Langue:   Language:   Nyelv:  
Recherche avancée


Autonomie ou assujettissement : la dimension militaire de l'impératif de souveraineté européenne

Europa, n°1, novembre 2009 - 15 novembre, 2009
Etude et analyse
Hajnalka Vincze

Aussi complexe que puisse paraître le sujet indiqué dans le titre, le point de départ de l’analyse peut être réduit à trois constats simples. Dès qu’il s’agit de souveraineté, nos rapports avec l’Amérique sont au cœur du problème. Or, les relations transatlantiques ont pour caractéristique fondamentale la dépendance européenne. Or, l’indépendance est la condition sine qua non de la crédibilité et du libre-arbitre ou, en d’autres termes, de l’existence même au sens géopolitique.

Trois évidences préalables

L’Amérique et sa volonté de contrôle sur l’Europe

Premièrement, ce n’est pas trahir un secret que de noter que la question de la souveraineté européenne se pose, à l’heure actuelle et depuis un bon moment déjà, par rapport aux Etats-Unis. Au cours du dernier demi-siècle se sont mises en place, sous le parapluie sécuritaire, réel ou fictif, de l’Amérique, des matrices de subordination matérielle (abandon des capacités de développement et de production propres dans les secteurs stratégiques), organisationnelle (intégration dans le commandement OTAN sous la direction de l’Amérique), opérationnelle (décrochage en matière de renseignement technologique sur présomption de disponibilité des informations collectées outre-Atlantique) et psychologique (réflexe d’alignement et d’autocensure eu égard de la politique washingtonien) dans la plupart des pays du vieux continent.

Il est révélateur qu’au moment du lancement de la PESD (politique européenne de sécurité et de défense) de l’Union européenne, la seule véritable préoccupation, tant du côté des partisans que de celui des opposants internes, concernait les réactions des Etats-Unis. Et pour cause. La seule voix qui se soit élevée contre le projet vint non pas de nos voisins du pourtour méditerranéen, ni de notre grand voisin de l’Est (ni d’autres acteurs pourtant régulièrement considérés comme un facteur de risque, d’une manière ou d’une autre, pour la sécurité de l’UE). Mais de notre plus grand ami et allié, situé de l’autre côté de l’océan Atlantique, à 6000 kilomètres. Ce qui étonne moins quand on sait que le maintien sous tutelle des alliés est le souci principal de Washington, toutes tendances politiques confondues, dans son approche vis-à-vis le continent européen. Zbigniew Brzezinski, porte-drapeau emblématique des milieux démocrates en matière de sécurité, eut l’obligeance de nous l’expliquer dans son livre paru en 2004 et intitulé, de manière parlante d’ailleurs, Le choix : domination ou leadership. Pour lui : « Avec le potentiel économique de l’UE qui équivaut déjà celui de l’Amérique, et avec les deux entités déjà se heurtant dans les domaines financier et commercial, une Europe militairement émergente pourrait devenir une formidable concurrente pour l’Amérique. Elle constituerait inévitablement un défi à l’hégémonie US. Une Europe politiquement forte, capable de rivaliser en matière économique, et qui ne serait plus militairement dépendante des Etats-Unis remettrait inévitablement en cause la suprématie américaine et confinerait la sphère de la prédominance des USA grosso modo à la région du Pacifique. »

Vu sous cet angle, la réaction des Etats-Unis au lendemain de l’effondrement de l’URSS n’a rien d’étonnant. Les administrations de George H. Bush et de William (Bill) Clinton furent, l’une comme l’autre, surtout déterminées à maintenir la tutelle américaine sur le continent. En répétant à qui voulait l’entendre que l’engagement européen de Washington « allait bien au-delà de la menace soviétique ». « L’Alliance n’a pas besoin d’ennemi pour exister », déclare alors le secrétaire général de l’OTAN. En effet, pour Washington, la disparition de l’Union soviétique n’enlève rien à la « mission politique » de l’Alliance : « Celle-ci a toujours été bien plus qu’une réponse transitoire à une menace transitoire. Sa mission perdure même si la guerre froide appartient au passé », estime au printemps 1995 le secrétaire d’Etat américain Warren Christopher. Comme ce fut martelé du côté officiel tout au long des années 1990 : « les Etats-Unis sont une puissance européenne ». Et ils entendent bien le rester.

L’Europe et sa dépendance par rapport aux Etats-Unis

Deuxièmement, la présence US en Europe s’organise sous le signe du contrôle. Seules les étiquettes varient : domination pour les faucons, leadership pour les colombes. Comme l’avait formulé Brzezinski, « l’Europe reste largement un protectorat américain, avec des pays alliés qui rappellent les vassaux ». Ce n’est pas Charles A. Kupchan, directeur des affaires européennes au Conseil de sécurité nationale sous Clinton, aujourd’hui chercheur principal de la section européenne du prestigieux Council on Foreign Relations, qui va le contredire. Pour lui, « En dépit de tout ce qui a changé depuis 1949, et en particulier depuis 1989, l’Europe est restée dépendante des Etats-Unis pour sa sécurité. Or le contrôle en matière de sécurité est le facteur décisif pour déterminer qui est aux commandes ».

Que cette situation de dépendance soit dissimulée derrière de séduisants discours sur la prétendue « complémentarité » n’y change rien. D’une part, dans l’acception partagée par l’Amérique et la plupart des gouvernements européens, la complémentarité s’opère en sens unique : elle signifie, bien entendu, celle de l’Europe par rapport à l’Amérique. De l’autre, le cas britannique apporte le meilleur exemple des conséquences désastreuses d’une politique conçue comme complémentaire, et non autonome, des Etats-Unis. D’après l’ex-président de la Commission de Renseignement de Sa Majesté, M. Rodric Braithwaite : « Les décideurs politiques américains trouvent les Britanniques utiles en tant que valets d’armes à l'ONU et à l'OTAN, et comme des alliés militaires plutôt compétents quand de faire la guerre. De temps en temps, ils essaient d'utiliser les Britanniques comme un potentiel cheval de Troie, si la construction européenne semble sur la voie d’être trop bien réussie ». Braithwaite précise également qu’à force de chercher la complémentarité avec l’Amérique, désormais « dans une guerre réelle, les forces britanniques ne vont opérer que faisant partie intégrante des forces américaines, sous commandement américain et servant des intérêts américains ». Le verdict est sans appel : « Contrairement aux Français qui ont préféré un chemin plus solitaire, mais indépendant, la coopération avec les Américains a privé les Britanniques d'une grande partie de leur indépendance ».

Qui plus est, les élucubrations fantaisistes sur une soi-disant complémentarité de l’Europe par rapport à l’Amérique ne sont pas près de dissimuler l’antagonisme structurel qui nous oppose à nos cousins d’outre-Atlantique. N’en déplaise aux vaillants militants (euro-)atlantistes.  Entre la volonté de contrôle absolu et de suprématie (officiellement assumée par Washington à maintes reprises), et l’intérêt européen objectif à préserver une marge de manœuvre autonome (ne serait-ce que pour avoir son mot à dire sur son propre sort), toute idée de complémentarité est illusoire, au mieux.

L’indépendance comme gage de l’avenir

Troisièmement, en dépit des abdications successives, du côté européen, tout au long du dernier demi-siècle, les faits sont tenaces : la mise en place et la sauvegarde des conditions permettant l’autonomie de décision et d’action est la base même de toute politique responsable. Et ceci indépendamment des circonstances du moment et des théories à la mode. Comme une assurance-vie, en quelque sorte. Le Général de Gaulle a lui-même noté à l’époque, en expliquant le caractère tous azimuts de la force de frappe : « on ne sait jamais d’où peut venir la menace, ni d’où peut venir la pression ou le chantage ». Disposer des moyens de notre indépendance est indispensable non seulement pour nous préparer à toutes les éventualités futures, mais aussi pour s’assurer, dès maintenant, une marge de manœuvre. L’impuissance face aux menaces et le fait d’être à la merci des pressions d’autrui conduisent tout droit au discrédit. Or sans la crédibilité il n’y a pas de position de négociation sur la scène mondiale. Sans l’indépendance, il n’y a pas de présence ni d’influence internationales.

Du coup, on perd aussi la maîtrise sur son propre destin, que ce soit dans le domaine de la sécurité, de la prospérité ou du maintien du modèle sociétal.  Car les choses sont intimement liées. Dans un enchaînement implacable qu’un document officiel du Département de la Défense (Bottom-Up Review de 1993) explicite de manière brillante : « Nos alliés doivent être sensibilisés au lien qui existe entre le soutien américain à leur sécurité et leurs actions dans les domaines tels que la politique commerciale, le transfert des technologies et la participation aux opérations de sécurité multinationales ». Et ce ne sont pas que des paroles en l’air. Déjà en 1962, en plein milieu de la guerre froide, le vice-président des Etats-Unis en visite à Berlin, l’endroit le plus sensible de l’Europe, avait brandi la menace de retirer les troupes américaines d’Allemagne si le Marché commun freinait les exportations de poulets américains vers le vieux continent…

Une décennie plus tard, l’épisode « Symphonie » apporte une autre flagrante illustration. En 1973, faute d’avoir un lanceur européen à la disposition, Français et Allemands ont dû aller quémander auprès des Américains pour pouvoir mettre en orbite leur satellite de télécommunication. Or « les Américains, se souvient Frédéric d’Allest, ancien Directeur général du Centre national d’Etudes spatiales (CNES), ont fait savoir qu'ils voulaient bien lancer Symphonie mais à condition qu'il soit limité à des fonctions expérimentales ; autrement dit, ils nous ont dit : ‘Vous lancez votre satellite mais à condition qu'il ne serve pas’ ». Abusant de leur monopole, les Américains ont donc interdit toute utilisation à des fins commerciales. Un véritable déclic, d’après les témoins de l’époque, le diktat américain a finalement permis de lever les obstacles à la construction de ce formidable outil de souveraineté européenne (et de succès commercial, soit dit au passage) qu’est le lanceur Ariane. Ajoutons que, avant le premier vol d’Ariane, les Américains, toujours infatigables, reviennent à la charge. Hubert Curien, ex-président du CNES, se rappelle de ce dîner, en 1977, où le patron de la Nasa feint l’incompréhension en lui demandant : « Hubert, franchement, pourquoi construire cet engin obsolète alors qu'il serait tellement plus simple d'utiliser notre navette ? ». A bien y réfléchir, l’incompréhension n’était peut-être pas aussi feinte que cela. Car le cas Ariane est, hélas, une exception à cet égard.

Or, avec la reconfiguration en cours dans les rapports de force sur la scène internationale, même les plus fidèles des (euro-)atlantistes se retrouveront face à un sérieux problème, tôt ou tard. Car une fois les fondements d’une situation de subordination sont établis, le piège de l’abdication de la souveraineté se referme - et la sujétion se perpétue qui que soit la puissance tutélaire. Autrement dit, les relations de dépendance ou d’autonomie que nous définissons par rapport à l’Amérique aujourd’hui, verrouillent nos positions vis-à-vis n’importe quelle(s) puissance(s) à l’avenir. La sujétion implique des conséquences durables, tant sur le plan matériel que psychologique. La résignation à la dépendance technologique et industrielle signifie que nous acceptons un décrochage définitif, avec nos secteurs stratégiques soit réduits à une fonction de sous-traitance, soit complètement détruits. Psychologiquement, à force de s’en remettre à quelqu’un d’autre pour sa propre défense, on forge progressivement une culture de déresponsabilisation, d’autocensure et d’alignement.

Trois domaines illustratifs

Normalement, le souci principal des pouvoirs publics doit être de limiter les dépendances dans les secteurs dits stratégiques. Ceci pour s’assurer une liberté d’appréciation, de décision et d’action en toute circonstance. Lequel impératif se décline sous des formes concrètes dans le domaine militaire, en l’occurrence sur le plan du renseignement, du commandement ou de l’armement. Ce n’est pas un hasard si c’est précisément dans ces trois domaines que l’emprise américaine sur la sécurité européenne se manifeste de manière flagrante.

Renseignement d’origine spatiale

Afin de disposer de la liberté d’appréciation, c’est-à-dire avoir sa propre analyse des risques et des situations de crise, pour pouvoir décider en connaissance de cause de la démarche à suivre, le renseignement d’origine spatiale est incontestablement un outil clé. Les satellites d’observation sont donc aujourd’hui un équipement majeur de souveraineté. En effet, il s’agit de l’un des rares matériels militaires dont les plus hautes autorités politiques, soucieuses d’une évaluation autonome de la situation, figurent parmi les utilisateurs directs. Aucun système satellitaire sous contrôle étranger ne saurait leur garantir cette indépendance de jugement puisque la fiabilité ne serait jamais assurée au même degré. On ne saura jamais exclure la possibilité de falsifications, de délais d’attente inacceptables ou de dégradations volontaires de la qualité.

Ajoutons tout de suite que ceci est également vrai des capacités commerciales. Depuis belle lurette, le gouvernement américain se réserve le droit d'interdire, pour des raisons de sécurité nationale, aux opérateurs de satellites d'observation de la Terre commerciaux américains la vente ou même la seule prise d'images (une procédure connue sous le nom de shutter control et entérinée par l’adoption la directive PPD-23 en 1994). Dans la pratique, Washington a généralement recours à des méthodes plus douces pour exercer ce droit de regard. L’une d’elles est le resolution control. A savoir l’interdiction, pour les sociétés US, de vendre des images dont la résolution est supérieure à ce qui est estimé acceptable par les autorités. C’est ainsi qu’en 1996, le Congrès a passé un amendement en vertu duquel les sociétés d'imageries américaines ne peuvent vendre des images du territoire israélien dont la précision est inférieure à deux mètres. Plus récemment, durant l’opération Enduring Freedom en Afghanistan, c’est encore une autre pratique que l’on observe, celle nommée buy-to-deny (« acheter pour empêcher l’utilisation »). A l’automne 2001, l’agence gouvernementale NIMA (National Imagery and Mapping Agency, devenue en 2003 NGA ou National Geospatial-Intelligence Agency) décide d’acheter à la compagnie Space Imaging l’exclusivitésur les images prises de l’Afghanistan. A cette époque, seule Space Imagingproposait des images à haute résolution sur le marché commercial. Or l’administration US a voulu s’assurer que ces images ne pouvaient tomber entre des mains hostiles, ni diffusées sans contrôle gouvernemental par les médias.

Pour les Européens même les plus serviles normalement, l’attitude américaine lors des opérations au Kosovo en 1999, a mis en évidence les dangers de la dépendance. Ils se plaignaient, à intervalles réguliers, de la rareté et l’inexactitude des données fournies par les Etats-Unis, estimant insatisfaisante la manière dont les USA partageait les informations – et pour l’évaluation des dégâts et pour la sélection des cibles. C’est, par ailleurs, à la suite à cette expérience amère que l’Allemagne prend finalement la décision du lancement du programme SAR-Lupe (système d’observation radar composé de cinq satellites mis en orbite entre décembre 2006 et juillet 2008). Quant à la France, déjà en 1996 les images du satellite militaire d’observation Hélios lui permettent de contester le renseignement fourni par les Etats-Unis, en appui de leurs bombardements en Irak, sur de prétendus mouvements de troupes.

Le fidèle allié britannique eut droit à des expériences édifiantes à cet égard. Et ce, dès 1982, date de la guerre des Malouines… En témoignent les propos d’un ancien officier de DIS (Defence Intelligence Staff au Ministère britannique de la Défense) cité par Charles Grant dans son étude Relations intimes : La Grande-Bretagne pourra-t-elle jouer un rôle de leader dans l’Europe de la défense – tout en gardant ses liens spéciaux au renseignement US ? Suivant l’invasion argentine, pendant que la diplomatie US essayait de négocier un compromis, les Américains ont refusé de transmettre des images de haute qualité à Londres, prétextant de soi-disant problèmes techniques. Problèmes miraculeusement résolus aussitôt après le rejet des propositions américaines par Buenos Aires. D’après l’officier britannique : « Si l’Argentine avait accepté le compromis et la Grande-Bretagne l’avait rejeté, je ne pense pas que les Américains aient voulu nous aider. En définitive, ils vont toujours faire ce qui est bon pour les USA – et c’est là le cœur du problème de la Grande-Bretagne ».

Face à l’emprise américaine dans le domaine une certaine prise de conscience européenne s’amorce, quoique de manière laborieuse. N’empêche qu’en matière de capacités d’observation satellitaire une mosaïque d’Europe spatiale du renseignement militaire/sécuritaire est en voie de construction, sur le principe de l’échange des capacités nationales. Les coopérations en cours aujourd’hui, de même que le futur programme MUSIS (MUltinational Space-based Imaging System for surveillance, reconnaissance and observation, pour lequel une lettre d’intention fut signée en novembre 2008 entre la France, l’Allemagne, la Belgique, la Grèce et l’Espagne), esquissent un compromis viable entre l’optimisation des moyens, sous forme d’approche multinationale européenne, et le respect des souverainetés nationales. La même logique préside à l’initiative GMES, prise sous l’égide de l’UE. Il s’agit de dégager le maximum de synergies entre moyens nationaux d’observation de la Terre, afin de permettre, à terme, à l’Europe de se doter d’une capacité autonome, cohérente et centralisée. Parti comme Global Monitoring for Environmental Security (Surveillance globale pour la sécurité environnementale), le nom du programme s’est transformé en Global Monitoring for Environment and Security (Surveillance globale pour la sécurité et l’environnement) presque en catimini. Reflétant bien les réticences tenaces de certains gouvernements de voir l’Europe prendre des initiatives, dans des domaines sensibles et sur une base d’autonomie. Mais montrant aussi à quel point la prise en compte, à l’échelle européenne, de ces enjeux est à la fois nécessaire et inéluctable.

Chaîne de commandement

Une des lignes rouges définies par Washington, et véhiculée par le fidèle Londres, au moment de la mise en route de la défense européenne, concernait le refus de l’idée même d’une chaîne de commandement autonome. Comme l’a noté un rapport de l’Assemblée de l’UEO, intitulé L’OTAN : transformation et partenariat stratégique avec l’UE : « les négociations habiles menées par les Britanniques aux premiers jours de la PESD visaient à aboutir à un compromis comportant des lacunes dans la chaîne de commandement pour les opérations militaires dirigées par l’UE et liant leur planification aux capacités de l’OTAN ». C’est ainsi que la planification opérationnelle fut délibérément absente du mandat de l’Etat-major de l’UE (EMUE). Ne laissant que deux options à l’Europe pour mener des opérations militaires : le recours soit à l’OTAN, soit à un état-major proposé par une nation-cadre et multinationalisé pour l’occasion. La mise en place, depuis, d’un centre d’opérations à l’EMUE ne change rien à la donne, dans la mesure où sa transformation en un quartier général permanent se heurte toujours à l’hostilité des Britanniques, pour qui « une telle capacité ferait doublon ». Notamment avec le SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe), le Grand quartier général des puissances alliées en Europe.

Or la caractéristique fondamentale du commandement OTAN est la mainmise américaine absolue. Illustrée, dès le premier coup d’œil, par le poste du SACEUR (Supreme Allied Commander Europe ou commandant suprême des alliés en Europe) qui se confond, dès la création de l’OTAN, avec celui du commandant en chef des forces armées des Etats-Unis en Europe (USEUCOM). Le plus haut responsable militaire de l’Alliance est donc, de par sa double casquette, directement sous l’ordre du Pentagone. Ce qui fut admirablement mis en lumière lors de l’incident de Pristina : au lendemain de la guerre au Kosovo, le SACEUR/général américain a donné l’ordre à un général britannique, chef des troupes OTAN sur le terrain, d’engager des troupes russes pour le contrôle de l’aéroport, ce que le britannique Sir Mike Jackson a refusé tout court. En répliquant que « je ne vais pas déclencher la troisième guerre mondiale pour vous ». Les auditions au Sénat US ont révélé par la suite que le général Clark a reçu ses instructions directement de Washington, sans implication d’une structure otanienne quelconque.

Parlant de structures otaniennes, celles-ci ont la spécificité de pouvoir être tout-américanisées à chaque instant. Comme en témoigne l’épisode de la récupération du pilote O’Grady en juin 1995, relaté par Jean de la Guérivière dans son excellent ouvrage Voyage au cœur de l’OTAN. Une fois la nouvelle arrivée de l’avion américain abattu au-dessus de la Bosnie, le Américains se comportent « comme en pays conquis dans les centres décisionnels de l’OTAN », raconte un général italien. Ils ont éjecté les personnels européens de la salle des opérations et, pendant une semaine, se sont mis seuls aux commandes. Non pas que ce soit une surprise. Comme l’avait remarqué Joachim Bitterlich, ancien conseiller européen, diplomatique et de sécurité du Chancelier Kohl, lors de sa récente audition devant la Commission du Livre blanc : « les Américains se trouvent dans une situation commode à travers l’OTAN, car ils ont le dernier mot et que tout dépend d’eux ».

Dans les zones qui intéressent l’Amérique particulièrement, la chaîne de commandement OTAN non seulement peut être américanisée en cas d’urgence, mais elle doit rester entre les mains d’officiers US en permanence. D’où l’échec cuisant essuyé par le Président Chirac à propos du Commandement Sud (AFSOUTH), un épisode connu sous le nom de « bataille de Naples ». Lors de sa tentative de « retour dans l’OTAN », au tout début de son premier mandat, le Président Jacques Chirac eut l’insolence de proposer qu’un Européen soit placé à la direction du commandement de Naples. Scandale colossal. Comme l’a dit John Kornblum, alors Secrétaire d’Etat adjoint en charge des affaires européennes, ce fut la preuve que « en trente années d’absence, les Français ont oublié comment fonctionne l’Alliance »… En bas de sa lettre adressée en octobre 1996 au Président Clinton au sujet du commandement de Naples, le Président Chirac note à la main : « Bill, c’est très important pour moi ». Mais « Bill » ne daigne même pas répondre. Ou plutôt il le fait, mais par médias interposées, de manière brutale. En effet, peu après la réception de la lettre, il déclare publiquement que « Les Etats-Unis continueront à être le leader de l’OTAN, en particulier dans la région Sud ». Début 1997, son Secrétaire à la Défense enfonce le clou en réitérant devant le Congrès la réponse US : « C’est non. C’est catégorique. Ce n’est pas négociable ».

Quoi qu’il en soit, les Américains préfèrent ne rien laisser au hasard. Alliance ou pas, en cas de guerre, ils souhaitent avoir en main toutes les cartes. Par conséquent, dans toutes les opérations OTAN, il existe deux chaînes parallèles de planification et de commandement. L’une est celle de l’Alliance (dominée par les officiers US), tandis que l’autre est, elle, exclusivement américaine. Quand le Président Chirac déclare, après la guerre du Kosovo, que « pas une seule frappe n’a été faite sans l’accord de la France », son ministre des Affaires étrangères apporte une précision  révélatrice, en notant que « sur toutes les cibles OTAN proprement dites, nous avons eu notre mot à dire ». En effet, les forces aériennes engagées étaient de deux ordres. A côté des forces OTAN sous le contrôle politique du Conseil de l’Atlantique nord (donc aussi des Européens), opéraient également des avions purement US, sous le contrôle direct du Pentagone. Ils passaient par des couloirs réservés aux vols américains et n’ont même pas été répertoriés sur la liste des alliés. Seul le commandant US, doublé de sa casquette SACEUR, fut en mesure d’actionner les deux dimensions, et ce n’est donc qu’au Pentagone qu’on pouvait avoir une vue d’ensemble des opérations. En clair, dans les interventions OTAN, le vrai maître du jeu ne peut être autre que le Département de la Défense. Tant en matière de planification que de commandement.

Le secteur de l’armement

Traditionnellement, les achats d’équipements militaires américains par les Européens constituent l’une des « contreparties » pour le supposé parapluie US au-dessus du continent. Les relations transatlantiques dans ce domaine sont donc inscrites dans la philosophie du « renvoi de l’ascenseur ». Ce qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes, dont on se contentera d’évoquer quelques-uns.

Tout d’abord, il est très difficile d’obtenir, même de la part de vieux et fidèles alliés, des matériels au meilleur niveau technologique (en général, pour la version « export » les performances sont dégradées), et dont on puisse être certain, sur une période d’au moins quinze ans, qu’ils ne donneront lieu à aucun chantage, à aucune restriction d’emploi. Ensuite, les achats systématiques d’équipements militaires étrangers démantèlent progressivement la base industrielle et technologique de défense (BITD) en Europe. Ce qui conduit soit à la disparition pure et simple de nos capacités de développement et de production ; soit à leur américanisation (les gouvernements européens n’auront plus aucune prise sur des sociétés soi-disant européennes, mais qui n’obéiront qu’à Washington, devenu leur principal client/régulateur – comme l’a dit Louis Gallois, président exécutif du groupe EADS, à propos de leurs efforts pour remporter le contrat de ravitailleurs du Pentagone : « Nous sommes devenus un bon citoyen américain ») ; soit à leur confinement à une fonction de sous-traitance, en les réduisant à un rôle dépendant et subalterne.

Finalement, l’argument du « meilleur prix », avancé par ceux qui préfèrent les acheter « sur étagère » aux USA plutôt que de se soucier du maintien d’une BITD en Europe, ne tient pas une seconde la route. Outre l’incontrôlable envolée du coût des programmes, il faut aussi tenir compte des coûts indirects issus de la réduction de l’emploi national et de l’incidence sur les capacités civiles technologiques en général. Surtout faudrait-il y ajouter le prix supplémentaire que l’on devra payer pour les futurs achats, une fois la base industrielle et technologique détruite, entraînant avec elle toute possibilité d’alternative et donc de tout pouvoir de négociation à l’avenir.

Incontestablement, un début de prise de conscience commence à prendre forme aujourd’hui en Europe. Du moins dans les paroles. Toujours est-il que l’atmosphère générale dut être inhabituellement audacieuse (et la perception de la situation suffisamment dramatique), pour que Javier Solana puisse avancer, lors d’une grand-messe de l’armement tenue début 2007 à Bruxelles, que « dans le domaine des technologies clés de la défense, nous devons évoluer vers moins de dépendance par rapport aux sources non-européennes ». En précisant que nos industries doivent être « compétitives aujourd’hui face aux Américains, et demain face aux Chinois et aux Indiens ». Parallèlement, la Commission de Bruxelles arrive, elle aussi à faire quelques diagnostics exacts. Notamment fin 2007, lorsqu’elle tire la sonnette d’alarme : « Sans réorientation des politiques, l’industrie européenne risque de devenir un acteur et un fournisseur de niche pour des maîtres d’œuvre principalement non européens, compromettant ainsi l’aptitude de l’outil industriel à développer en toute autonomie les capacités dont la PESD a besoin. »

Surtout, le travail au sein de l’Agence européenne de défense commence à toucher de plus en plus de près aux questions les plus sensibles de l’armement (et de la construction) européens : celle de la (non-)dépendance et celle, étroitement liée, de la préférence européenne. Dans la Stratégie pour la base technologique et industrielle de la défense européenne, adoptée par les Etats membres, les termes « indépendance », « souveraineté » et « autonomie » figurent à six reprises, et l’on ose parler de « moins de dépendance par rapport à des sources non-européennes pour les technologies clés ». La feuille de route de cette stratégie fixa l’objectif d’établir une liste commune des capacités industrielles clés à maintenir/développer en Europe. Dans la même veine, les Etats ont également adopté un document cadre pour la stratégie en matière de recherche et technologie de défense, avec l’idée d’identifier les technologies cruciales que l’Europe se doit de maîtriser. Ces mesures devraient normalement constituer le premier pas pour instaurer un mécanisme complet de contrôle et de protection, similaire à celui pratiqué outre-Atlantique, et par toutes les grandes puissances, dans le secteur stratégique de l’armement.

Toutefois, en Europe, les jeux sont encore loin d’être faits. Les divergences fondamentales des pays membres les empêchent d’aller au bout, voire même de s’engager clairement sur la voie de cette logique. Car sur ce point capital, les Etats de l’UE sont profondément et doublement divisés. Schématiquement parlant, la première ligne de fracture sépare les gros Etats producteurs d’armement (vendeurs potentiels) et le reste (acheteurs potentiels) à propos des efforts à déployer (ou pas) pour maintenir une base technologique et industrielle de défense. Deuxièmement, au sein des grands producteurs s’opposent les visions française et britannique au sujet du rôle (ou l’effacement) du politique et le caractère européen (ou pas) de cette même base industrielle et technologique.

Dans ces conditions, la vigilance est de mise. Les grands élans d’harmonisation et de soi-disant rationalisation ne doivent pas faire perdre de vue que le diable, comme si souvent, est dans les détails dits techniques. Les deux questions cruciales qu’il convient de se poser au sujet de toute action au niveau européen est celle (1) de l’ordre chronologique (savoir si l’adoption de mesures de protection et de contrôle politique au niveau européen sera un préalable ou pas à l’ouverture intra-européenne) ; et (2) du point de référence (savoir si une éventuelle harmonisation des réglementations s’effectuera par alignement vers le haut ou vers le bas). Toute initiative d’« européanisation » en ordre chronologique inverse ou avec harmonisation au rabais serait synonyme d’abdication de souveraineté pour l’Europe.

Trois rôles à clarifier

Toute réflexion sur la souveraineté européenne s’articule autour des trois principaux facteurs de l’équation qui sont la France, l’Europe et l’Amérique. En guise de conclusion, il convient donc d’éliminer quelques stéréotypes les concernant et de rappeler leurs liens et rôles respectifs.

L’Europe

Pour ce qui est de l’Europe, il faut d’abord se garder d’un amalgame trompeur. En faisant bien la distinction entre les deux aspects du terme « européen ». Le premier désigne le niveau européen par opposition au, et comme étant au-dessus du, niveau national. Le second nous définit par rapport au reste du monde et se réfère à des intérêts et des priorités spécifiques à notre continent. Les deux acceptions ne se confondent point. La supranationalisation ne nous conduit pas mécaniquement à la défense des intérêts européens au sens géopolitique. Hélas, dans l’état actuel des choses, elle risque d’aboutir au contraire. Vu que la plupart des Etats membres sont réticents, voire hostiles à l’idée d’une Europe indépendante, toute « avancée » dans l’intégration, sous forme, par exemple, de passage au vote à la majorité dans les domaines stratégiquement sensibles, signifierait la mise en minorité immédiate de toute ambition d’autonomie. Elle finira par nous verrouiller dans une position de dépendance définitive.

D’ordinaire on a tendance à identifier deux sortes de tensions intra-européennes à l’origine de la plupart des blocages et débats. Mais que l’affrontement soit entre logique nationale et logique fédérale, ou entre vision autonomiste (en faveur d’une Europe indépendante) et vision atlantiste (préconisant une Europe soi-disant complémentaire des Etats-Unis), il renvoie à une seule et même problématique. En effet, un pays avec un haut degré d’indépendance et une conscience aiguë des enjeux de puissance (la France, pour ne pas la nommer) n’acceptera, et dans l’intérêt de l’Europe toute entière ne doit surtout pas accepter, le jeu supranational qu’à la condition que les mêmes exigences stratégiques de puissance et d’autonomie soient assumées et défendues, avec la même intransigeance et au même degré, par les autorités bruxelloises. Force est de constater que l’on en est encore très loin.

Dans l’état actuel des choses, l’intégration négative (celle qui se limite au démantèlement des barrières internes au nom du grand « marché ») joue à plein, sans qu’elle soit équilibrée par l’intégration positive (celle qui aurait pour fonction de construire une véritable « communauté » aux contours bien définies par rapport à l’extérieur). Cette pratique peut nous conduire à deux types de scénario. Soit elle se poursuit, dans ce cas notre capacité à promouvoir nos intérêts et nos valeurs s’érodera sous la tutelle d’une (ou de plusieurs) puissance(s) étrangères. Pour employer la métaphore traditionnelle : l’Europe se dissoudra comme un morceau de sucre dans une tasse de thé. Soit cette fuite en avant provoque un contre-effet, auquel cas l’« entracte » de l’intégration européenne sera clos et l’exercice de la souveraineté retournera, sur une base exclusive, dans les cadres nationaux. D’où la mise en garde du philosophe Umberto Eco : « Ou l’Europe sera européenne, ou elle volera en éclats »

L’Amérique

Il est vrai que, pour l’heure, Washington est le repère constamment évoqué, omniprésent dans tous les esprits. Il est notamment celui par rapport à qui les efforts d’émancipation doivent être déployés. Pourtant, poser l’exigence de l’indépendance n’a absolument rien d’anti-américain en soi. D’une part, la sauvegarde de la liberté d’appréciation, de décision et d’action est un axiome immuable dans toute réflexion stratégique et pour toute pratique politique responsable. Et ceci indépendamment de tel ou tel référentiel concret, qui d’ailleurs, par définition, ne pourrait être que temporaire et aléatoire.

De surcroît, l’indépendance recherchée est le seul moyen d’arriver un jour à un véritable partenariat entre les deux rives de l’océan. Dans les rapports asymétriques actuels, l’Autre est perçu des deux côtés de l’Atlantique soit comme un fardeau (boulet parasite ou tuteur oppresseur), soit comme un rival (l’hégémon versus le « challenger »), mais le plus souvent les deux, fardeau etrival, à la fois. Au lieu de pouvoir s’engager, là où les intérêts coïncident, dans des coopérations transatlantiques sur base de réciprocité. Dans son état actuel, l’Europe y est inapte. Car à partir d’une situation de dépendance il est impossible de participer à une coopération équilibrée. L’une des parties est toujours en mesure de quitter, ou de menacer de quitter, la coopération sans que son potentiel stratégique s’en trouve diminué, tandis que l’autre (ayant démantelé les bases de son autonomie) s’y trouve verrouillé. Bref, il faut être deux pour pouvoir coopérer sur un pied d’égalité. Le chemin qui peut y mener un jour est donc le même que celui qui conduit à l’autonomie.

Ceux qui se refusent à ces évidences et se précipitent pour taxer toute velléité d’indépendance d’« anti-américain », se plaisent aussi à y ajouter tout de suite qu’en bons « euro-atlantistes » ils refusent de choisir entre l’Europe et l’Amérique. Certains dirigeants des pays de l’Est, toujours friands de dramatisation, vont jusqu’à dire qu’un tel choix est leur pire cauchemar, puisqu’il reviendrait à être forcé de choisir entre sa mère et son père… En confirmant, malgré eux, l’impression qu’il s’agirait d’un jeu à somme nulle. Ceci en flagrante contradiction avec leurs propres balivernes sur la belle et sympathique  « communauté euro-atlantique » où les intérêts sont supposés être partagés et les valeurs soi-disant communes. En réalité, le choix n’est pas, et n’a jamais été, entre l’Europe et l’Amérique. Mais entre deux modèles d’Europe : l’une indépendante, l’autre assujettie.

La France

Grâce à sa tradition gaullienne, la France est aujourd’hui, sans surprise, le seul pays en Europe à avoir dans tous les domaines stratégiques, dont les trois évoqués plus tôt, et la conscience et l’expérience de la souveraineté. Comme l’avait observé un rapport d’experts américain examinant, sous l’égide de la NDU (National Defense University) en 2004, les capacités des alliés : « Depuis des décennies, la France poursuit une doctrine de défense et une stratégie d’acquisition qui lui assure des capacités militaires indépendantes et autonomes. Par conséquent, La France est le seul pays à part les USA à investir sur toute la gamme des technologies de défense ». Son statut unique lui confère une responsabilité particulière, et demande de sa part patience, persévérance et pédagogie.

En réalité, c’est uniquement grâce à l’indépendance de la France que les autres Etats européens ont encore, dans leurs rapports avec l’Amérique un tant soit peu marge de manœuvre. Le Britannique Rodric Braithwaite l’avait noté : « Quand on traite avec les Américains, on doit suivre le principe fondamental de la négociation : vous devez toujours indiquer clairement que vous allez, si nécessaire, quitter la table des négociations ». Mais pour ce faire, il faut avoir une alternative crédible…

Ce fut le cas déjà en décembre 1962, pendant les négociations anglo-américaines à Nassau sur la mise sous tutelle US de l’arsenal nucléaire britannique. Vincent Jauvert explique en détail, dans son excellent livre intitulé L’Amérique contre De Gaulle – Histoire secrète 1961-1969, comment les Britanniques, reculant sur tous les fronts, ont dû utiliser la carte française pour obtenir ne serait-ce que l’illusion d’une concession de la part des Etats-Unis. Les négociations butaient, en effet, sur les conditions dans lesquelles la Grande-Bretagne pourrait, théoriquement, reprendre le contrôle de ses fusées (dans la pratique la force nucléaire britannique est matériellement trop liée à l’arsenal US pour pouvoir envisager de l’en dissocier). La proposition américaine parlait de « péril national extrême », alors que les diplomates de Sa Majesté voulaient rendre ce seuil plus flexible en remplaçant ce terme par  « intérêt national suprême ». Finalement, ils obtiennent gain de cause. Mais pour cela, il aura fallu que le Premier ministre Macmillan aille jusqu’à menacer d’accepter la proposition que le Général de Gaulle lui avait faite quelques mois auparavant : créer ensemble un missile nucléaire, sans y associer les Américains. Kennedy recule, les Britanniques sont soulagés. De Gaulle, lui, n’est pas dupe : « Ce sont des mots. C’est de la poudre aux yeux. »

Aujourd’hui encore, on retrouve exactement la même logique. Pour illustration, le futur avion Joint Strike Fighter/F-35/Lightning II, et les difficultés des Britanniques, pourtant engagés à hauteur de plusieurs milliards dans le programme, à obtenir le minimum, notamment « la souveraineté opérationnelle » des appareils qu’ils s’apprêtent à acheter. Car le JSF est conçu justement dans l’optique inverse. Dans celle de l’affermissement du contrôle américain. D’après un éminent spécialiste du domaine de l’aéronautique, l’américain Bill Sweetman, auteur d’une trentaine de livres (dont deux spécifiquement consacrés au F-35) et rédacteur en chef de Defense Technology au groupe Aviation Week : « ce n’est pas seulement un avion optimalisé pour opérer en coalition, c’est difficile de voir comment il pourrait opérer du tout sans un soutien US direct et constant ». Pour les Britanniques,  la seule chance de négocier avec les Américains (et pouvoir espérer, sinon de vraies concessions, du moins des modifications cosmétiques leur évitant une trop évidente humiliation) est l’existence, de l’autre côté de La Manche, d’une autre option. Or, comme le fait remarquer Sweetman, l’objectif du projet JSF est précisément d’éliminer, une fois pour toutes, la possibilité même d’une alternative. Selon lui, le plan global derrière le programme est de parvenir à une situation de « monopole des avions de combat en Occident » à partir de 2020, ce qui « ne laissera pas beaucoup de marge de négociation aux futurs acheteurs ».

Force est de constater que, du point de vue des rôles respectifs des uns et des autres, peu de choses ont changé depuis un demi-siècle dans ce formidable jeu d’échecs transatlantiques autour de la souveraineté. Comme l’avait observé le Général de Gaulle : « En attendant que le ciel se découvre, la France poursuit par ses propres moyens ce que peut et doit être une politique européenne et indépendante ». Des propos qui sont toujours, et peut-être plus que jamais, d’actualité.


share:

Tags:
europe de la défense, armement, espace, relations transatlantiques


Brèves
Interview radio sur l'OTAN et l'UE

 

Un an de guerre en Ukraine: la liste de mes articles sur le sujet

Bonne lecture!
Interview radio sur l'Europe, l'UE, la guerre en Ukraine

Interview radio au lendemain de l'élection présidentielle en France

 
Interview radio sur l'actualité géopolitique en Europe

 
Sur la privatisation des activités militaires

Quelques réflexions sur la privatisation croissante de l'activité militaire. L'impact des...
Sur la guerre informationnelle

Quelques remarques de ma part, citées dans un article...
Conséquences pour l'Europe d'une éventuelle nouvelle administration US

Quelques réflexions sur les conséquences des prochaines élections...

Le Parlement belge a failli mettre fin au stationnement des bombes nucléaires US

Alors que le débat aurait dû être « transparent », comme...

Siège UE au Conseil de sécurité? Une fausse bonne idée : séduisante mais contre-productive

Que l’Europe « parle d’une seule voix » et pèse ainsi...






Les plus lus





COPYRIGHT © Hajnalka Vincze TOUS DROITS RÉSERVÉS