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La Grande-Bretagne et l’Euro(pe) : la non-décision

Journal Francophone de Budapest - 18 juin, 2003
Note d’actualité
Hajnalka Vincze

Fidèle aux plus profondes traditions de la politique britanniques en matière européenne, l’annonce de Gordon Brown, ministre des Finances, sur l’ajournement de la décision sur l’euro se définit, une fois de plus, par le tryptique « Oui. Non. Peut-être. ».

Si la presse anglaise se consacrait très majoritairement à décortiquer les considérations de politique intérieure et, surtout, les rivalités politiciennes qui auraient motivé cette décision en demi-teinte, il n’en reste pas moins que celle-ci correspond parfaitement à l’attitude ambivalente, maintes fois avérée, de la Grande-Bretagne vis-à-vis de la construction européenne. En effet, derrière l’écran de fumée des quelque 2000 pages d’études techniques (avec 250 pages de « conclusion », le tout pesant le bagatelle de 6,3 kg) présentées par le chancelier de l’Echiquier, il s’agit d’un choix éminemment politique que le gouvernement de Tony Blair refuse d’inscrire à l’ordre du jour depuis maintenant six ans, en reportant à toujours plus tard ce qui est, selon lui, « le plus grand défi de cette génération ».

Ménager la chèvre et le chou

Dans l’immédiat, un subtil compromis sur le dossier hypersensible (car largement impopulaire) de l’entrée de la Grande-Bretagne dans la zone euro peut offrir quelque répit à un Premier ministre déjà harcelé par les média et l’opinion publique au sujet de la question, de plus en plus embarrassante, des prétendues armes de destruction massive de l’ex-dictateur irakien. Vu sous cet angle, la (non-)décision annoncée par le ministre Brown est indéniablement la bienvenue. Mais elle ne doit pas faire oublier que pour Tony Blair (qui avait fait de l’entrée dans la zone euro le cheval de bataille de sa campagne de réélection en 2001), c’est toute sa crédibilité (ou du moins ce qu’il lui en reste après l’affaire irakienne) qui est en jeu.

Ce n’est pas un hasard si toutes les précautions ont été prises pour relativiser le verdict négatif (le 9 juin dernier) sur la capacité de l’économie britannique à rejoindre l’euro. La démonstration du ministre des Finances – axée sur les cinq critères définis par celui-ci en 1997 et parmi lesquels Londres ne serait en mesure de remplir qu’un seul : le même qui par ailleurs avait été le seul à ne pas poser de problème déjà à l’époque – fut truffée d’éloges sur les bienfaits potentiels de la monnaie européenne et s’est terminée par l’évocation de la possibilité de réévaluer les tests l’an prochain. Elle a été suivie, le lendemain, par une conférence de presse commune Blair-Brown où les deux poids lourds du parti travailliste se sont efforcés de présenter un front uni en annonçant le « passage à la vitesse supérieure » dans la campagne en faveur de l’euro.

Indécision chronique

Il n’en reste pas moins que dans un contexte marqué par une opinion publique britannique largement hostile à l’euro, par la perspective d’élections générales en 2005 précédées d’un débat difficile sur la Constitution européenne, et par une rivalité de plus en plus marquée entre le Premier ministre actuel et celui qui est le plus souvent présenté comme son éventuel successeur, l’euro semble pris en otage. L’opposition conservatrice – par ailleurs massivement europhobe – a beau jeu de reprocher au gouvernement de se servir du prétexte économique pour masquer les divergences au sein de son parti et pour éluder un choix stratégique. Une tactique que Tony Blair a lui-même à de nombreuses fois vigoureusement fustigée en parlant de ses prédécesseurs dont l’incapacité à s’engager au bon moment sur les dossiers européens aurait eu pour conséquence que la Grande-Bretagne se trouve, depuis bientôt 50 ans, « à la traîne de l’Europe », contrainte de s’adapter a posteriori à des décisions, à des structures et à des politiques qui avaient été élaborées sans elle.[1]

Un nouveau rendez-vous manqué ?

Or, c’est précisément ce qui menace l’Angleterre si elle continue à « traîner les pieds » au sujet de l’euro. Des projets sérieux sur le renforcement de l’Eurogroupe (enceinte constituée des ministres des Finances et de l’Economie des pays de la zone euro) et sur une coordination plus poussée des politiques économiques des Etats participants étant en cours de préparation, la Grande-Bretagne risque bel et bien de se retrouver – les Britanniques, bien que nettement hostiles à l’idée, n’en prévoient pas moins en grande majorité que leur pays aura adopté l’euro avant dix ans – encore une fois dans la situation cauchemardesque qu’elle avait connu presque tout au long de son périple européen, et en particulier au sujet de la PAC[2].

Rien d’étonnant, donc, à ce que Tony Blair mette l’accent sur les arguments politiques qui pèsent « irrésistiblement » en faveur de l’adhésion à l’euro. Cet engagement clair devrait garantir à la Grande-Bretagne qu’elle se trouve « au cœur de l’Europe » et – compte tenu de la reconfiguration des rapports de force à la suite de l’élargissement – éventuellement à sa tête. Dans ce cas, ce n’est pas seulement son poids en Europe qui s’en trouverait augmenté, mais aussi son influence globale. Car la politique étrangère britannique se conçoit toujours dans la double optique Washington-Bruxelles : « la Grande-Bretagne sera plus écoutée à Washington si elle joue un rôle central en Europe et aura plus de poids en Europe si elle est écoutée à Washington ».[3]

 


[1] Voir, entre autres, le discours de Tony Blair sur l’avenir de l’Europe (A Clear Course for Europe), prononcé à Cardiff, le 28 novembre dernier.

[2] Politique agricole commune, définie avant l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté et dont les règles de fonctionnement lui sont clairement défavorables.

[3] Discours de Tony Blair au banquet du Lord Mayor à Londres, le 22 novembre 1999.


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