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L’Europe du Président Hollande

16 mai, 2014
Note d’actualité
Hajnalka Vincze
La tribune du chef de l’Etat à l’occasion de l’anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale en Europe (et à quinze jours des élections européennes) laisse doublement à désirer. D’une part le raisonnement qui y est exposé manque parfois de cohérence. De l’autre, il ne va pas jusqu’au bout de la partie non-exposée de son raisonnement.
 

Pour commencer, le Président reprend l’antienne selon laquelle « l’Europe c’est la paix », en y ajoutant une référence aux événements récents en Ukraine. Or, justement, l’Europe y est particulièrement absente, ayant pratiquement délégué l’affaire à l’US/OTAN. Ce n'est sans doute pas un hasard si le texte ne dit pas un mot sur la défense européenne. Si c’est ça l’Europe de la paix, c’est sous tutelle américaine qu’elle se fait (et se défait).
 
Ensuite, le Président constate que « l’avenir appartient aux continents ». Et il précise : « C’est-à-dire à l’union des nations qui sans rien perdre de leur singularité, conjuguent leurs forces pour exprimer leur modèle ». Certes. Sauf que, pour cela il faudrait d’abord que l’Europe ne les prive pas de leurs forces. Notamment à travers d’une mise en concurrence stratégiquement aveugle et d’une politique d’ouverture qui tient presque du dogme.
 
Il ne serait pas inutile non plus d’avoir une même vision quant au « modèle » à exprimer. Car si l’Europe piétine, c’est justement en raison des divergences profondes entre Etats membres au sujet du modèle social, économique et politique à suivre. Le Président Hollande oppose, à juste titre, l’Europe de la dilution (minimale, commerciale, apolitique) à l’Europe de la volonté (autrefois connue sous le nom d’Europe-puissance, par opposition à l’Europe-marché).
 
Par contre, il est inexact de dire que « les Français peuvent décider et imposer souverainement leur préférence ». S’ils sont en effet « libres de choisir l’Europe ou de la quitter », une fois le choix fait d’y rester, ils ne sont plus libres de choisir entre les versions d’Europe possibles. Pour la simple et bonne raison que les « promoteurs » de l’Europe de la dilution (camp libéral-atlantiste) sont largement majoritaires sur les dossiers décisifs. 
 
Ce qui nous amène à l’affirmation selon laquelle « Il n’est pas interdit de refuser l’Union. Mais dans ce cas, il faut le faire en connaissance de cause ». Elle rappelle en miroir l’excellent article d’Hubert Védrine « Avancer les yeux ouverts » (écrit en 2002, mais qui n’a pas pris une ride depuis). L’ancien ministre des affaires étrangères y avait plaidé pour « l’honnêteté intellectuelle » avant d'entamer les prochaines étapes de la construction européenne.
 
D’après Védrine : « De deux choses l'une : ou bien nous acceptons, parce que nous estimons que l'ambition européenne prévaut sur toutes les autres ou parce que nous jugeons que le cadre européen est désormais le seul qui nous permette de défendre nos intérêts, de nous fondre progressivement dans cet ensemble. Et alors nous jouons à fond le jeu européen, le renforcement des institutions européennes et communautaires, la généralisation du vote à la majorité. Et nous en acceptons par avance toutes les conséquences. Ou bien, considérant que nous ne pourrons pas préserver avec 9 % des voix au Conseil, 9 % des membres du Parlement, un commissaire sur 25, des positions et des politiques que nous jugeons fondamentales, nous refusons ce saut institutionnel. »
 
Le chef de l'Etat espère pouvoir escamoter ce choix, grâce à l’idée d’avant-garde. Pour lui, « l’Europe de la volonté » c'est celle qui « avance plus vite avec les pays qui le veulent ». Comme il l’avait expliqué lors de la dernière conférence des ambassadeurs : « Il est temps de tirer les conclusions des rapports différents qu'entretiennent les pays membres par rapport à l'Union européenne. J'entends aller plus loin avec les pays qui sont décidés à aller de l'avant. C'est notre projet d'intégration solidaire dans une ‘Europe différenciée’. Où les rythmes, les contenus et même les règles de décisions seraient distincts. Tout en gardant l'union de tous comme espace de liberté, de démocratie et de solidarité ».
 
 
Ce disant, le Président est en phase avec l’opinion publiqueet il se place dans la lignée des nombreuses réflexionssur une nécessaire distinction entre les projets d'Europe-espace et d'Europe-puissance. Mais pour que cela ait un sens, il faudrait que l’avant-garde se différencie aussi (et surtout) par son ambition véritablement stratégique. Or force est de constater que les partenaires potentiels ne se bousculent pas. Ce qui nous laisse encore une fois avec cette phrase prémonitoire du Général : « En attendant que le ciel se découvre, la France poursuit par ses propres moyens ce que peut et doit être une politique européenne et indépendante ». Pourvu que ses dirigeants partagent toujours cette exigence...

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Tags:
géométrie variable, ue, politique étrangère de la france


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