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La remontrance de Chirac : aurait-il vraiment mieux fait de se taire ?

Journal Francophone de Budapest - 05 mars, 2003
Note d’actualité
Hajnalka Vincze

S’indignant des réprimandes adressées par le président français aux pays candidats – lesquels s’étaient alignés selon lui « trop rapidement » et d’une manière « irresponsable » sur la position américaine au sujet de l’Irak – la plupart des réactions internationales se délectaient à remarquer que c’est plutôt l’auteur de la fameuse phrase qui aurait « manqué une bonne occasion de se taire ».

Pourtant, la vaste majorité des commentaires semblaient partager l’opinion selon laquelle cette minicrise (déclenchée d’abord parmi les Quinze puis étendue aux pays candidats grâce à des lettres d’allégeance à l’Amérique signées par les PECO) est un révélateur pour l’Europe. Elle soulève des questions fondamentales sur les relations avec les Etats-Unis et sur la substance du projet politique européen, que l’Union aurait dû clarifier avant de s’élargir. En effet, on ne peut que regretter qu’il fallût une menace de guerre et des diatribes violentes pour, enfin, les voir apparaître au grand jour.

Le fond des reproches

Lorsque le Premier ministre hongrois a déclaré au sujet de l’incident que « c’est déjà oublié », il a certes fait preuve de générosité en passant l’éponge sur le choix malheureux de la forme, mais ce geste ne devrait s’appliquer qu’au style et non pas au contenu des remontrances chiraquiennes. Car le président français a eu toutes les raisons de critiquer la manière – peu conforme à la lettre et à l’esprit du traité européen – dont les pays de l’ancien bloc communiste s’étaient empressés de soutenir Washington, sans se soucier (voire allant même jusqu’à nier carrément l’existence) de la déclaration commune des Quinze sur l’Irak élaborée le 27 janvier ; et sans penser sinon à consulter les autres partenaires européens, mais du moins à les mettre au courant avant de publier les fameuses lettres.[1]

De surcroît, celles-ci, inspirées en sous-main par la diplomatie américaine, ont confirmé – comme l’a remarqué Valéry Giscard d’Estaing, président de la Convention sur l’avenir de l’Europe – que ces pays sont prêts à « faire passer la loyauté au système atlantique au-dessus de l’attachement au système européen ». Les faits sont là, indéniables, même si c’est bien malgré eux que les PECO ont été amenés à choisir leur camp dans le débat qui oppose, sur fond de crise irakienne, atlantistes et autonomistes au sein de l’Union européenne.

Clivage au sein de l’UE

Car la logique manichéenne, genre « qui n’est pas avec nous, est contre nous », de Washington a fini par étaler au grand jour les divisions des Quinze sur la nature de leur alliance avec l’Amérique. Alors que le chancelier allemand affirmait que c’est « la souveraineté européenne » qui est en jeu, le chef du gouvernement britannique a répondu à la sortie du président Chirac en prenant la défense des pays candidats lesquels « savent combien il est important que l’Europe et l’Amérique restent unies ».

La question divise d’ailleurs jusque même au sein de la Commission, où le britannique Chris Patten (chargé des relations extérieures) est venu à la rescousse du Premier ministre Blair en disant que « l’Union n’est pas le pacte de Varsovie, ces pays ont leur opinion et doivent les exprimer », tandis que Günther Verheugen, le commissaire allemand responsable de l’élargissement a remarqué que Jacques Chirac a « exprimé une déception ressentie par beaucoup à Bruxelles et en dehors de Bruxelles ».

Le président de la Commission – soucieux avant tout de s’assurer que rien ne vienne compromettre le calendrier de l’élargissement – a voulu rester prudent : « Quand vous me demandez si la prise de position des dix peut retarder leur adhésion, je vous réponds que non. Mais quand vous me demandez si je suis content, ma réponse est également non ».

Et la France dans tout cela ?

Et c’est bien cette absence d’un rappel à l’ordre européen qui est au fond du problème. Face à un Romano Prodi avouant en quelque sorte son propre échec lorsqu’il se déclare – deux mois après la conclusion des négociations d’adhésion menées sous sa direction – « triste parce qu’il a appris que les futurs membres n’ont pas compris l’importance de l’Union européenne », et à défaut d’un haut responsable européen prêt à réagir fermement pour dissiper l’impression que l’UE n’est qu’une zone de libre-échange uniquement destinée à octroyer des subventions, rien d’étonnant à ce que le président Chirac s’est vu ou croyait se voir chargé de la mission de « faire la pédagogie sur ce qu’est l’Europe politique ».

En sacrifiant au passage tous les efforts que la diplomatie française avait déployés ces dernières années pour convaincre les futurs pays membres de son engagement pro-élargissement. Au risque, également, d’être accusé de faire le jeu des eurosceptiques dans les pays candidats qui venaient de donner le coup d’envoi des campagnes référendaires. Quitte enfin à perdre le capital de sympathie qu’a valu à la France son attitude courageuse sur le dossier irakien aux yeux des populations est-européennes, tout aussi hostiles à une intervention militaire prématurée que les opinions publiques occidentales. Tout compte fait, à la question de savoir si le président français aurait vraiment mieux fait de se taire, il y a en fait deux réponses. Pour l’Europe, certainement pas. Pour la France, par contre, sans doute oui.

 


[1] La lettre des Huit, publiée le 30 janvier et appelant à se ranger au côté des Etats-Unis dans la crise irakienne fut signée – outre cinq Etats membres actuels, à savoir la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et le Danemark - par la Pologne, la République tchèque et la Hongrie. Le 6 février, les dix pays membres du « groupe de Vilnius » (dont cinq futurs membres de l’UE – la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, la Slovénie, la Slovaquie – et deux pays candidats, la Roumanie et la Bulgarie) ont à leur tour fait allégeance à l’administration américaine.


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Tags:
irak, ue, france


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