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Le retour aux fondements serait-il un iconoclasme ?

Journal Francophone de Budapest - 14 mai, 2003
Note d’actualité
Hajnalka Vincze

A l’occasion de l’anniversaire de la déclaration Schuman, il est difficile de ne pas s’interroger sur la portée et la pertinence du discours du salon de l’Horloge par rapport à l’état actuel de la construction européenne.

En effet, un petit rappel des principes de base énoncés le 9 mai 1950 dans la proposition du ministre français des Affaires étrangères suffirait pour réfuter tous les reproches formulés à l’encontre des quatre pays qui se sont réunis, il y a à peine deux semaines, dans le but de donner un élan décisif à la dimension politico-militaire de l’intégration. Contrairement aux allégations de ceux qui n’y participaient pas, il s’agit là non pas de trahir l’esprit communautaire, mais de renouer avec la conception originale et les méthodes « imaginatives » des pères fondateurs de l’Europe. Et si le succès n’est évidemment pas garanti, l’initiative courrait inévitablement à l’échec au cas où, pour éviter les accusations des uns ou céder à la pression des autres, elle devrait s’éloigner de ces mêmes principes.

Quelques idées toutes simples

Le plan – élaboré par Jean Monnet et présenté par Robert Schuman – qui se trouve à l’origine de la Communauté européenne, fut articulé autour de quelques considérations de base dont la plupart ont, malgré le contexte radicalement changé, largement gardé leur bien-fondé. Telle la vision d’un développement progressif (« l’Europe ne se fera pas d’un seul coup ni dans une construction d’ensemble »), censé mettre en route une sorte d’engrenage qui conduirait à la « Fédération européenne » ; la conviction que « l’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne » ; ou l’idée que la meilleure solution pour dépasser les problèmes qui divisent les Etats européens est de les traiter au sein d’institutions communes. Et surtout, la méthode d’action employée : si l’offre d’intégration était ouverte à tous les pays qui manifesteraient la volonté de s’y associer, elle prévoyait de ne pas attendre d’accord unanime et de s’organiser aussitôt entre pays prêts à avancer.

Néanmoins, le projet fut, en quelque sorte, victime de son propre succès. La communauté économique – conçue pour « réaliser les premières assises concrètes d’une Fédération » - est devenu un pôle d’attraction incontestable, auquel les adhésions se sont succédées sans que la finalité politique contenue dans le plan Schuman ait été suffisamment clarifiée et l’engagement d’y souscrire considéré comme un préalable à l’entrée.

Pourquoi la défense ?

Toutefois, la coexistence entre la diversité croissante des objectifs et le principe sacro-saint de l’homogénéité communautaire n’a été possible que jusqu’au moment où l’intégration a atteint le cœur de la souveraineté nationale, à savoir les pouvoirs « régaliens » consistant à rendre la justice, frapper la monnaie et faire la guerre. Dans les deux premiers cas, des solutions ad hoc, à géométrie variable, ont dû être envisagées (avec les accords de Schengen et la zone euro) afin de pouvoir approfondir la coopération dans un groupe plus restreint, tout en respectant le choix de ceux qui préfèreraient ne pas y participer.

Par contre, pour les questions qui ont trait à la défense, Londres et ceux qui le suivent ne veulent même pas entendre parler de « flexibilité ». C’est qu’ils veut endiguer les volontarismes jugés trop ambitieux et maintenir leur droit de regard dans un domaine où se cristallisent les « visions un peu différentes, voire contradictoires de ce que doit être l’avenir » - comme l’a dit le président Chirac. En effet, à travers les différences d’approche quant à l’objectif ultime de l’intégration (Europe-supermarché ou Europe-puissance), la « légère divergence de vues » porte sur la nature souhaitable de l’ordre international : unipolaire pour les uns, multipolaire pour les autres.[1]

Pourquoi maintenant ?

Les critiques qui ont voulu expliquer la réunion à Bruxelles, le 29 avril, des dirigeants allemand, belge, français et luxembourgeois par des contingences politico-diplomatiques (liées à la crise irakienne) ou par les considérations électorales du Premier ministre belge ont manqué l’essentiel. La rencontre s’inscrit non seulement dans le droit fil de l’initiative prise par la Belgique en été 2002 ou la propositions conjointe franco-allemande de janvier dernier, mais elle est également en phase avec les réflexions menées sur ce sujet au sein de la Convention et du Parlement européen.

Aussi, la stratégie à trois niveaux préconisée par les Quatre (une clause générale de solidarité liant tous les Etats membres ; une Union européenne de sécurité et de défense inscrite dans le traité et composée de tous ceux qui souhaitent avancer plus vite et plus loin ; des mesures concrètes prises à quatre dès maintenant pour accroître la coopération en matière de défense et dans l’espoir de voir d’autres pays s’y joindre) bénéficie du soutien public du président de la Commission et du Haut Représentant pour la PESC.

Néanmoins, le risque est grand de voir l’initiative diluée sous la pression des mises en garde américaines, des manigances britanniques et de l’opposition de la plupart des autres partenaires européens actuels et futurs. Dans ces circonstances, les quatre auront à garder – outre les principes déjà mentionnés – surtout l’esprit de Jean Monnet qui disait à l’époque : « Je ne suis pas optimiste, je suis déterminé ».

 


[1] Dans la polémique qui s’est développée, fin avril, entre le Premier ministre britannique et le président Chirac, Tony Blair a qualifié de « déstabilisant » la volonté de « certains » de promouvoir une vision de monde multipolaire, tandis que pour le chef d’Etat français, un monde unipolaire « n’est pas celui qu’imagine la France ».


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ue, avant-garde


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