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La présidence italienne de l UE (2) : scénarios et dramaturgie

Journal Francophone de Budapest - 03 septembre, 2003
Note d’actualité
Hajnalka Vincze

« Ne vous inquiétez pas, six mois sont vite passés », c’est en ces termes que Silvio Berlusconi a voulu calmer les députés européens indignés par ses propos et son comportement dès le tout début du semestre de présidence italienne.

Précisément, la question que l’on se pose un peu partout en Europe est de savoir quel dommage, au juste, pourra-t-il causer pendant ces six mois. Au premier abord, le caractère plutôt formel de la fonction présidentielle et les mécanismes bien rodés de l’apaisement intra-communautaire devraient rassurer. Toutefois, le hasard du calendrier fait que l’Italie devra – comme M. Berlusconi lui-même n’a pas manqué de remarquer – « savoir exercer son rôle de coordinateur et de guide à un des moments politique et constitutionnel les plus importants de l’histoire récente de l’Europe ». Dans ces conditions, l’imprévisibilité du Premier ministre italien, son peu de sensibilité aux finesses diplomatiques et la subordination de sa politique européenne aux intérêts particuliers de la coalition gouvernementale, voire à ces intérêts personnels, ne sont pas de bons augures.[1]

Dossiers « particulièrement » prioritaires

Le ministre des Affaires étrangères de la présidence grecque du premier semestre 2003 a pourtant averti ses successeurs: « La réussite d’une présidence dépend de la capacité à entrer dans un rôle de médiateur et à oublier ses positions et ses avis », a-t-il commenté dans un quotidien italien. Or, on se souvient du piétinement des négociations entre les Quinze sur le mandat d’arrêt européen, auquel le gouvernement italien a tenté de soustraire les délits qui risqueraient d’embarrasser sérieusement le Premier ministre Berlusconi. Ou encore de la prise de position tranchée de Rome dans la crise irakienne, peu compatible avec l’image d’un pays appelé à très courte échéance à assumer les responsabilités de la présidence de l’UE. D’une façon très inhabituelle, même le texte officiel du programme de la présidence italienne comporte, pour chacun des objectifs énumérés, des remarques reflétant les a priori de Rome.

Ainsi, au sujet de la conférence intergouvernementale chargée d’examiner le projet de traité constitutionnel préparé par la Convention – et dont Silvio Berlusconi avait déclaré qu’il fait de son succès une « priorité personnelle » – les auteurs du programme ont préféré souligner que : « nous ne doutons pas que la signature du nouveau traité pourra avoir lieu à Rome ».[2]

Pour ce qui est de la relance de l’économie grâce à de grands travaux d’infrastructures, notamment dans le domaine des transports, le document met l’accent sur la « mise au point d’un réseau de transport efficace et équilibré sur les axes nord-sud et est-ouest, en s’attaquant aux problèmes des obstacles naturels (y compris les territoires alpins) ». En effet, pour l’économie italienne l’obsolescence et l’étranglement du système de transport national risquent de grandement limiter l’accès aux marchés et possibilités de délocalisation qui s’ouvrent à l’Est.

Enfin, dans le domaine des relations extérieures, Silvio Berlusconi étant « un ami personnel » du président américain George W. Bush, la présidence italienne s’emploiera à « établir le lien traditionnellement privilégié avec Washington ». En prenant le soin de souligner que toute action européenne sur la scène internationale doit se faire « dans un esprit de coopération ouverte et fructueuse avec les Etats-Unis », et que le développement des capacités européennes de défense n’est concevable que « grâce à une synergie parfaite et sans antagonisme avec les structures de l’Alliance atlantique ».

Objets de crainte

L’obstination à peine camouflée de faire valoir sa propre position même lorsque la fonction de président impliquerait un rôle de médiation, ajoutée au manque de prestige et d’autorité du Premier ministre italien, risque de ne pas inciter les autres Etats membres à accepter les compromis nécessaires ou à concéder à l’équipe dirigeante italienne des faveurs dont elle devrait avoir besoin pour mener à bien son programme et respecter le calendrier.

De surcroît, la simultanéité d’une présidence italienne de l’Union, de la présidence de la Commission (Romano Prodi) et de la vice-présidence de la Convention (Giuliano Amato) qui dans d’autres circonstances aurait grandement favorisé la coopération et l’efficacité, pourrait au contraire – vu le climat de tension instauré dans la vie politique italienne – constituer un facteur de division supplémentaire.

Le plus grand danger, pour l’Europe, ce n’est pas tant un blocage pur et simple de la Conférence intergouvernementale, mais plutôt la tentation de sauver la mise en recourant à des solutions de façade, des pseudo-décisions et des accords de facilité sur des questions politico-institutionnelles extrêmement délicates. De ce point de vue, les six mois de Silvio Berlusconi à la tête de l’UE auront au moins un mérite incontestable: l’aberration de sa présence comme représentant de l’Union européenne constitue un argument de choc en faveur de la proposition de mettre fin au système des présidences tournantes. Comme l’un des plus farouches défenseurs de la pratique actuelle l’a observé avec regret: « Je pense que Berlusconi a terminé le débat pour nous ».

 


[1] Pour ce qui est de ces facteurs internes, voir l’article « La présidence italienne de l’UE (1ère partie) : acteurs et mise en scène » dans le JFB du 13 août.

[2] Par ailleurs, les amendements présentés à la Convention par le vice-président du Conseil italien expriment clairement la ligne fondamentalement eurosceptique et un brin xénophobe de la coalition gouvernementale (restreindre l’article sur les objectifs de l’Union, limiter la libre circulation des personnes aux citoyens de l’Union européenne, insérer une référence explicite aux racines chrétiennes de l’UE).


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