Note d’actualité
Lorsque les dirigeants français, allemand et britannique se sont retrouvés à Berlin pour leur troisième sommet tripartite en moins de six mois, de nombreux partenaires ont exprimé la crainte de l’institutionnalisation d’une sorte de triumvirat.
« Dear Jacques », « cher Gerhard » et « lieber Tony » avaient beau souligner – et manifester autant que possible – le caractère informel de leur réunion, les arguments qui plaident en faveur de la mise en place d’un véritable directoire à trois ne manquent pas, et contribuent à renforcer les inquiétudes. C’est finalement le peu de résultats concrets de la rencontre du 18 février (des propositions plutôt vagues ont été formulées en vue du Conseil européen de mars prochain, consacré à l’économie) et la composition hétéroclite de cette alliance tactique qui sont le plus à même de rassurer ceux qui se méfient de la perspective d’un ménage à trois.
Protestations peu convaincantes
Fédérant le mécontents face au trio franco-germano-britannique, une « lettre des Six » fut adressée, deux jours avant la rencontre tripartite, par l’Espagne, le Portugal, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne et l’Estonie à la présidence irlandaise de l’UE. Les Six y demandaient l’application « sans discrimination » du pacte de stabilité budgétaire européen, par rapport auquel Paris et Berlin avaient obtenu des exemptions temporaires l’an dernier, avec l’appui de Londres. Les commentaires des pays signataires laissent transparaître, derrière les préoccupations d’ordre économique, l’angoisse de ceux qui se sentent laissés pour compte et craignent de se voir imposer des décisions. La présidence irlandaise – informée de la tenue du sommet de Berlin et de ses résultats – est restée à l’écart de la polémique. Selon Dublin « qu’il s’agisse de réunion informelle ou de contribution écrite, chacun apporte sa pierre à la réflexion européenne ».
En effet, l’indignation des « exclus » face à ce concert tripartite fut tempérée par un certain nombre d’autres considérations. Ainsi, la Belgique estime-t-elle que de telles réunions peuvent, malgré tout, « mettre un tigre dans le moteur de l’Union ». Pour la Pologne, « mieux vaut à trois qu’à deux » : la présence de Londres aux côtés du couple franco-allemand est perçue comme un gage contre toute dérive indésirable.
Un ménage à trois inéluctable…
Au vu des divisions européennes, les arguments en faveur d’un « triumvirat » Paris-Berlin-Londres sont plus qu’évidents. A quelques semaines d’un élargissement dont les dangers potentiels se sont déjà manifestés lors du blocage des négociations sur le nouveau traité constitutionnel, la création de sous-groupes facilitant le processus de décision apparaît comme une nécessité. Or, si c’est le cas, beaucoup préfèrent voir Londres y participer plutôt que de laisser au couple franco-allemand le soin de définir les grandes orientations pour l’Europe. Ceci est vrai tant sur le plan des ambitions de la construction européenne (« Avec les Britanniques, c’est le bon sens qui s’imposera face à l’idéologie »), tant sur celui des relations transatlantiques (« En politique étrangère comme dans le domaine de la Défense, la présence de Londres est une formidable garantie contre les dérives antiaméricaines. » - considère-t-on dans de nombreuses chancelleries ouest et est-européennes).
… mais contre nature
Toujours est-il que les mêmes facteurs qui font du triumvirat franco-germano-britannique une formule relativement attrayante pour certains, sont ceux qui fragilisent considérablement la cohésion du trio. Il est indéniable que des considérations nationales oeuvrent pour le moment en faveur du renforcement de la coopération à trois. Sur le plan intérieur, les trois dirigeants ont vu leurs positions affaiblir (Blair à cause du bourbier irakien, Chirac et Schröder du fait des difficultés de leurs partis respectifs), tandis que sur le plan européen ils ont tous les trois besoin de retrouver une crédibilité (la France et l’Allemagne en raison de leur violation du pacte de stabilité et pour contrer la diminution inéluctable de leur influence dans l’Europe élargie, la Grande-Bretagne pour compenser les effets de son pro-américanisme militant et sa prise de distance par rapport à l’euro et l’espace Schengen).
Mais si la plus forte légitimation de cette alliance conjoncturelle vient du fait que la coopération à trois pourrait remplir une fonction de « défrichage » dans une Europe minée par ses divisions multiples (la concertation entre les positions fort éloignées est utile pour cristalliser les problèmes et dégager les compromis), leurs différences mutuelles sont comme une bombe à retardement pour toute idée de triumvirat. Compte tenu de l’incompatibilité entre la vision britannique (atlantiste, libérale et méfiante envers tout ce qui distinguerait l’Europe d’une vaste zone de libre-échange organisée) et les ambitions franco-allemandes (Paris et Berlin sont favorables à l’intégration politique et attachées à l’économie sociale de marché), le triangle franco-germano-britannique n’est forcément que de circonstance. La Grande-Bretagne y fait figure d’une maîtresse à qui on fait appel de temps en temps pour donner du punch à sa vie de couple, mais qui ne change rien, finalement, à une relation franco-allemande qui, elle, s’inscrit dans la durée.
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