Note d’actualité
A la lumière d’une remarque acerbe du secrétaire d’Etat américain à la Défense sur la France et l’Allemagne, il convient de revenir sur l’état actuel et les projets d’avenir du couple franco-allemand qui vient de fêter le 40ème anniversaire du Traité de l’Elysée.[1]
D’après Donald Rumsfeld, Paris et Berlin constitueraient « la vieille Europe », par opposition à celle qui est en train de se former et qui, avec son centre de gravité déplacé aux pays de l’ancien Est communiste, serait beaucoup plus encline à s’aligner sur son puissant ami américain que ne le sont les deux capitales, unanimes dans leur rejet d’une guerre unilatérale et prématurée contre l’Irak. Or, justement, le pari franco-allemand consiste à accompagner l’élargissement de l’UE – lequel comporte sans aucun doute un sérieux risque de dilution pour le projet européen – d’un véritable approfondissement politique, grâce à la « force d’entraînement » du tandem Paris-Berlin.
Initiatives européennes
Dans cet esprit, la déclaration adoptée le 22 janvier, souligne d’emblée qu’il faut inscrire l’intensification envisagée des actions bilatérales « encore davantage dans une perspective européenne ». En effet, les initiatives énumérées dans le document se répartissent en deux catégories distinctes, mais liées entre elles par le même souci d’« européanisation » de la coopération franco-allemande. A côté des décisions à portée bilatérale – destinées à ouvrir la voie à des progrès au niveau de l’ensemble de l’UE –, la déclaration reprend les propositions que les deux pays avaient soumises en commun à la Convention chargée d’esquisser le nouveau paysage politico-institutionnel de l’Union élargie.
Ces contributions franco-allemandes abordent des dossiers hautement sensibles, telle la justice et les affaires intérieures (avec des projets concernant la suppression des titres de séjour pour les citoyens européens, le renforcement des capacités d’Europol, la création d’un casier judiciaire européen ou la mise en place d’une police européenne des frontières), la gouvernance économique (avec un accent particulier sur la promotion d’une nouvelle solidarité avec les pays du Sud), la politique européenne de sécurité et de défense (sur ce point, les propositions franco-allemandes évoquent pour l’UE une « solidarité en matière de sécurité et de défense », laquelle ressemble étrangement à une authentique défense collective, mais sans dire son nom, cette fonction étant officiellement toujours réservée à l’OTAN), ou encore la future architecture institutionnelle de l’Union (la contribution commune dans ce domaine représente un compromis extrêmement fragile sur le poids respectif des institutions intergouvernementales et supranationales de l’UE).
Modèle d’union
Autre signe de cette optique résolument européenne de la relance du couple Paris-Berlin : les initiatives bilatérales sont désormais ouvertement censées intensifier une coopération qui servirait de modèle à l’ensemble de l’Union, et constituerait – potentiellement – un pôle d’attraction pour ceux des Etats membres qui seraient prêts à s’engager sur la voie d’un approfondissement plus poussé de l’intégration politique. Comme l’a formulé la déclaration franco-allemande : « Pour jouer pleinement leur rôle de force d’impulsion et d’entraînement au sein de l’Union européenne, nos deux pays doivent développer leur coopération de manière exemplaire. Notre objectif est que nos projets puissent servir de base aux politiques européennes. Nous prendrons donc des initiatives bilatérales, permettant d’expérimenter, dans des domaines d’action prioritaires, une union plus étroite entre nos citoyens, nos sociétés et nos institutions. » Et au président Chirac d’y ajouter que « rassemblés avec l’Allemagne et la France, les pays qui souhaitent aller plus loin ou plus vite pourraient se constituer en un groupe pionnier ».
Ainsi, les décisions annoncées – prévoyant le rapprochement des législations sur le droit civil ; l’attribution de la double citoyenneté ; la recherche de positions communes dans les instances internationales ; des consultations entre ministres homologues lors de la préparation des projets de loi, l’institution d’un secrétaire général pour la coopération franco-allemande dans chaque pays ; l’étude de la possibilité d’ambassades et d’un état-major communs, de l’harmonisation de la planification des besoins militaires et de la mise en commun des capacités et des ressources – seraient surtout une préfiguration de ce qui pourrait être, dans une Union à 25, le groupe de ceux qui garderaient l’ambition d’une intégration politique « toujours plus étroite ».
Certes, l’idée d’une telle « matrice » franco-allemande apparaît séduisante, mais sa mise en œuvre n’en est pas moins aléatoire. Le premier test grandeur nature sera l’élaboration (ou le manque) d’une position commune franco-allemande par rapport aux preuves américaines destinées à convaincre de l’urgente nécessité d’une intervention militaire en Irak. Outre le contexte international particulièrement tendu, les différentes échéances européennes – dont la Conférence intergouvernementale de 2004, et les années de négociations de l’Agenda 2007 – offriront de nombreuses opportunités pour le couple de traduire dans les faits les engagements pris à l’occasion de leurs noces d’émeraude.
[1] Sur l’histoire et la portée du Traité, voir l’article du Dr Bruno Hamard dans le JFB du 22 janvier.
Tags:
avant-garde, ue