Forum académique sur la sécurité en Europe, Strasbourg - 25 juin, 2014
Colloque et conférence
Hajnalka Vincze
Colloque et conférence
Intervention au Forum académique sur la sécurité en Europe, en juin dernier à Strasbourg, sur le thème de « Libye, Mali, République centrafricaine – la nouvelle phase de la PSDC* à travers les récentes opérations franco-européennes ».
Crédits photo: Veronika Simonova (FASE)
Du pont de vue sécuritaire, la région méditerranéo-sahélienne constitue un ensemble qui est, d’après le dernier Livre blanc, une « zone d’intérêt prioritaire » pour la France. Les enjeux qui y sont liés sont pour le moins considérables. Outre la protection des ressortissants, la menace terroriste et les mouvements de migrants, la région est cruciale comme source d’approvisionnement en matières stratégiques, mais aussi pour assurer une présence sur un nouvel échiquier géopolitique. Sur lequel échiquier se joue ces derniers temps une lutte d’influence de plus en plus marquée entre les puissances.
Or, au sujet de l'instabilité de la situation sécuritaire dans cette zone, le chef d’état-major des armées, le général Pierre de Villiers parle d’un « combat qui se régionalise, de la Mauritanie à Tchad, de la Libye au Burkina ». Mais malgré quelques gesticulations timides et des fleurs de rhétorique, le désintérêt des partenaires européens de la France reste palpable. Accompagné d’une réticence pour les engagements militaires en général, et pour le choix de l’UE, en particulier, comme cadre. Pour rappel : en février 2013, alors que la France était déjà engagée au Mali, seuls sept Etats membres sur les vingt-sept se sont pointés à la réunion des ministres des Affaires étrangères, consacrée à l'Afrique.
Crédits photo: Veronika Simonova (FASE)
Le verre à moitié plein ou à moitié vide
On rencontre, en général, deux lectures diamétralement opposées quant à la prestation récente des Européens sur le continent africain. La première se réjouit de voir la défense européenne sortir de ce qu’il est devenu commun d’appeler sa période d’hibernation. Elle se félicite non seulement de la multiplication des mini-missions sous drapeau européen, mais aussi du soutien qu’apportent à la France, sur base bilatérale, ses partenaires. La seconde lecture met en exergue le fait que les opérations engagées par l’UE sont d’une ampleur, d’une ambition et d’un impact fort restreints. Et que la Libye, le Mali, la Centrafrique sont, surtout, autant d’occasions manquées pour l’Europe de la défense (après, d’ailleurs, l'ex-Yougoslavie, l’Albanie et le Liban).
Toutefois, plutôt que de se focaliser sur la question de savoir si l’Europe a été au rendez-vous ou pas, on pourrait partir d’un simple constat. A savoir que la défense européenne s’est réveillée, certes, mais en empruntant une trajectoire qui la mène très loin de ses ambitions initiales. Que ce soit le choix du cadre otanien en Libye, la glorification d’une simple mission de police des mers au large de la Somalie, ou encore l’extraordinaire difficulté à rassembler quelques dizaines de soldats à partir de 27 pays partenaires au Mali, les récentes opérations en Afrique sont symptomatiques d’une défense européenne en régression. Sous l’effet, notamment, d’une double pression.
La polarisation de l’Europe de la défense
En bref, la défense européenne est en train de se perdre, tiraillée entre deux extrêmes. L’une lui fait perdre sa dimension « défense », l’autre son caractère « européen ». On assiste, d’un côté, à une civilianisation furtive qui, sous prétexte d’approche globale, y marginalise la dimension militaire proprement dite. De l’autre, à une otanisation rampante, perceptible en premier lieu par le souci croissant, au sein même de la PSDC, de favoriser l’Alliance atlantique. Ces deux tendances sont simultanément à l’œuvre, et s’observent à merveille à travers telle ou telle opération africaine de l’UE.
Civilianisation d'un côté...
Pour ce qui est de la marginalisation délibérée du volet militaire de l’approche « globale », les missions civiles de l’UE sont les premières à souffrir de ses conséquences néfastes. Leur efficacité est souvent limitée par l’absence d’élément militaire crédible, comme en Somalie ou en Libye. Où les missions civiles respectives doivent de temps à autre quitter le pays pour cause d’insécurité (et de manque de moyens de sécurisation du personnel civil). En Libye, la mission d’assistance à la gestion des frontières ne peut pas se déployer au Sud, pourtant foyer prioritaire de crise, et doit se contenter d’opérer (quand elle n’est pas repliée sur Malte) à partir d’un hôtel à Tripoli.
Quant aux opérations militaires récentes sous enseigne européenne, elles sont d’une ambition plutôt restreinte. Au Mali et en Somalie, il s’agit de missions de formation des forces locales, et l’opération navale Atalanta, citée partout comme le joyau de la défense européenne, est une opération de police des mers. Comme le ministre britannique des forces armées britanniques l’a remarqué à la Chambre des Lords : « un tir d’avertissement, voire la simple visibilité d’armes suffit pour dissuader les pirates ». C’est d’autant mieux, ajoutons-le tout de suite. Sauf si c’est le nec plus ultra des missions possibles et imaginables.
Même en Centrafrique, la force européenne – laborieusement réunie – fait ce qui, d’après le ministre français de la défense « s’apparente davantage à de la police intérieure » qu’à de quelconques opérations de combat. Ce qui n’est pas, encore une fois, un problème en soi (loin de là), mais à condition d’appeler un chat un chat. Car la confusion, délibérément entretenue, sert surtout à masquer le détricotage des ambitions initiales. Qui se souvient aujourd’hui que la défense européenne devait inclure les « missions de forces de combat, y compris les plus exigeantes d’elles », au départ?
Ces jours-ci, on ne parle que de missions de police où, de surcroît, l’essentiel est de ménager au maximum les soldats. Comme l’a observé le président de la Commission des Affaires étrangères et de Défense du Sénat, « il faudra être vigilant à la manière dont la force européenne sera utilisée sur le terrain, pour ne pas casser la mécanique positive qui est en marche ». Cette mécanique positive étant qu’après plusieurs mois d’atermoiement, cinq réunions de génération de forces et les interventions publiques du président Hollande et du Secrétaire général de l’ONU, la force européenne est, enfin, en place. Il est vrai que les soldats français comptent pour la moitié de son effectif total…
Otanisation de l’autre…
En réalité, tous ces épisodes s’inscrivent dans la démilitarisation furtive de la PSDC, qui va de pair avec la mise en avant, de plus en plus évidente, de la loyauté envers l’Alliance atlantique. Certes, en principe, il n’y a pas de relation d’hiérarchie entre l’OTAN et la PSDC, les deux évoluant, d’après les textes, sur la base de leurs autonomies respectives. Mais ce n'est pas ce qui se passe dans la pratique. Là, les préférences atlantistes des Etats membres de l’UE font que, selon la vision dominante, tout ce qui a trait au militaire doit être coordonné et, sous prétexte de coordination, de plus en plus subordonné à l’OTAN.
Sur ce point, les Britanniques mènent le jeu. Ce n’est pas un hasard s’ils se sont portés volontaires pour prendre les devants dans la seule opération européenne d’envergure. Si le quartier général d’Atalanta est à Northwood, c’est aussi pour pouvoir le situer dans le même bâtiment que le commandement de l’opération anti-piraterie de l’OTAN. Cette même opération otanienne qui fut lancée à l’époque dans la panique la plus totale, de peur de voir l’UE devancer l’Alliance dans la lutte contre les pirates. Et si le commandant d’Atalanta est britannique, c’est aussi pour pouvoir s’éclipser au profit du commandant US de l’opération de l’OTAN, lorsqu’il s’agit de présenter la coordination internationale (sous la direction de l'UE) aux médias.
Autre épisode révélateur, la décision d’extension de l’opération de l’UE, en 2012, a été suspendue à une « réserve d’attente » britannique, Londres refusant de donner son feu vert tant que l’OTAN n’aura pris une décision similaire. L’obstination britannique ne cesse de créer des situations surréalistes. Ainsi, l’ancien ambassadeur français au COPS (comité politique et de sécurité, cheville ouvrière de la PSDC) raconte que lors de l’intervention en Libye, alors que Français et Britanniques s’engageaient coude à coude sur le terrain, au COPS ils étaient les plus farouches adversaires. Les Britanniques ne jurant que par l’OTAN et refusant tout recours à l’Union européenne.
Le refus catégorique du cadre européen pour des opérations militaires proprement dites explique l’obstination britannique à continuer de mettre leur veto à l’idée d’un quartier général militaire pour la PSDC. Ce qui est d'ailleurs un point de désaccord persistant entre Londres et le reste des Etats membres (pourtant tout aussi pro-OTAN), tellement cette absence défie le bon sens. Mais outre la priorité donnée à l’Alliance atlantique, l’otanisation a un autre volet, celui-ci plus subtil. Il s’agit là d’une transformation progressive de notre manière de faire la guerre, du fait de l’adoption de plus en plus complète d’un mode opératoire américano-otanien.
Or, cette « nouvelle forme d’action, qui privilégie les frappes à distance et sans intervention au sol », comme l’a décrit le général Bentégeat, ancien chef d’état-major, comporte à la fois certains avantages militaires (comme éviter l’enlisement, limiter les pertes amies) et de sérieux inconvénients politiques. Un cas d’école, à cet égard, fut l’intervention en Libye. Car, toujours selon le général Bentégeat, ce mode opératoire accentue forcément notre dépendance aux Etats-Unis et implique, au passage, un « manque de contrôle sur les belligérants, et donc sur le résultat final ». Dont les conséquences n’étaient que trop évidentes, hélas, alors que la Libye plongeait dans le chaos le plus total.**
Conclusion
Les récentes opérations européennes sur le continent africain renforcent l’impression selon laquelle l’Europe de la défense est en train de s’enfermer dans le piège d’une polarisation. D’un côté, la civilianisation furtive de la politique de défense de l’Union européenne s’accélère. Or la marginalisation de la dimension militaire dans l’UE se fait à la fois au détriment de l’efficacité du volet civil de la gestion des crises et au prix d’une autolimitation presque caricaturale des opérations soi-disant militaires.
De l’autre côté, en dehors de l’UE, les Européens sont de plus en plus tentés par une américanisation/otanisation de leur manière de faire la guerre. (Le mode d’action importé des Etats-Unis favorise, ajoutons-le tout de suite, l’importation de toute la quincaillerie y afférente aussi). Or l'Europe risque de se condamner à ne faire que de la figuration et/ou de la sous-traitance en matière militaire, tant qu’elle restera limitée ainsi par les préférences pacifistes et/ou atlantistes de ses Etats membres.
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*La politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne.
**Nota bene, il convient d’être particulièrement vigilant par rapport aux projets de réduction des forces françaises prépositionnées en Afrique. Comme le note un rapport récent du Sénat« la réduction de l'empreinte au sol correspond à l'espoir que les crises à venir ne nécessiteront que des interventions exclusivement aériennes, à l'image de l'opération HARMATTAN en Libye ». Comme si c’était un exemple à suivre, au vu du résultat politique…
programme du FASE 2014.pdf |
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défense européenne, afrique, sahel, approche globale, ue-otan