Note d’actualité
Tous les commentateurs avisés, qu’ils soient déçus ou soulagés, s’accordent pour dire que le texte qui fera l’objet d’âpres négociations lors de la Conférence intergouvernementale (CIG) lancée le 4 octobre dernier, n’a de Constitution que le nom. Et encore.
Les conventionnels présidés par Valéry Giscard d’Estaing ont eu la modestie – ou plutôt le réalisme – d’intituler le résultat de leurs travaux de « projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe ». Car c’est bien d’un nouveau traité qu’il s’agit (la quatrième en l’espace d’à peine plus de dix ans : c’est dire l’état désespéré et désespérant où se trouve la construction européenne, poursuivie et élargie sans que le « sens » du projet n’ait jamais été clarifié), et donc non pas d’une constitution, puisqu’il ne définit pas l’exercice d’une souveraineté propre (l’Union n’a que des compétences qui lui sont conférées par les Etats membres) et il ne change pas la nature de l’intégration (ne fédéralise donc pas l’Europe, celle-ci garde son caractère hybride, avec une dimension intergouvernementale et une dimension supranationale).
De la Convention à la CIG
Même le seul aspect par lequel le nouveau traité se distinguerait de ses prédécesseurs (à savoir la préparation du projet de texte au sein d’une Convention, une méthode originale, alliant la représentativité et l’efficacité) risque d’être anéanti par les marchandages dont le « projet de Constitution » fera l’objet parmi les Vingt-cinq, qui doivent l’approuver à l’unanimité. A l’ouverture de la CIG, il est devenu évident que le clivage le plus profond est celui qui oppose d’une part les six pays fondateurs plus le Royaume-Uni, tous soucieux (pas forcément pour les mêmes raisons) de s’en tenir le plus près possible au texte du projet de traité, et de l’autre, le reste des Etats membres, actuels ou futurs, lesquels – menés par l’Espagne et la Pologne – exigent une véritable révision de l’acquis des conventionnels. La présidence italienne, elle, se situe clairement dans le premier camp : il prévoit un calendrier extrêmement serré et une négociation conduite au plus haut niveau politique (avec trois réunions au sommet et six réunions des ministres des Affaires étrangères dans les dix semaines qui viennent), afin de laisser le moins de marge de manœuvre possible aux contestataires.
Miraculeux équilibre
Face aux revendications nationales, aussi nombreuses que diverses, les Sept (la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne) font valoir que le projet de traité – adopté par consensus au niveau de la Convention, après 16 mois de travaux rigoureux et transparents, rassemblant des parlementaires et les délégués des gouvernements de tous les pays concernés – représente un point d’équilibre dont il faudrait s’écarter le moins possible sous peine d’une réouverture de la boîte de Pandore.[1]
En effet, la Convention est parvenue à un résultat habile qui, à défaut de véritables percées, réussit à faire quelques progrès et surtout à laisser ouverte la possibilité d’autres avancées plus substantielles, entre les pays membres prêts et disposés à une intégration plus poussée. Le projet de traité préserve le modèle original de la construction européenne, en accentuant sa dimension fédérale (l’Union est dotée d’une personnalité juridique unique, la place des procédures intergouvernementales se réduit), tout en maintenant son caractère confédéral (d’importants domaines restent dans l’intergouvernemental et les décisions de base continuent à être soumises à ratification nationale). Pour ce qui est de l’amélioration du fonctionnement de l’UE, le texte propose de simplifier les instruments juridiques et législatifs de l’Union, et envisage des réformes profondes pour chacune des institutions (rôle accru du Parlement européen, réduction du nombre des Commissaires, présidence stable du Conseil européen, création du poste de ministre des Affaires étrangères de l’Union, nouvelle définition simplifiée pour la majorité qualifiée), le tout en vue d’une capacité de décision et d’action accrue. De surcroît, le projet prévoit de faciliter le recours à des mécanismes de « flexibilité » pour les Etats prêts à avancer plus vite et plus loin dans le domaine de la politique étrangère et en matière de défense.
L’iceberg qui s’enfonce
Force est de constater que ces innovations pragmatiques et savamment dosées risquent d’être diluées et réduites à des compromis a minima, lors des déchirements qui s’annoncent à la Conférence intergouvernementale. En effet, les services compétents à Bruxelles seraient déjà en train de préparer des « toilettages techniques » pour introduire dans le texte les exigences des uns, sans trop léser les intérêts (ou l’amour-propre) des autres. Au prix de se retrouver, une fois de plus, avec des solutions de façade[2] destinées à camoufler les problèmes institutionnels urgents, lesquels ne constituent, de surcroît, que la partie émergée d’un iceberg immobilisé par des visions politico-stratégiques contradictoires.
[1] Selon le président Chirac, par exemple, s’il faut y apporter quelques clarifications et ajustements mineurs que les conventionnels n’étaient pas en mesure de régler à leur niveau, « la Conférence intergouvernementale ne doit pas remettre en cause l’équilibre général ni les éléments essentiels du projet élaboré par la Convention ».
[2] Parmi les « pistes de compromis » à l’étude, il serait question notamment d’accommoder les petits pays en gardant le principe d’un commissaire par pays; d’amadouer l’Espagne et la Pologne en leur donnant un quasi droit de veto par la modification du critère démographique de la majorité qualifiée; et de sacrifier la « clause de défense mutuelle » censée liée les Etats membres désireux d’y souscrire, pour obtenir l’aval de Londres à la simple possibilité de constituer des coopérations plus restreintes.
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