Ouvrage collectif
Commentaire de document au sujet de la visite à Budapest du président de la Commission européenne, Jacques Delors et du ministre français des Affaires étrangères, Roland Dumas, les 16-17 novembre 1989
Dans la deuxième moitié de l’année 1989, marquant un véritable tournant historique, la présidence tournante du Conseil de la Communauté économique européenne (CEE) fut assurée par la France, d’où venait également le président de la Commission européenne de 1985 à 1995 en la personne de Jacques Delors. Ce dernier, accompagné de Roland Dumas, ministre français des Affaires étrangères fit une visite à Budapest les 16-17 novembre 1989 au nom de la CEE, en particulier pour prendre la mesure des développements en Hongrie en vue de coordonner le programme d’aide décidé par les G7 en juillet dernier et géré par Commission de Bruxelles. La visite eut lieu à un moment décisif : entre la chute du Mur de Berlin le 9 novembre et la réunion du sommet informel des chefs d’Etat et de gouvernement le 18 de ce même mois, convoquée à l’improviste par le Président Mitterrand pour se concerter à Douze sur l’évolution de la situation à l’Est. L’article du quotidien Népszabadság, publié ci-après, résume les principaux messages de la conférence de presse des deux émissaires de la Communauté européenne et du gouvernement hongrois représenté par le Premier ministre Miklós Németh.
La Hongrie avait déjà signé, le 23 septembre 1988, un accord sur les relations économiques et commerciales avec la CEE. Au cours de cette période agitée de changements de régime, elle fut avec la Pologne dans le collimateur des dirigeants occidentaux, comme en témoigne le programme PHARE initié en 1989 au profit de ces deux pays. Le prestige de Budapest fut par ailleurs considérablement renforcé par ce que Jacques Attali (conseiller du Président Mitterrand, fondateur et premier président de la Banque européenne de reconstruction et de développement) décrivait ainsi: « C’est en Hongrie qu’a lieu le premier acte véritablement destructeur pour l’Empire soviétique », à savoir l’ouverture de la frontière austro-hongroise en septembre 1989.
L’histoire s’est sensiblement accélérée, et les dirigeants français s’efforcèrent de tenir le rythme. Dès l’été 1988, la décision fut prise à l’Elysée que la France doit « revenir en force » en Europe de l’Est. Lors des discussions franco-allemandes il s’est avéré que Bonn était avant tout intéressé par les pays qui sont dans une situation économique relativement meilleure (Hongrie, Tchécoslovaquie, RDA) et aurait préféré laisser Paris s’occuper du « reste » (Pologne, Bulgarie, Roumanie). Cette répartition des tâches fut inacceptable pour la France qui s’est lancée à son tour dans la course où participaient déjà – à part Bonn – Rome, Londres, et bien évidemment Washington.
Il n’en demeure pas moins que la priorité incontestée de la diplomatie française tout au long de cette période de mutations fut la question de la réunification allemande et son impact sur la construction européenne. Mitterrand fit savoir d’emblée que dans l’interprétation de Paris, les heureux événements qui se déroulent à l’Est ne font que rendre plus urgent l’approfondissement de la Communauté, lequel par ailleurs figurait déjà à l’ordre du jour. Au moment de la clôture de la présidence française, dans son allocution de vœux pour 1990, François Mitterrand explicite publiquement son concept de confédération européenne. D’après lui : « L'Europe, c'est évident, ne sera plus celle que nous connaissons depuis un demi-siècle. Hier dépendante des deux superpuissances, elle va, comme on entre chez soi, rentrer dans son histoire et sa géographie. (Si l’Europe choisit de se construire) elle peut le faire en deux étapes. D'abord grâce à une communauté des Douze, qui doit absolument renforcer ses structures. Je suis persuadé qu'elle a, par sa seule existence, puissamment contribué au sursaut des peuples de l'Est en leur servant de référence et de pôle d'attraction. La deuxième étape reste à inventer. Je compte voir naître, dans les années 90, une confédération européenne, au vrai sens du terme, qui associera tous les Etats de notre continent dans une organisation commune et permanente d'échanges, de paix et de sécurité. »
Le projet français qui aurait donné la priorité à la consolidation de l’union politique et qui – au lieu de les faire patienter pendant de longues années – aurait engagé au plus tôt possible les pays d’Europe de l’Est sous un toit commun de confédération européenne, apparaissait, aux yeux des Etats concernés dont la Hongrie comme une diversion. Le ministre Roland Dumas avait déjà indiqué dans une interview un mois avant sa visite à Budapest que : « Aujourd'hui, des pays de l'Est comme la Hongrie en sont à envisager leur adhésion à la Communauté économique européenne. » Budapest signa son accord d’association en 1991, présenta sa demande d’adhésion en avril 1994 et devint membre à part entière de l’Union européenne le 1er mai 2004. La diplomatie française, quant à elle, ne peut espérer atteindre son objectif fondamental qui consiste en la construction d’une Europe politique et autonome, que par le biais de projets plus ambitieux mis en œuvre dans un groupe plus restreint d’Etats membres. La question qui se pose à la Hongrie aujourd’hui est de savoir si elle partage cette vision de l’Europe et si elle souhaite participer, aux côtés de Paris, aux efforts pour lui donner corps.
/Document de source : Attila Seres, Különleges státust kapunk az EGK-ban? Németh Miklós, Roland Dumas és Jacques Delors nemzetközi sajtótájékoztatója (Un statut particulier pour nous dans la CEE ? Conférence de presse internationale de Miklós Németh, Roland Dumas et Jacques Delors), Népszabadság, 18 novembre 1989, pp. 1, 3./
(In: Kecskés D. Gusztáv: Magyar-francia kapcsolatok 1945-1990, Magyar Történelmi Emlékek, 2006)
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