Note d’actualité
Dans la foulée de la guerre en Irak, des débats autour de la future Constitution européenne et des préparatifs pour l’adhésion de dix nouveaux pays à l’UE, les premiers pas concrets de l’Europe de la défense sont passés presque inaperçus.
Pourtant, même si après la déclaration du Conseil européen de Laeken (décembre 2001) sur « l’opérationnalité » de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) les ambiguïtés fondamentales du projet n’ont toujours pas été dissipées et le début de la mise en œuvre fut suspendu à un an de piétinements, dans le courant du premier semestre 2003 trois opérations relevant de la PESD ont été lancées avec succès. Ces trois missions – en Bosnie-Herzégovine, en Macédoine et en République démocratique du Congo – recouvrent les trois cas de figure majeurs prévus pour la politique de défense européenne : il s’agit respectivement d’une opération de type « gestion civile des crises », d’une action militaire menée par l’UE avec recours aux moyens de l’OTAN, et d’une opération militaire mandatée par l’ONU, conduite de façon autonome par l’Union européenne.
Au-delà des sigles et des symboles
Si le contexte international n’a pas vraiment favorisé une plus grande publicité pour cette mise en route effective de la défense européenne, cela n’a pas empêché les différents responsables politiques de saluer l’importance à la fois « historique » et « symbolique » des premières missions et d’essayer de leur conférer sur le terrain autant de visibilité que possible.
Ainsi au lancement de la mission de police de l’UE (MPUE) en Bosnie le 1er janvier dernier, Javier Solana – Haut représentant de l’Union pour la PESC (politique étrangère et de sécurité commune) a remarqué que « ce n’est pas sans émotion que nous observons pour la première fois les couleurs européennes sur les uniformes nationaux de nos officiers de police » et y voyait « un symbole fort de la volonté collective des Européens d’agir ensemble pour garantir la stabilité et la sécurité sur le continent ».[1] En Macédoine, outre les insignes « EUFOR » et les couleurs du drapeau européen sur les épaules des quelque 320 soldats (venus de 27 pays) de la première opération militaire de l’UE, l’héliport baptisé « Camp Schuman » et les emblèmes européens géants sur les côtés des hélicoptères belges et grecques contribuant à la mission n’ont pas manqué de susciter quelques remarques ironiques. Parmi celles-ci, le commentaire du correspondant de la BBC qui a observé que « l’opération semble être beaucoup plus important pour l’Union européenne que pour la Macédoine ».[2] Toutefois, cette recherche de visibilité est loin d’être gratuite : il s’agit d’afficher haut et fort que l’Europe est désormais prête à appuyer son large éventail d’instruments de prévention et de gestion des crises par une composante militaire. Et de renforcer, du même coup, le profil international de l’UE, souvent perçue comme un bailleur de fonds généreux mais impuissant lorsqu’on en vient aux « choses sérieuses ».
Entre l’épouse américaine et l’amante française…
Or, ce changement de perception est loin d’être évidente, comme en témoignent les débats qui agitaient l’opinion et la classe politique macédoniennes au sujet du passage de relais entre l’OTAN et l’UE, et au terme desquels les dirigeants de Skopje ont fini par suivre le conseil que leur aurait donné un haut responsable de l’OTAN : ne jamais choisir entre l'Union européenne et l'OTAN, car on ne choisit pas entre une épouse américaine et une amante française - on essaie de les avoir toutes les deux...
De toute manière, la question de savoir si l’UE prendrait ou pas la relève de l’opération « Allied Harmony » en Macédoine ne se jouait pas à Skopje mais à Washington et à Bruxelles. Au sein de l’OTAN et de l’Union européenne où les divisions au sujet de l’articulation entre les deux organisations sont d’autant plus profondes qu’elles mettent au jour des conceptions parfois diamétralement opposées en ce qui concerne le rôle de l’Europe et le degré de sa subordination (ou de son indépendance) par rapport à l’hyperpuissance américaine.
Des tiraillements inévitables
De ce point de vue, ce n’est évidemment pas l’opération en Macédoine – peu ambitieuse et conduite avec recours aux moyens de l’OTAN, donc en coopération étroite avec celle-ci – qui constitue la révélation majeure. Par contre, les réactions contrariées de Washington à l’annonce de la « disposition de l’Union européenne à mener une opération militaire en Bosnie à la suite de la SFOR »[3] (qualifiée de « prématurée » par certains responsables américains), de même qu’à l’opération Artémis au Congo, lancée à la demande du Secrétaire général de l’ONU, sous bannière européenne, de manière autonome, et sans concertation préalable à l’OTAN[4] (considérée par beaucoup comme un coup de force français visant à court-circuiter les « arrangements permanents » entre l’Alliance atlantique et l’Union européenne), en disent long sur la persistance des divergences en matière d’émancipation européenne.
[1] La MPUE a pris la relève de l’ONU pour former et aider les polices des deux entités bosniaques dans la lutte contre la criminalité organisée et la corruption. Elle comporte 512 policiers dont 422 fournis par les Etats membres de l’Union européenne et 90 par d’autres Etats, dont la Hongrie.
[2] En Macédoine, la mission militaire de l’UE a pris le relais, le 31 mars dernier, des forces de l’OTAN (composées, en très grande majorité, de troupes européennes) qui étaient déployés en Macédoine depuis 2001 pour surveiller la mise en œuvre de l’accord de paix signé entre le gouvernement et la guérilla albanaise.
[3] La formulation est celle des Conclusions de la Présidence danoise approuvées par le Conseil européen de Copenhague, en décembre 2002, et concerne la prise en charge éventuelle par l’UE du maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine, assuré actuellement par 12 000 soldats de l’Alliance.
[4] Le 4 juin, les Quinze ont donné leur feu vert à la première opération militaire de l’UE hors du Vieux Continent et, cette fois-ci, sans recours aux moyens de l’Alliance. Il s’agit de l’envoi, sous commandement européen et avec la France comme nation-cadre, d’un contingent de 1 400 militaires au Congo pour sécuriser la ville de Bunia, dans un contexte de violents affrontements ethniques.
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