Note d’actualité
A partir de mi-avril, la convergence de plusieurs développements touchant de près l’avenir de l’agriculture européenne a propulsé au premier plan de l’actualité le dossier agricole, annoncé depuis longtemps comme l’une des éventuelles pierres d’achoppement des négociations d’adhésion.
Aux yeux des pays candidats, le fait que la guerre commerciale entre l’UE et les Etats-Unis va en s’aggravant à la suite de la nouvelle loi agricole américaine[1]; qu’une table ronde sur le lien entre l’agriculture et la politique alimentaire a tiré les conclusions d’une série de consultations engagées il y a plus d’un an sous l’égide de la Commission ; ou que la réunion informelle du Conseil agricole a mis à jour les divergences des Etats membres au sujet des modalités de la réforme de la PAC (Politique agricole commune), tout en identifiant le développement rural comme objectif prioritaire, semble n’avoir – pour l’heure – qu’une importance indirecte, donc secondaire. Les aspirants sont beaucoup plus préoccupés par le projet de prise de position soumis au Conseil le 15 avril par la Commission sur les négociations en matière d'agriculture[2], de même qu’ils sont inquiétés par l’émergence de voix suggérant de faire de la révision significative de la PAC un préalable à l’élargissement. S’y ajoutait en Hongrie des tentatives récentes visant à renégocier les dispositions relatives à l’achat de terres agricoles par des étrangers.
Guerre des dates, guerre des chiffres
L’un des aspects les plus émotionnellement marqués des négociations d’adhésion concerne la question de savoir qui et quand pourra acheter des terres agricoles en Hongrie. Les slogans populistes (du genre « La patrie n’est pas à vendre ») mis à part, il existe des considérations plus sérieuses en faveur d’une demande de période transitoire. En effet, la différence entre les prix des terres cultivables dans les Etats membres actuels d’une part et dans les pays candidats de l’autre est un fait réel, qui pourrait conduire de la part de ressortissants des Quinze à un achat sinon massif des terres agricoles des nouveaux membres, du moins d’une ampleur assez considérable pour attiser certains ressentiments nationaux. Conformément au compromis négocié en juin 2001, Budapest a obtenu un moratoire de 7 ans dans le cas d’étrangers non résidant en Hongrie.[3] Néanmoins, ce résultat semble insatisfaisant pour certains, surtout au vu de l’accord arraché par les Polonais, qui ont obtenu une période transitoire de 12 ans. Les responsables bruxellois ne cessent de répéter que la Pologne est un cas à part, où des siècles de division et d’invasion étrangère ont nourri des susceptibilités particulières au regard de la terre. Au fait, outre cet incontestable poids historique, il convient de rappeler d’un côté que les leaders allemands ne manquent pas une occasion pour souligner que l’adhésion de la Pologne est une question éminemment politique et que tout élargissement serait inconcevable sans Varsovie, de l’autre que la fermeté du négociateur polonais est également confortée par une opinion publique consciente de l’importance du pays pour Bruxelles et clairement privilégiant la qualité des conditions d’entrée à la question de la date d’adhésion.
Il paraît pour autant que ces dernières semaines Budapest semble entrevoir une certaine marge de manoeuvre dans ce domaine de l’achat de terres agricoles et tente de monnayer une plus grande flexibilité sur ce dossier en échange de concessions de la part de l’UE au sujet des aides aux agriculteurs.
Un autre aspect, beaucoup plus technique concerne la fixation des quotas de production. A cet égard, le bilan est pour le moment ambigu : la Hongrie aurait obtenu – lors des discussions informelles préparant la réunion des négociateurs prévue pour juin prochain – des conditions très avantageuses en ce qui concerne la production céréalière, mais aurait subi des revers au sujet de la viande bovine et de la production laitière[4].
Aides directes : arguments pour et contre
Entre les positions diamétralement opposées de certains Etats membres actuels qui refuseraient tout court les aides directes aux agriculteurs des nouveaux membres jusqu’en 2006 (en soulignant que le cadre financier prévu pour 2000-2006 ne prévoit pas cette forme de soutien) et les pays candidats qui – sous peine d’accuser l’UE de discrimination – revendiquent le même montant d’aide pour leurs agriculteurs que celui dont bénéficient leurs homologues des 15, la Commission semble avoir trouvé la voie moyenne. Celle-ci consiste à étaler sur 10 ans le plein octroi de paiements directs aux nouveaux venus (avec 25% en première année qui irait en augmentant pour atteindre, en 2013, les 100% et assorti d’un soutien massif au développement rural), en faisant valoir – entre autres – l’argument que le montant actuel de ces aides était fixé en vue de compenser les agriculteurs de l’UE pour les baisses des prix entraînées par les réformes successives de la PAC (en 1992 et 1999), tandis que dans les pays candidats les fermiers verront leurs prix forcément augmenter à la suite de leur adhésion à l’Union.
A quoi les candidats rétorquent que la différence de traitement générera une distorsion de la concurrence au sein de l’UE et revendiquent, dans ce cas, des mesures protectrices. Les autres idées clé de la Commission, à savoir que des aides directes au taux plein auraient des répercussions brutales sur le revenu (avec des conséquences en termes d’inégalités sociales) et compromettraient l’efficacité des incitations à la restructuration sont contestées par les négociateurs hongrois en évoquant qu’en Hongrie, le revenu des agriculteurs est bien inférieur au reste de la société – à présent quelque 35% en dessous de la moyenne nationale –, et qu’en termes de restructuration, la superficie de la terre agricole cultivée par personne est plus que le double de celle que l’on trouve dans l’UE – si la modernisation préconisée par Bruxelles peut concerner 25% du secteur agraire en Hongrie, elle devrait s’appliquer aux 45% de l’agriculture de l’UE.
La question des aides directes est d’autant plus explosive que les subsides agricoles constituent à eux seuls quelque 30% du budget total de l’UE, et que le débat parmi les 15 pour trouver une position commune est étroitement liée non seulement à la révision à mi-temps de la PAC prévu pour juin 2002, mais aussi à l’inévitable réforme d’ensemble du système actuel.
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[1] Cette loi, signée par le président George W. Bush le 13 mai dernier, accroît les subventions au secteur agraire de près de 80% et devrait entraîner un coût de quelque 190 milliards de dollars sur les dix prochaines années.
[2] Les prises de position sont basées sur la stratégie de la Commission pour les négociations sur le chapitre de l'agriculture, publiée à la fin de janvier 2002.
[3] En précisant que les étrangers ayant séjourné et travaillé en tant qu’entrepreneur agricole individuel depuis au moins 3 ans dans le pays ont le droit d’acheter la terre qu’ils avaient louée.
[4] Dans le même temps, la poursuite de la libéralisation du commerce agricole entre la Hongrie et l’UE a abouti à un nouvel accord, à la suite duquel 97% de l’exportation agricole et alimentaire hongroise destinée à l’Union sera dédouané à partir du 1er juillet prochain.