du 15 septembre 2002.
[2] En 2003-2004 l’Espagne et l’Allemagne siègeront au Conseil de sécurité parmi les dix membres non permanents qui côtoient les cinq membres permanents (Chine, Etats-Unis, Russie, France et Grande-Bretagne) lesquels disposent quant à eux d’un droit de veto. Rappelons que toute résolution doit recueillir l’approbation d’au moins neuf des quinze membres.
[3] Article 19 (ex-article J.9) du Traité sur l’Union européenne.
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