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Champs de bataille otaniens après le sommet de Riga

La Lettre Sentinel n°43-44, janvier-février 2007 - 09 février, 2007
Etude et analyse
Hajnalka Vincze

Le sommet de Riga de l’OTAN, fin novembre dernier, fut l’exemple type du non-événement spectaculaire. Frappant surtout par le contraste entre les attentes aiguisées par la publicité faite à la rencontre des 26 chefs d’Etats et de gouvernement d’une part, et le bilan piteux de la réunion de l’autre. Les effets d’annonce prévus pour l’occasion avaient peu à peu laissé la place à la réalité envahissante que constitue la déplorable situation des alliés en Afghanistan. Celle-ci n’étant, par ailleurs, que l’un des (très) nombreux symptômes du malaise grandissant au sein de l’Alliance.

Acrobaties transformationnistes

Le label officiellement attaché au sommet de Riga est le mot-miracle « transformation ». Il s’agit d’un concept très à la mode dans les milieux transatlantiques, flou dès le départ, censé désigner un processus de mutation à la fois militaire et politique. Utile surtout pour maquiller le fait que l’Organisation, engagée dans un exercice d’auto-justification depuis le début des années 1990, s’est définitivement enfermée dans une logique de réforme permanente. Or, sur les trois volets (capacitaire, géographique, fonctionnel) de cette transformation, l’impasse devient aujourd’hui de plus en plus visible. La raison en est simple. A force de vouloir faire ses preuves à tout prix, mais sans toutefois clarifier au préalable les divergences fondamentales en son sein, l’Alliance s’affaiblit elle-même.

Car sa véritable transformation est ailleurs. Comme l’observe le britannique Jolyon Howorth, l’un des meilleurs connaisseurs des questions de la défense européenne : « à partir d’une organisation dont le but original était de fournir un engagement américain au service de la sécurité européenne, [l’OTAN] est en train de se transformer en une autre, dont le nouveau but est de fournir un engagement européen au service de la stratégie globale des Etats-Unis ». D’après Victoria Nuland, ambassadeur des Etats-Unis à l’OTAN (et l’épouse de l’auteur de la fameuse thèse sur l’Amérique-Mars, l’Europe-Vénus), cette nouvelle OTAN sera « un animal complètement différent ». Mais tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. Et c’est précisément ce désaccord profond qui réapparaît, avec un effet paralysant, dans chaque aspect de la « transformation ».

Forces et équipements

Pour ce qui est de la dimension capacitaire, le processus de transformation y est piloté par l’ACT (Allied Command Transformation : l’un des deux commandements stratégiques de l’Alliance, l’autre étant responsable des opérations), chargé de définir les orientations pour la modernisation des capacités militaires des alliés. Dans un paradigme, disons, à forte inspiration américaine. Situé à Norfolk (en Virginie), l’ACT se trouve à proximité immédiate des installations de l’US Joint Forces Command. Solution pratique, sachant que le chef de l’ACT, le général américain Lance L. Smith est en même temps le Commandant de USJFCOM.

Le problème, c’est que la foi en la version américaine de la transformation (nouvel avatar de ce qui fut jadis claironné comme la « révolution dans les affaires militaires ») est loin d’être unanimement partagée. Premièrement, la définition des doctrines militaires et des capacités qui vont avec est fonction d’une culture stratégique et d’une approche sociétale particulière. Lesquelles ne sont pas forcément identiques de part et d’autre de l’Atlantique. Deuxièmement, aux Etats-Unis même, le dogmatisme radical de la philosophie de la transformation ne fait pas que des adeptes. Et les retours d’expérience des opérations en Irak et en Afghanistan sont susceptibles de renforcer le scepticisme.

Reste que la plupart des pays européens ne consentissent à faire des efforts en matière de défense que s’ils y sont poussés par des ukases américains. C’est avant tout dans cette optique que l’on doit apprécier la mise en place de la NRF (NATO Response Force ou force de réaction de l’OTAN). Celle-ci peut compter jusqu’à 25 000 hommes, presque uniquement des Européens, constituant une force à haut niveau de préparation que l’Alliance pourrait déployer dans un délai de 5 jours. Toutefois, si la NRF est saluée comme « le catalyseur de la transformation », sa disponibilité opérationnelle n’en reste pas moins hypothétique. Non pas (tellement) pour des raisons techniques, mais du fait de la difficulté de parvenir à un consensus politique.

Quant au volet « équipement » du développement capacitaire, si les insuffisances européennes dans certains domaines clés ne font guère de doute, la question qu’il faut toujours se poser au sujet du matériel à acheter est de savoir d’où il vient et qui le contrôle. La provenance importe avant tout au regard de la sécurité de l’approvisionnement et du potentiel de pression et de chantage qu’elle implique. Sur ce point, il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’à l’OTAN le Secrétaire général adjoint responsable des investissements est, dès la création de l’Organisation, de nationalité américaine. Il s’agit actuellement de M. Marshall S. Billingslea dont le prédécesseur s’est mémorablement illustré en montant au créneau contre le projet européen de système de navigation par satellite.

La problématique du contrôle de la disponibilité du matériel est étroitement liée à celle du partage de la souveraineté. Elle apparaît aujourd’hui dans toute son acuité lors des débats en cours sur l’éventuelle mise en commun de certaines capacités. Le projet de mise en commun des moyens de transport aérien Boeing C-17 (3 ou 4 appareils) entre 15 Etats membres de l’OTAN (ni la France, ni l’Allemagne, ni la Grande-Bretagne n’en font partie) est illustratif de cette approche intégrationniste. Les résistances qu’elle rencontre sont essentiellement de deux types.

D’une part, les grands pays, ceux qui ont jusqu’ici veillé à préserver, à des degrés différents, la gamme des capacités nécessaires à leur autonomie de décision et d’action, préfèrent en garder le contrôle. D’autre part, parmi les petits, naturellement plus attirés par les solutions communes, il y a quelques-uns qui se disent, à l’instar de la Belgique, que quitte à partager la souveraineté, autant le faire dans un cadre européen. En effet, du moment que les Européens sont membres de l’Alliance, les capacités qu’ils acquièrent en commun renforcent cette dernière automatiquement. Surtout, les chances de garder (une part de) contrôle réel sont incomparablement moindres dans une Alliance de facto dirigée par les Américains que dans une Europe où les rapports de force sont plus équilibrés, les relations réglementées et institutionnalisées, et les sensibilités stratégiques plus proches les unes des autres.

Partenariats et élargissement

Le développement des relations de l’Alliance avec l’extérieur se poursuit en deux grandes directions : vers son voisinage européen (plus ou moins) immédiat, et vers d’autres entités géopolitiques. Pour ce qui est du voisinage, la politique des « portes ouvertes » (perspective d’adhésion à l’Organisation) reste en vigueur, mais avec néanmoins des nuances. En parlant de l’Albanie, de la Croatie et de la Macédoine, la Déclaration de Riga précise que « à notre prochain sommet, en 2008, l’Alliance a l’intention de lancer de nouvelles invitations, à l’adresse des pays qui satisferont aux normes de l’OTAN ». L’Ukraine et la Géorgie doivent, en revanche, se contenter d’un « dialogue intensifié ».

Pourtant, Washington est un avocat de longue date de la candidature ukrainienne et géorgienne. Lors de son audition devant le Congrès, en mai dernier, le représentant du Département d’Etat a ostensiblement mis ces deux pays dans le même sac que les Etats des Balkans. Ce qui n’est pas du goût de tout le monde. Comme l’a déclaré, peu avant Riga, le ministre russe de la Défense : en cas d’adhésion de ces deux pays à l’OTAN, la Russie sera contrainte de revoir ses rapports avec l’Organisation et de prendre des mesures supplémentaires pour défendre ses intérêts.

Les responsables français, eux, veillent soigneusement à ne pas faire d’amalgame entre les différents types de candidature. Mais le zèle de l’Amérique a aussi été refroidi, pour l’heure, du fait des résultats des sondages, d’après lesquels seuls 14,8% des Ukrainiens soutiendraient l’intégration de leur pays au sein de l’Alliance. Le retrait humiliant, en été dernier, d’un détachement des Marines américains de la presqu’île de Crimée (où ils venaient préparer un exercice commun OTAN-Ukraine, finalement annulé sur décision du Parlement local, ce dernier ayant déclaré le territoire interdit à l’Alliance) ne fut que la cerise sur le gâteau.

En ce qui concerne les formules nouvelles de partenariat envisagés avec des pays lointains, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne avaient fait circuler une proposition qui permettrait d’associer davantage à l’Organisation des pays comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon ou la Corée du Sud. La liste n’est point le fruit d’un hasard. Ceux qui y figurent ont été choisis, d’après les explications du représentant du Pentagone au Congrès, parce qu’ils sont « les alliés clés des Etats-Unis ».

A vrai dire, la logique ressemble, à s’y méprendre, à une idée caressée depuis fort longtemps par les administrations américaines successives. Il s’agirait de mettre sur pied une « Alliance des démocraties », une sorte d’ONU bis, avec la légitimité (autoproclamée) de cette dernière, mais dans un format contrôlé par les Etats-Unis. Donc, espère-t-on à Washington, beaucoup plus docile. La France, pour sa part, a vite fait savoir son opposition à l’idée. Selon son ministre de la Défense, le projet risquerait « d’adresser un mauvais message politique : celui d’une campagne à l’initiative des Occidentaux contre ceux qui ne partagent pas nos opinions. Quel prétexte offririons-nous ainsi aux tenants de la thèse du conflit des civilisations ? ».

Mission et opérations

De façon régulière, les responsables américains lancent publiquement des « défis » à l’OTAN pour que celle-ci prouve son utilité et sa pertinence. C’est dans cette logique que l’on assiste, depuis le début des années 1990, à un élargissement fonctionnel de l’Alliance. Après la fameuse mise en garde « out of area or out of business » (traduction : si elle ne s’engage pas en dehors de la zone nord-atlantique, l’Organisation n’aura plus aucun intérêt aux yeux de l’Amérique), l’OTAN s’est tournée vers les missions de gestion de crise, et la défense collective, jadis au cœur du pacte transatlantique, est devenu une fonction résiduelle.

Aujourd’hui, un nouveau cap a été fixé (par les Américains, bien évidemment). Il faut sortir du carcan qu’implique la nature fondamentalement militaire de l’Alliance et s’orienter sans tarder vers les dimensions civiles. Que ce soit sur le plan des actions concrètes (avec l’inclusion de nouvelles missions comme la police, la protection civile ou le « homeland security ») ou sur celui des discussions politiques (échanges de vues formalisés sur des sujets aussi divers comme la Chine, l’Iran ou la sécurité énergétique).

Les motivations américaines sont de plusieurs ordres. Primo, il s’agit d’exploiter et d’attirer, via l’OTAN, sous leur contrôle les capacités européennes qui sont dans ces domaines (aussi) souvent d’une qualité bien supérieure. Secundo, il faudrait réduire, autant que faire se peut, le nombre des sujets sur lesquels les Européens se concertent entre eux (dans les cadres de l’UE) sans que Washington puisse contrôler le processus. Car pour l’Amérique, c’est une irritation constante que de voir la mécanique complexe de l’Union européenne échapper à leur « droit de regard ». Transférons donc tout ce qui nous intéresse à l’OTAN, on y serait beaucoup plus confortable.

Tertio, étant donné la prestation plutôt moyenne de l’Organisation dans les tâches qui lui avaient été confiées, la logique de l’auto-justification veut que l’on cherche toujours plus de pistes et d’opportunités où l’on pourrait (peut-être) se valoriser. Néanmoins la France, comme on pouvait s’y attendre, n’est pas du tout chaude à l’idée d’une OTAN multifonctions et tous azimuts. Les responsables français ne manquent pas de souligner à chaque occasion que la vocation de l’Alliance est militaire et que son fondement demeure la défense collective.

En ce qui concerne les opérations proprement dites, l’un des grands débats porte aujourd’hui sur les modalités de leur financement. A présent, la règle est celle du « costs lie where they fall » (les coûts sont imputés à celui qui agit). Or le système de rotation de la NRF met en évidence les problèmes liés à ce que certains appellent une « loterie à l’inverse ». Car l’Etat membre qui se trouve en alerte rapide au moment du déclenchement d’une opération doit supporter tout le fardeau financier de son engagement. Inutile de dire qu’un tel mécanisme n’est pas particulièrement incitatif.

Mais on retrouve ici, sous une autre forme, la même problématique « intégration versus souveraineté » que l’on a vue à propos de la mise en commun des capacités. Si l’on accepte la formule du financement commun, cela veut dire que l’argent des contribuables sera versé dans une structure (l’OTAN) où la direction est donnée par l’un des partenaires et le contrôle réel des autres Etats membres (sauf un, si l’on compte la capacité de résistance) est quasi nul.

Afghanistan : chaos grandeur nature

Coïncidence embarrassante, au moment même où se tenait le sommet de Riga, la presse occidentale fit état d’une mise en garde du ministre pakistanais des Affaires étrangères, qui aurait conseillé en privé à ses homologues à l’OTAN d’accepter leur défaite en Afghanistan et de s’engager dans des négociations avec les Talibans. Si le démenti officiel ne s’est pas fait attendre, le constat pessimiste n’en est pas moins pertinent. Les Occidentaux ont réussi, une fois de plus, l’exploit de transformer une victoire rapide initiale en une impasse totale. Pour le commandant britannique des forces de l’OTAN en Afghanistan, le général David Richards, le pays est « proche de l’anarchie » et les alliés « n’ont plus beaucoup de temps ».

Depuis l’an dernier, on assiste à une reprise de la violence, notamment dans le Sud et l’Est du pays, avec un accroissement parallèle du nombre des victimes civiles et de l’intensité de la résistance. Entre-temps l’OTAN a étendu son aire d’opération à tout le pays, y compris les zones jusqu’alors réservées aux unités américaines. Celles-ci furent dès lors placées sous commandement OTAN, ce qui a surtout permis aux contingents britanniques, néerlandais et canadiens de les rejoindre en bonne et due forme, et d’expérimenter la « manière de faire » américaine de très, souvent même de beaucoup trop, près.

Avec, en toile de fond, les opinions publiques qui, manifestement, manquent d’enthousiasme pour ce genre d’expérimentations, des tensions apparaissent aussi sur le terrain. Soit à cause de la susceptibilité des Hollandais (qui exigent des garanties sur le traitement des prisonniers, et optent ouvertement pour une stratégie de négociation, plutôt que de se livrer à des provocations inutiles), soit en raison des frustrations des militaires britanniques. Pour ces derniers, tout est un exaspérant « déjà vu ». Car la priorité, par exemple, dont bénéficient systématiquement les troupes US lorsqu’il s’agit d’appels simultanés au soutien aérien, donne partout, en Irak ou en Afghanistan, les mêmes scènes.

Toujours est-il que le différend le plus médiatisé oppose ceux qui combattent, aux côtés des forces américaines, et ceux qui refusent de s’y engager dans de telles conditions. Cette dichotomie remet en cause la (ou plutôt révèle le manque de) cohésion de l’Alliance. Elle est symbolisée par le carnet confidentiel toujours à portée de main des planificateurs de l’OTAN, lequel contient les 102 fameux « caveats » ou restrictions nationales qui régissent la disponibilité des différents contingents.

Si le Commandant suprême des forces de l’OTAN, le général américain James L. Jones s’est félicité après Riga de la levée (après des mois de sollicitations, de pressions et de supplications) des 15% des restrictions, la satisfaction n’était pourtant pas vraiment au rendez-vous. Pour le président polonais – dont le gouvernement s’apprête à envoyer 1000 hommes en Afghanistan, malgré l’hostilité des 76% de sa population à cette idée – « le sommet n’avait pas l’air d’une percée majeure, les Etats membres n’affichent pas le même niveau de détermination ». Effectivement, le refus de la vieille Europe (la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie sont mises au pilori) fut sans appel. Leurs « concessions » s’appliquent seulement au cas par cas, sur décision nationale, et dans des circonstances d’urgence extrême.

Nous laisserons ici de côté le fait que, comme l’observe entre autres Ayesha Khan, chercheur associé au Chatham House britannique, « Même si l’OTAN obtenait toutes les troupes qu’elle veut, sa stratégie actuelle au Sud n’aboutirait pas aux objectifs déclarés et devrait être reconsidérée. En fait, elle est en train de déstabiliser la région ». Le problème qui nous intéresse maintenant, à travers l’exemple afghan, c’est celui de la structure même de l’Alliance. Pour mieux le comprendre, une clarification s’impose. Car contrairement à l’usage courant, l’Alliance et l’OTAN sont deux choses différentes.

Historiquement, l’Alliance est le pacte conclu entre les Etats membres par le Traité de Washington de 1949, tandis que l’OTAN, la structure militaire intégrée, ne s’y est ajoutée que des années plus tard. C’est sur la base de cette différence que la France a pu quitter l’Organisation en 1966 sans jamais rompre avec l’Alliance. D’après le ministre français des Affaires étrangères à l’époque : « L’une n’est en aucun cas le préalable de l’autre, même si, dans la terminologie actuelle et grâce à une ambiguïté peut-être délibérément maintenue, l’expression OTAN recouvre à la fois l’Alliance et l’Organisation ». Cette dernière « est essentiellement un groupe de commandements intégrés, placés inévitablement sous l’autorité de celui qui est, de loin, le plus puissant des partenaires ».

Vu que l’Alliance conduit aujourd’hui des guerres de choix (concrets), et non pas une guerre de nécessité (hypothétique), la question de l’intégration devient brûlante, et cette fois-ci pour l’ensemble des alliés. Car l’OTAN est effectivement sous contrôle américain. Et ceci de mille manières, dont quelques-unes remarquablement spectaculaires. Ainsi, par exemple, début 2005 les 1900 Américains affectés à l’OTAN étaient encadrés par 45 généraux, soit un par 42 hommes. Aujourd’hui en Afghanistan, c’est un général quatre étoiles (le plus haut grade dans l’armée US) que l’on envoie de Washington pour prendre la relève du commandant britannique des forces de l’OTAN. Dans l’espoir, à peine caché, d’inculquer l’ordre et la discipline dans les rangs des alliés européens. Mais rien n’y fait, ces derniers semblent de moins en moins enclins à se laisser entraîner dans des opérations sur la conduite desquelles ils n’ont pratiquement aucune influence.

Chantiers en cours et à venir

En ce qui concerne le programme des mois suivants, l’Afghanistan et les divers volets du processus de transformation continueront, de toute évidence, à figurer en tête de l’agenda de l’Alliance. Quant au deuxième aspect, l’adoption à Riga de la Directive Politique Globale (un document censé tracer les orientations politiques de la transformation pour les 10 à 15 prochaines années à venir) n’est en aucun cas un aboutissement. Il s’agit d’un texte mi-figue mi raisin, reposant sur le plus petit dénominateur commun entre les positions doctrinales et politiques parfois très divergentes des Etats membres. Il témoigne surtout de la crispation que suscite l’idée même d’une réécriture, pourtant considérée comme urgente et incontournable, du Concept stratégique de 1999.

Or une réflexion approfondie sur les grandes orientations de l’Organisation sera d’autant plus difficile à mener que, en plus des innombrables dossiers déjà cités, d’autres questions délicates viendront compliquer la tâche. Celles qui fâchent tellement qu’elles ont été tenues à l’écart de l’ordre du jour de Riga. En premier lieu, la problématique des rapports OTAN-Union européenne. L’incarnation même de l’épreuve de force transatlantique, c’est elle qui se trouve, d’une manière ou d’une autre, derrière la vaste majorité des casse-tête auxquels l’Alliance doit faire face.

UE-OTAN

Alors que les dirigeants de l’OTAN préfèrent mettre en avant les succès de la coopération sur le terrain (l’opération Althéa de l’UE en Bosnie est conduite selon la formule « Berlin Plus », c’est-à-dire avec recours aux moyens de l’OTAN) Jacques Chirac, lui, souligne que l’adaptation de l’Alliance passe par « la prise en compte de la nouvelle réalité de l’Union européenne ». Pour la France, la clé de la solution aux problèmes de l’Organisation réside dans le rééquilibrage des relations euro-américaines.  Dans une tribune publiée dans 36 pays au jour même du sommet, le Président Chirac observait que le dialogue doit être mené entre les Etats-Unis d’un côté, et l’UE de l’autre, que ce soit en dehors ou à l’intérieur de l’Alliance.

Les USA, pour leur part, veulent exactement le contraire. Ils essaient d’empêcher à tout prix, et ce depuis toujours, la mise en place d’un « caucus » européen. Car celui-ci modifierait les rapports de force à leur détriment, et les obligerait à négocier sur base de réciprocité. Comme on l’a vu au sujet de l’expansion des fonctions de l’Alliance vers les domaines civils, l’objectif de l’Amérique est de traiter les questions qui les intéressent dans le format qui leur convient le plus. Autrement dit, dans les structures otaniennes.

Energie

L’exemple illustratif de ce genre de manœuvres est celui de l’énergie. A Riga, le Secrétaire général de l’OTAN plaidait vigoureusement en faveur de l’inclusion de ce dossier à l’agenda de l’Alliance. Pour Jaap de Hoop Scheffer, à partir du moment où « virtuellement tous les problèmes sociétaux peuvent rapidement se transformer en un défi de sécurité », l’OTAN, très sollicitée, doit faire un tri. Et la question de l’énergie est parmi celles qu’elle doit garder. Le politologue russe Sergeï Karaganov a un autre regard sur la chose.

D’après lui, la nouvelle orientation de l’OTAN vers la sécurité énergétique « traduit sa rivalité traditionnelle avec l’Union européenne. Les Etats-Unis s’efforcent d’employer l’OTAN pour bloquer les initiatives de l’UE en la matière ».

Cette dernière explication semble beaucoup plus proche de la vision des autorités françaises. A sa conférence de presse à l’issue du sommet de l’OTAN, le Président Chirac a répondu plutôt sèchement à une interrogation sur le bilan de la réunion en matière d’énergie. Selon le chef de l’Etat, « La sécurité énergétique n’était pas à l’ordre du jour et n’avait pas à être à l’ordre du jour de l’OTAN. Nous n’en avons donc pas parlé ». Il n’en reste pas moins que la déclaration finale prévoit le lancement de consultations « sur les risques les plus immédiats en matière de sécurité énergétique, afin de définir les domaines dans lesquels l'OTAN pourrait apporter une valeur ajoutée ».

Russie

A travers le dossier énergétique, mais aussi celui du futur élargissement, la Russie fut l’absent omniprésent de la réunion de Riga. Le fait qu’il s’agissait du premier sommet de l’OTAN sur territoire ex-soviétique ; l’épisode bizarre du dîner manqué (un chassé-croisé de rumeurs, de déclarations et de démentis autour d’une éventuelle visite surprise du Président Poutine à Riga pour fêter le 74e anniversaire de Jacques Chirac) ; et la réunion simultanée des présidents de la CEI (ex-URSS sans les pays baltes) sans doute très attentifs aux gestes de l’OTAN envers la Géorgie, n’ont fait qu’ajouter à cette impression d’omniprésence. 

Or le ton fut donné des mois auparavant, dans un discours prononcé par le vice-Président américain à Vilnius le 3 mai dernier. La rhétorique particulièrement agressive, à l’encontre de Moscou, de Dick (Richard) Cheney a mis en évidence la volonté des Etats-Unis de saper la coopération qui est en train de se renforcer, du fait des dépendances réciproques, en Eurasie. Le pari washingtonien est pourtant loin d’être gagné. Tout au plus peuvent-ils espérer diviser les Européens. Mais ceux-ci sont de toute façon déjà divisés, et les affrontements au grand jour peuvent apporter des clarifications précieuses. Quoi qu’il en soit, la perspective du 10e anniversaire de l’Acte fondateur du partenariat OTAN-Russie en mai 2007 gardera le sujet en tête de l’actualité.

Kosovo

En plus des questions énumérées plus haut, le dossier du Kosovo va revenir, probablement très vite, au centre de l’attention. Pour le ministre français de la Défense, il n’y a aucun doute : l’Union européenne « doit se préparer à une relève de l’Otan [au Kosovo] sur le modèle de ce qui a été entrepris en Bosnie ». Du côté américain, les choses semblent moins claires. Devant le Congrès, des divergences notables furent perceptibles entre le Département d’Etat et le Pentagone quant au rôle que l’Otan devra (ou ne devra pas) jouer après la définition du statut final.

Dans tous les cas, le dernier rapport de l’UE sur la défense européenne, daté du 12 décembre dernier, parle des préparatifs d’une « mission de gestion civile de crise que [l’Union] mènera au Kosovo après le règlement du statut final du territoire ». Le Secrétaire général de l’OTAN espère pour sa part, selon ses propos prononcés à Riga, que d’ici 2008 la présence de l’OTAN au Kosovo sera « réduite et restructurée ». En faisant allusion au processus de rapprochement des pays des Balkans à l’Alliance, il s’attend à ce qu’il y ait « moins d’OTAN dans les Balkans et plus de Balkans dans l’OTAN ».

Opinion publique

Lors de ce même discours, le Secrétaire général a passé en revue les défis auquel l’Alliance doit faire face avant le sommet prochain, prévu pour printemps 2008, et dans la perspective de son 60e anniversaire en 2009. Dans ce contexte, il a attiré l’attention sur un facteur non négligeable : l’attitude de l’opinion publique. Selon lui, « il devient aujourd’hui de plus en plus difficile pour nos populations de comprendre pourquoi l’OTAN est unique ». En réalité, l’opinion publique européenne est aujourd’hui beaucoup plus lucide que ne le voudrait faire croire M. Scheffer.

Elle est visiblement peu réceptive aux grands discours sur les Etats voyous et autres menaces universelles, et devient de plus en plus sceptique vis-à-vis d’initiatives venant (ou perçues comme venant) de l’Amérique. Un sondage réalisé dans les 5 grands pays européens (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Espagne), paru dans le Financial Times en automne dernier, est particulièrement instructif à cet égard. Interrogés sur ce qu’ils considèrent comme « une menace pour la stabilité globale », les Européens placent les Etats-Unis en tête de liste (30%). Bien devant l’Iran (24%), la Chine (15%), la Corée du Nord (8%) ou la Russie (2%).

Pour le Secrétaire général de l’OTAN, il s’agit d’un « défi de diplomatie publique » (terme technique pour désigner la machine de propagande). En cela, il fait écho aux observations de l’ambassadeur Nuland qui déplore la « mauvaise image de l’OTAN ». Une fois n’est pas coutume, la diplomate américaine cite comme exemple l’Union européenne, notamment ses impressionnantes « techniques de marketing ». Constat bizarre, mais qui montre bien que l’on oublie, une fois de plus, le contenu au profit du contenant. Or la leçon des sondages devrait être exactement le contraire. C’est qu’il serait grand temps de réfléchir non pas en termes d’images, mais en termes de substance.


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