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Berlin-Paris-Washington: réflexions à la veille des élections en Allemagne

17 septembre, 2005
Note d’actualité
Hajnalka Vincze

Il est impressionnant de voir à chaque élection la plupart des commentaires prêts à tomber et à retomber dans le même piège. Prenant la rhétorique pour argent comptant et faisant fi des réalités géopolitiques, ils nous racontent – les uns avec enthousiasme, d’autres avec appréhension – à quel point la politique étrangère du pays en question est susceptible d’un changement fondamental. Pourtant, c’est loin d’être aussi simple.

Bien entendu, l’emballage peut changer. Parfois même certains accents, de façon provisoire. Mais les fils directeurs de la stratégie restent inchangés au fond et, tôt ou tard, ressurgissent immanquablement. Ce postulat est valable à la fois pour ce qui concerne le rééquilibrage de la dérive opportuniste à la Schröder, et quant aux limites du « changement d’orientation » , tant de fois annoncé, à la Merkel. En soulignant que dans les deux cas, le flux et la force des événements pointe dans une seule et même direction.

Au sujet des conséquences internationales de l’issue des élections allemandes prévues pour demain, il est le plus souvent question de deux choses. Des relations avec l’Amérique et celles avec la Frances, les premières censées devenir plus étroites et les dernières moins intimes en cas d’un changement de gouvernement. Les deux prédictions sont à fortement relativiser.

1.       Schröder et son équipe sont en réalité plus proches des Etats-Unis que leur rhétorique et les commentaires simplificateurs n’en donnent souvent l’impression.

Il convient de rappeler que la position critique du chancelier Schröder par rapport à l’Amérique remonte à des considérations politiciennes, notamment électorales. En septembre 2002, dans la dernière ligne droite de sa campagne, il a décidé de jouer – de façon excessive et politiquement irresponsable – sur le pacifisme de l’opinion publique, et orchestrer son argumentaire autour du thème « nous n’allons pas cliquer des talons au premier sifflement venant d’Amérique ». Ce faisant, il s’est enfermé dans un « tournant » radical par rapport à la traditionnelle politique allemande (poursuivant un numéro d’équilibriste entre la loyauté atlantique et la communauté de destin franco-allemande).

Or, si l’émancipation de sous la tutelle américaine et le resserrement du lien franco-allemand s’inscrivent parfaitement dans les tendances profondes des changements structurels qui s’accélèrent dès le début des années 1990, le « tournant » de Schröder, de par son radicalisme même (contrairement à la position française, celui-là est imprévisible et manque de consistance stratégique) ne peut être entièrement considéré comme positif. De surcroît, ses « exploits » de campagne furent suivis de toute une série de tentatives de compensation pour se racheter. Avec comme point d’orgue la signature d’un document solennel intitulé « L’Alliance germano-américaine pour le 21ème siècle », en février 2004.

Pour ce qui est de l’atlantisme tant évoqué de Merkel, à part les tendances à long terme déjà mentionnés et les dissensions dans son propre camp, nombre d’autres facteurs concrets sont susceptibles de le mettre à l’épreuve. Tel que les réserves plutôt fortes de son opinion publique, le refus officiel d’un engagement militaire en Irak, les divergences de vues au sujet de l’adhésion de la Turquie à l’UE, les modalités du retrait des troupes américaines stationnées en Allemagne et les polémiques autour des têtes nucléaires américaines toujours stockées sur le sol allemand. Le tout « épicé » par l’attitude de l’administration Bush, peu réputée pour son raffinement diplomatique.

2.       Merkel et son équipe ne sont pas – et ne peuvent pas être – aussi loin de la France que certains à Washington (et en tant d’autres endroits) aimeraient espérer.

Avant d’attacher trop de crédit aux thèses sur l’inévitable désagrégation des relations franco-allemandes en cas de victoire de Merkel, il serait utile de rappeler que les mêmes prédictions se faisaient entendre avant l’avènement de Gerhard Schröder. Ce dernier avait lui-même affirmé que « Le temps est fini où le président français et le chancelier allemand pouvaient décider de tout ce qui se passait en Europe. Nous devons transformer l’axe franco-allemand en un triangle incluant Londres ». Toujours est-il qu’en fin de compte la presse européenne parlait de la relation fusionnelle entre « Gerhard Chirac » et « Jacques Schröder » (au sommet de l’UE en octobre 2003, Schröder est allé jusqu’à se faire remplacer par Chirac).

Et il y a aussi, encore une fois, les faits. Les innombrables réseaux économiques, culturels et de sécurité, par rapports auxquels le corps d’armée commun, les groupes d’armement communs, la chaîne de télévision bilingue, le manuel d’histoire commun récemment publié ou le TGV qui reliera les deux pays à partir de 2007 ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

Il convient de mentionner également que l’idée d’une avant-garde (petit groupe de pays désireux d’aller plus loin et plus vite dans l’intégration) basée sur le couple franco-allemand fut d’abord défendue par des personnages éminents du camp de Merkel. Et ce sont encore eux qui l’ont remise à la table ces derniers mois, notamment après le refus du nouveau traité européen par le référendum français. (Ce n’est pas comme si Schröder lui-même n’avait pas passé quelques coups de fil dans le même but, mais il l’a fait, fonction oblige, avec plus de discrétion.)

En ce qui concerne la propension du couple franco-allemand à flirter avec des tiers, c’est inoffensif, voire même souhaitable. Chaque avancée de la défense européenne jusqu’ici fut le résultat des concertations du triangle Paris-Berlin-Londres ; le triangle dit de Weimar peut jouer un rôle utile pour amadouer la Pologne ; la coopération entre les « Cinq Grands » (Paris, Berlin, Londres, Madrid et Rome) est essentiel sur le plan opérationnel en matière de police et de renseignement. C’est la maladresse diplomatique de Schröder, qu’il n’avait pas réussi – contrairement aux traditions allemandes – de se lier d’amitié avec les Etats-membres petits et nouveaux : cette erreur est à corriger d’urgence.

Tous ces partenariats sont loin de remettre en question le rôle central et fondamental du couple franco-allemand. Au contraire : moins le couple apparaît comme exclusif, plus vite la résistance extérieure diminuera et plus facilement sera « vendue » l’option qui constitue le seul moyen viable pour la poursuite du projet d’intégration : à savoir l’idée d’une avant-garde basée sur le couple franco-allemand et exerçant une force d’entraînement sur l’ensemble de l’Union.

3.       Ce ne sont pas les politiciens médiocres, mais les événements qui fixeront le cap à la politique étrangère allemande

Les événements qui se sont accélérés depuis la fin de la guerre froide pointent – et dans le domaine transatlantique et au niveau européen – dans une seule et même direction. Cette fois-ci, on n’entrera pas dans les détails des tensions structurelles entre les deux rives de l’Atlantique[1] et on n’énumèrera pas les points d’interrogation extérieurs et intérieurs qui mettent de plus en plus en cause « l’empire » américain.[2]  Nous n’allons pas non plus expliciter la nécessité d’une gestion politique et institutionnelle des divergences dans une Union à Vingt-cinq[3], et l’importance de la sauvegarde des atouts politiques et stratégiques (finalement de la souveraineté) pour la légitimation démocratique du projet européen[4].

Nous nous limitons ici à une seule remarque. A savoir que l’avenir est au passage à l’âge adulte des Européens par rapport aux Etats-Unis et à l’avant-garde sur base franco-allemande – que cela plaise à Washington (et en tant d’autres endroits) ou non. Et que l’élite politique européenne – au premier chef en France et en Allemagne – soit capable de suivre cette ligne dès aujourd’hui ou préfère attendre une série de claques à l’extérieur et de crises à l’intérieur pour aboutir à la même conclusion.


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